Nationalisme, identité, religion et surdose idéologique
Par Ali Akika – Voilà des mots et des notions «victimes» d’overdose idéologique qui détourne de leur sens premier ces trois catégories idéologiques au profit d’un but politique. Ce détournement du sens de ces notions est fait en vue de capter l’adhésion pour tremper des gens attachés à ces éléments constitutifs de l’identité et de la conscience nationale. Ce marché de la désinformation a pris de l’ampleur chez nous peu après l’indépendance. A force d’être utilisé abusivement et au ras des pâquerettes, ces notions s’usent et se délitent.
Et ce délitement est une preuve de l’impuissance des idéologues à comprendre les bouleversements et leurs conséquences sur la société. Faute de mots, et en l’absence de concepts qui saisissent de nouvelles réalités, «nos» idéologues font appel à des mots et des raisonnements qui affichent leur nudité intellectuelle devant l’inconnu qui émerge. Les contradictions politiques sont passées à leur moulinette pour être lessivés pour qu’ils puissent ensuite les estampiller du sceau de leur vérité.
Dans l’Algérie colonisée, le peuple faisait bloc contre l’occupation. Il se reconnaissait dans ces notions fusionnelles qui constituaient la matrice culturelle et historique du pays. A l’indépendance, les divergences qui existaient déjà dans le mouvement national se sont transformées en vagues qui grossissaient jusqu’à se transformer en tempête d’abord pour la conquête du pouvoir à Alger et ensuite provoquant le coup d’Etat du 19 juin 1965. L’explosion de ces contradictions a mis en évidence l’existence de différentes conceptions de la nation. Nationalisme contre l’occupant, nationalisme chauvin et intolérant, patriotisme défenseur d’un territoire et de son histoire, autant de définitions qui mesurent le fossé politico-philosophique au sein du mouvement national.
Quant à la religion et à l’identité, elles connurent à l’indépendance un «répit» relativement court avant d’entrer en scène dans le paysage social et politique. Mais avant d’aborder les ingrédients de ces trois catégories, un petit détour est nécessaire pour définir grosso modo l’idéologie ces trois notions. L’idéologie est une construction intellectuelle constituant un corpus d’idées et de croyances qui forment la matrice d’une vision du monde et des choses. Une vision censée répondre aux interrogations et aux problèmes qui se posent à toute société. A ne pas confondre avec la politique qui, elle, outre qu’elle gère le quotidien de la société à travers des institutions, repose sur des réalités concrètes traversées de multiples contradictions. Contrairement à l’idéologie, la politique entretient avec le réel et une pensée philosophique un rapport dialectique produit de l’histoire de chaque société.
La nation, concept «moderne», fut une entreprise de construction à la fois économique et politique. Cette construction fut mouvementée, longue et laborieuse car elle se faisait contre les pouvoirs de droit divin et contre une économie féodale qui «bloquait» l’économie de marché naissante. En gros, la nation c’est un territoire où vivent des populations autour d’idées et idéaux d’une nouvelle vision du monde. (1)
La religion n’est pas forcément liée à un territoire, ni à une langue. Elle se veut universelle et la source de son message est Dieu, maître de l’univers selon les croyants.
L’identité : cette notion n’est pas tributaire d’un seul élément et n’est pas non plus figée par le dogme d’un sacré. C’est une catégorie historique et idéologique, qui se transforme sous les effets de l’histoire et de la culture et celle-ci, à son tour enrichit et agit sur son environnement. Elle épouse donc pleinement les dynamiques de la vie et devient un acteur parmi les autres acteurs qui concourent à une conscience nationale et à la personnalité de la société. Qui dit liens avec l’histoire, la langue, la culture, dit idéologie, donc émergence de contradictions à la fois politique, sociale et culturelle.
Ainsi, les trois notions que l’on vient de survoler entretiennent des rapports chacune à sa façon avec l’idéologie. Celle-ci est un facteur qui bouscule les archaïsmes et autres blocages, favorise l’ouverture sur le monde, etc. Mais elle peut aussi être un lieu d’enfermement et de repli sur ses «propres vérités» quand elle tombe dans les pièges du dogme. Ce dernier s’entend aujourd’hui comme relevant du divin, donc de l’impensé. Or, le politique, art suprême (Aristote) ne nie pas le rôle ou le compagnonnage de l’idéologie. Il se méfie de celle qui cultive le déni du réel, signe de l’ignorance ou d’une forme de pensée qui tourne le dos à la rationalité. Le déni du réel est souvent comblé par une surdose de l’idéologie. La religion, l’identité, le nationalisme sont à cet égard perméables aux pesanteurs des archaïsmes d’un héritage historique et du conservatisme en général, un foyer qui favorise le repli nourri par le dogmatisme.
