Les islamistes et la musique : rester vigilants face aux tentatives d’autodafés
Par Mesloub Khider – «Celui qui aime la musique cadencée finira par aimer les dictateurs», a dit Henri Salvador. Pour le paraphraser en le rectifiant, je dirai : celui qui aime uniquement la musique cadenassée finira par psalmodier des louanges à la tyrannie, à la servitude volontaire.
Ces dernières années, à de multiples reprises, à l’initiative de la mouvance islamiste, certains galas de musique, en particulier de musique raï, ont été annulés en Algérie, notamment à Béjaïa. En l’espèce, cela s’apparente à une entreprise de censure initiée par des islamistes monomaniaques de cantillation coranique et du chant du muezzin. Assisterons-nous à la résurgence de l’islamisme tentaculaire totalitaire en pleine santé pathologique politique ou simplement aux dernières salves de la bête immonde islamiste, blessée, assenant ses derniers chétifs coups de griffes politiques salafistes avant son extinction, avant de rendre son âme méphistophélique ?
Il y a lieu de demeurer vigilant devant les tentatives d’autodafés culturelles initiées par l’incendiaire mouvance terrorisante religieuse islamiste. Aujourd’hui, elle est parvenue à interdire les concerts de musique, jugée immorale à ses yeux, aveuglés par l’obscurantisme salafiste. Demain, elle sera capable d’immoler tous les artistes, enflammer tous les lieux de culture, pour matérialiser son programme mortifère politique islamiste, à l’instar des djihadistes de Daesh, ses chefs d’orchestre idéologiques, virtuoses des immolations humaines et culturelles.
A cet égard, il n’est pas inutile de rappeler comment, avec un art consommé de la mise en scène de la violence diaboliquement diffusée en direct sur les réseaux sociaux, les djihadistes s’étaient livrés à la destruction d’œuvres d’art en Afghanistan (dynamitage des bouddhas de Bamiyan), en Irak (saccage du Musée de Mossoul) et en Syrie (la cité de Palmyre), ces deux derniers pays témoins historiques d’une région berceau de la civilisation humaine. Sous couvert de condamnation de l’adoration des idoles et de la régénération de la pureté islamique, les djihadistes avaient revendiqué la destruction de ces sites culturels et cultuels antiques. Pour les djihadistes du monde entier, les attaques contre la culture s’intègrent dans leur schéma de destruction de toutes les œuvres artistiques, symboles de la liberté de la pensée (créative) et de la diversité culturelle (universelle). Leur entreprise de génocide culturel constitue un «crime contre l’humanité pensante et créatrice».
Pour revenir à l’Algérie, en dépit de nos divergents goûts musicaux, on doit s’associer pour empêcher la mise sous tutelle salafiste de la musique algérienne. L’Algérie est réputée pour la variété et la richesse de sa musique. Il faut protéger ce patrimoine culturel. En ce qui concerne le genre musical raï, depuis sa naissance, il a toujours eu ses admirateurs et, surtout, ses détracteurs. Pour notre part, on avoue n’être pas admirateur béat de la musique raï. Cependant, il ne s’agit que d’un point de vue personnel. Nous respectons donc les amateurs de la chanson raï. Par conséquent, nous nous interdisons de porter tout jugement moral sur ce genre de musique. Mais seulement un modeste avis personnel musical.
Au plan strictement musical, nous ne sommes pas amateur de la musique raï, à la fois pour la médiocrité de ses paroles itératives et pour la pauvreté de ses thématiques. Effectivement, la chanson raï brille par l’indigence de son lexique, par ailleurs truffé de termes argotiques. Souvent, la chanson raï est composée de quelques minuscules couplets réitérés tout au long du morceau musical. De surcroît, sa thématique demeure dérisoire et modeste. Contrairement au chaâbi et à la chanson kabyle, où toutes les thématiques de l’existence sont abordées, depuis la nostalgie jusqu’à la politique, en passant par la souffrance et l’espoir, la musique raï s’endiable souvent sur la même thématique, à savoir l’amour, chanté de manière graveleuse. Toutefois, pour nuancer notre propos, on doit reconnaître que le raï, eu égard au poids archaïque de la société algérienne, représente un genre de musique progressiste et subversif, qui plus est très écouté par la gente féminine. C’est cette dimension dissolvante des mœurs rétrogrades incarnée par le raï qui effraye la mouvance islamiste attachée au maintien des traditions patriarcales.
En tout état de cause, au nom de la liberté d’expression et de la création artistique, nous défendrons toujours la musique raï, notamment contre tous ses détracteurs, réactionnaires et islamistes.
Nous qui croyions que la musique adoucissait les mœurs ! Apparemment, en Algérie elle excite le tempérament agressif et belliqueux de certaines franges islamisées de la population. La musique est universelle. Elle appartient à toute l’humanité. Fruit des sonorités et tonalités de l’arbre planétaire musical aux racines diverses et variées, la musique nourrit de sa sève harmonique et mélodique toutes les oreilles mélomanes. Pourquoi tant de hargne, tant de haine contre le raï.
