Quand règne l’incohérence, la logique devient déviance au pays des errances
Par Mesloub Khider – «Mais l’incohérence n’est pas le monopole des fous : toutes les idées essentielles d’un homme sain sont des constructions irrationnelles.» (André Maurois.)
L’Algérie et nous
Le paradoxe de la vie de l’Algérien est de ne s’abreuver qu’à la source de la doxa algérienne depuis longtemps idéologiquement oxydée. Attaché à une forme d’orthodoxie culturelle, l’Algérien bannit toute hétérodoxie intellectuelle. Asservi avec abnégation au pouvoir dictatorial de l’esprit de conformisme, l’Algérien prouve son audace réflexive exclusivement lors de ses inquisitoriales révoltes fanatiquement menées contre toute dissidence politique et philosophique surgi librement dans le pays. Gouverné par les rites cultuels, l’Algérien vit dans une société virtuelle, où seule est privilégiée la communication avec le Ciel, tandis que la production terrestre est proscrite de son logiciel cérébral, occupé à préparer son examen d’admission dans le Jardin d’Eden éternel. Avantageusement abreuvé par le Sahara qui couvre ses besoins matériels, l’Algérien cultive la désertification intellectuelle, pour mieux assécher l’activité économique et industrielle, jugée inutile pour son esprit totalement accaparé par ses observances religieuses obsessionnelles, seuls investissements personnels estimés théologiquement rentables et paradisiaquement profitables. Ancré encore dans une société imprégnée par le mode de production agricole, pourtant il dédaigne bourgeoisement de cultiver l’agriculture de son pays laissé en friche, tout comme son intelligence est mise en jachère, car à quoi bon fertiliser sa Raison quand sa foi de charbonnier lui suffit à éclairer son cerveau enténébré, à embraser son incandescent esprit dogmatique.
Il se tourne avec convoitise vers l’Occident afin de s’approvisionner économiquement pour couvrir ses besoins alimentaires mais, au lieu d’emboîter le pas à cet Occident industrieux et productif, s’entête à se diriger cérébralement vers cet Orient boiteux et gâteux pour s’instruire «intellectuellement», de manière à ravitailler passivement son être socialement atrophié en vacuités existentielles. Il vilipende la mentalité païenne, mais sa pratique islamique s’apparente à de l’idolâtrie, à observer comment, avec un fétichisme obsessif, il s’applique à imiter à la lettre les mœurs surannées d’hommes et de femmes des époques révolues, ces vestiges de coutumes antiques, notamment celles relatives à l’accoutrement en public et à la condition dégradée de la femme dans la société, au lieu de se conformer à l’esprit de sa religion censément évolutive. Il fustige les mœurs dépravantes des sociétés occidentales, mais il est prêt à dépraver son honneur pour traverser la Méditerranée afin de se blottir dans le giron mécréant de ces sociétés développées occidentales pécuniairement distributives.
L’Occident et nous
En Occident [1], on cultive les connaissances qui s’emballent, en Algérie, on jardine les connaissances tombales.[2] En Occident, on dissèque les corps pour le bénéfice de la science médicale ; en Algérie, on disserte sur les cadavres pour le plaisir de la mémoire banale.[3] En Occident, on se retrousse les manches pour produire l’avenir ; en Algérie, on détrousse à coups de manche le passé sans souci du devenir. En Occident, on se lève le matin pour bâtir la vie à la lumière du jour ; en Algérie, on se réveille pour perpétuer chaque jour la nuit. En Occident, on fait table rase du passé ; en Algérie, on s’attable autour du passé. En Occident, on se creuse la tête pour tirer de savants dynamiques savoirs ; en Algérie, on creuse les tombes pour déterrer les mêmes ossements de l’invariant savoir. En Occident, on débat à coups de théories modernisées pour s’imposer ; en Algérie, on impose sans combat rationnel ses obsolètes théories. En Occident, on compose dans le respect avec toutes les libres opinions ; en Algérie, on implose sans respect toutes les opinions libres. En Occident, on façonne la vie réelle à son image ; en Algérie, on se contente d’imaginer la vie sans la façonner. En Occident, on se hisse au Ciel pour le plier à sa volonté ; en Algérie, on aliène sa volonté au Ciel pour mieux le prier à genoux. En Occident, on se chausse le matin pour courir gagner au-delà de la fatigue sa vie ici-bas ; en Algérie, dès le matin on se déchausse à l’entrée de la mosquée pour quémander sans fatigue sa vie dans l’Au-Delà sans souci d’ici-bas. En Occident, on se bat pour arracher la liberté aux tyrans ; en Algérie, on se débat pour lâcher la bride aux tyrans. En Occident, on décline toute soumission aux puissances ; en Algérie, on incline avec puissance vers les soumissions. En Occident, on s’enrichit personnellement pour mieux construire son pays ; en Algérie, on déconstruit au mieux son pays pour bien s’enrichir personnellement. En Occident, on achève joyeusement la journée avec le plaisir du travail accompli ; en Algérie, on s’achève mortellement de déplaisir juste à l’évocation du travail pourtant jamais accompli la journée. En Occident, on élève ses enfants pour leur transmettre le Savoir ; en Algérie, on se transmet les enfants sans élever le savoir. En Occident, on nourrit l’espoir d’une vie toujours meilleure ; en Algérie, on vit toujours pour nourrir au mieux le désespoir. En Occident, on s’endort avec plein de rêves socioéconomiques à réaliser ; en Algérie, on cauchemarde juste à l’idée de réaliser un rêve socioéconomique. En Occident, on bâtit la modernité en tournant le dos aux traditions ; en Algérie, on s’adosse aux traditions pour bâtir la modernité.
M. K.
1- C’est par commodité que j’emploie le terme Occident (utilisé en contrepoint) pour désigner le monde capitaliste développé, arraché depuis longtemps à l’ancien mode de production féodal, et non par idéalisation du modèle spécifique occidental libéral. J’abhorre tout autant cette civilisation marchande capitaliste, fondée sur l’esprit de prédation et la mentalité de compétition que les sociétés archaïques sclérosées, régentées par des «morales» patriarcales surannées et des mœurs religieuses anachroniques, à l’instar de la société algérienne.
2- Allusion au ressassement de l’épopée de la Révolution algérienne et de ses martyrs instrumentalisée par le pouvoir.
3- Allusion au débat sur le rapatriement des crânes des résistants du XIXe siècle entreposés au Musée de l’Homme en France, au final récemment rapatriés en Algérie.
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