Depuis les années 1970, date généralement retenue pour faire débuter la musique dite «moderne» en Algérie, le paysage sonore brasse un large répertoire musical, une multitude de styles, depuis la musique moderne kabyle jusqu’au raï, en passant par le chaâbi modernisé et d’autres genres musicaux. Il semble qu’entre la chanson classique traditionnelle et la variété musicale moderne algériennes s’élève un mur infranchissable. Or, la musique contemporaine doit être abordée dans toute sa diversité.
Une musique trop «savante», supposément intellectuelle, aux thématiques musicales éthérées, restera à tout jamais «élitiste». Ce genre de musique cérébrale, savamment poétique, censé délivrer un message, largement répandu parmi les chanteurs kabyles et certains chanteurs de chaâbi, n’intéresse qu’une petite coterie d’initiés, un cercle restreint de mélomanes. La musique ne doit pas être réservée aux groupies, aux spécialistes des gammes acoustiques. Elle doit, par sa diversité, concerner tous les publics. A la morosité musicale traditionnelle élitiste, préférons les fulgurances de la musique vivante et vivace moderne, offerte notamment par le raï.
En fait, de manière générale, dans le domaine artistique, les tentatives novatrices musicales pour dépasser la tradition ont toujours été mal accueillies, acceptées avec réticence. En Occident, dans les années 1950 et 1960, quand la musique symphonique et populaire traditionnelle a décliné au profit des novations artistiques modernes portées notamment par le rock et d’autres formes musicales endiablées, ces nouveaux genres musicaux ont été farouchement condamnés. Pour ne citer que le rock, attaqué de toute part, cette nouvelle expression musicale atypique a été qualifiée de vulgaire. Ainsi, l’Algérie n’innove pas en matière de réaction contre la modernisation de la musique. Et l’histoire est riche de ce genre de réprobations. Au cours de l’histoire, de nombreux artistes ont subi les foudres de la critique pour leurs coupables audaces musicales, leurs créations iconoclastes. Leur genre artistique était accusé de dépraver les mœurs. Jusqu’à ce que, le temps ayant fait son œuvre, ces mêmes audaces artistiques apparaissent comme toutes naturelles, ces créations soient normalisées, ce genre artistique initialement jugé subversif devienne conformiste.
A toute époque, la musique contemporaine a besoin d’un temps de maturation plus ou moins long pour être agréée. Rappelons qu’il a fallu attendre le début des années 1980 pour que la musique raï soit diffusée sur les ondes radiophoniques officielles algériennes et sur les écrans de télévision.
Longtemps, les pionniers du raï ont été enterrés dans les caves des cabarets, cantonnés à la clandestinité, privés de sonorisations publiques, de salles de spectacle. Le raï était interdit de pénétrer dans les foyers car genre musical jugé immoral.
Mais, objectera-t-on, il faut tenir compte de la sensibilité «morale» du public. La pudeur doit inspirer le chanteur. Pour atteindre un large public, la chanson doit être portée par une composition décente et des paroles vertueuses. Or, en matière artistique, notamment au niveau musical, la morale ne doit pas s’immiscer dans la création d’une œuvre. Le gage de la liberté de penser de l’artiste se mesure à l’aune de l’innovation permanente de son œuvre, illustrée par la modernisation incessante de sa création. L’indépendance de l’art ne s’obtient qu’au prix de sa libération des conventions établies. La vertu de l’art est de révolutionner constamment sa création. Et non de demeurer, pour se conformer à la morale dominante de la société, prisonnier d’une culture artistique statique, fossilisée. Il semble donc qu’il faille changer de perspective et s’interroger, non sur l’adaptation de la musique au public, mais sur le degré de réceptivité du public, selon la musique qu’on lui propose. On en vient au problème de l’éducation du futur «consommateur» de musique.
La musique est une affaire de connaissance, de goût et surtout de curiosité. C’est la raison pour laquelle on ne doit pas laisser les islamistes façonner notre goût musical, au risque de nous dégoûter à jamais de la musique. On connaît la chanson islamiste. Elle s’est toujours jouée aux sons stridents de leurs couteaux égorgeurs de la vie, aux tonalités fracassantes de leurs bombes meurtrières, sur fond sonore du cri terrifiant d’«Allah Akbar» qu’ils profèrent lors de l’exécution de leur ballet terroriste contre leurs cibles innocentes anonymes. Il serait donc regrettable d’avoir peur de la musique raï sous prétexte qu’elle contrevient aux mœurs de la société (ou plutôt de leur société salafiste mortifère où aucune vie mélodieuse ne pénètre).
Restons au contraire en éveil pour explorer la musique dans toute sa diversité. Et surtout demeurons vigilants contre les tentatives islamistes de ligoter la musique en particulier, et l’art en général. Face aux islamistes, défendons, sans jeu de mots, notre opinion (raï), n’écoutons pas leur conseil (raï), suivons notre choix (raï) !
«Quand la musique pleure, c’est l’humanité, c’est la nature entière qui pleure avec elle.» (Henri Bergson.)
M. K.
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