Le dogmatisme touche toutes les familles politiques et déclenche des luttes et des violences à l’intérieur même d’une même famille. Il est «mal vu» car il discrédite ladite famille et la renvoie dans une posture politique qui oscille entre le pathétique du vide de la pensée et de l’incapacité à s’adapter à de nouvelles réalités. Car l’intelligence politique se caractérise précisément par une capacité à affronter les luttes sur un champ de bataille…. Découvertes scientifiques, enrichissement de la pensée, tensions sociales autant de facteurs qui introduisent la nécessité de se libérer du dogmatisme pour pouvoir transformer la pratique politique et mieux agir sur les réalités sociales et politiques.
Ainsi, le dogmatique se fixe un but sans tenir compte des paramètres historiques, préférant s’appuyer sur quelque fantasme comme présupposé idéologique. Le dogmatique use et abuse de comparaisons, fait faire des contorsions à l’histoire ou à la logique des choses dans une vaine tentative de transformer son présupposé idéologique en vérité. Ce type de pratique idéologique embourbée dans des incohérences tout en débitant une litanie d’idées fait penser à une machine qui remonte le temps sans imagination, ni curiosité poétique.
Les raisons à l’origine de l’overdose idéologique
Commençons par le nationalisme. Comme je l’ai signalé plus haut, le mouvement national dès sa naissance a été traversé de divergences pour ne pas dire de contradictions aiguës. La cohabitation s’est imposée face à l’occupant mais aussi parce qu’aucun parti politique ne pouvait faire taire ces contradictions. Le FLN, une fois la lutte armée déclenchée, imposa son hégémonie par la discussion mais aussi par la force contre le MNA (messaliste).
A l’indépendance, face à l’opposition de chefs historiques, des interdictions de partis politiques et d’une façon générale l’absence de toute expression en dehors du FLN, le nationalisme n’était plus la chasse gardée de ce parti. Les soubresauts, les remous politiques et sociaux étaient «résolus» par la police politique. Les méthodes policières utilisées et l’échec du développement économique et social vont faire glisser le régime vers un nationalisme étriqué qui l’ont amené à traiter toute opinion critique et toute manifestation populaire de contre-révolutionnaire en y voyant la main de l’étranger. Aussi le pouvoir tomba-t-il dans le piège de la déviance idéologique. En se répétant, cette déviance se transforma en overdose qui poussa le FLN à faire du pied à la religion.
Cette «ouverture» renseignait deux choses sur le pouvoir. Son incapacité à construire des valeurs qui «séduisent» la société comme le firent, par exemple, les bourgeoisies européennes grâce à la philosophie des lumières. La deuxième chose, il permit aux catégories sociales conservatrices de manipuler, de s’emparer de la religion pour s’en servir de levier politique. On le sait, le «commerce» de la foi est, a été toujours «rentable» ailleurs et de tout temps. La société fut peu à peu soumise à une infernale et inlassable conquête des esprits sous prétexte que tous les malheurs du pays, même les tremblements de terre et les inondations étaient une punition de Dieu. La société ainsi «égarée» devenait un champ à ensemencer pour retrouver le droit chemin. Cette surdose de religiosité a aveuglé les auteurs de cette entreprise qui niaient trois choses essentielles : l’anthropologie, l’histoire et le présent de la société algérienne. Ils avaient cru que le vide idéologique et la misère matérielle allaient bousculer ces trois piliers (anthropologie, histoire et présent) (2). Cet aveuglement explique leur échec et leurs déboires.
L’identité est une œuvre architecturale qui épouse méticuleusement la géographie et l’histoire et dont les matériaux sont divers. Matériaux qui sont tous des produits de l’histoire. Ce sont les modes de vie et leurs pratiques culturelles, la où les langues, la religion souvent née ailleurs mais «teintée» des coutumes locales. En tant que produit de l’histoire, ses capacités à intégrer les nouveautés de la vie lui permettent d’entretenir un lien «secret» entre le passé et le présent qui sont la matrice de la conscience d’appartenance à une société, un pays.
L’identité a beau être une sorte de sirène de l’histoire, son mystère et sa beauté ne la met pas à l’abri de cette même histoire. L’histoire est une «fille» du Temps et celui-ci, insaisissable, échappe aux moyens et désir de l’Homme (Spinoza). C’est pourquoi les crises provoquées en cours d’histoire malmènent, fragilisent les identités. On assiste alors à une fuite en avant de certains qui se replient sur eux-mêmes. L‘overdose idéologique est leur arme de défense. Cependant, le lien entre l’anthropologie et l’histoire en perpétuelle évolution et construction permettent à l’identité d’être à la fois «assise» sur de fortes racines et de se projeter dans le futur. Les identités fortes qui ont échappé aux tragédies de l’histoire ont pu créer des mythes ou des légendes du couple anthropologie/histoire. L’âme russe, le village gaulois, le rêve américain, Sindbad, les Samouraïs, ce sont, certes, des constructions intellectuelles et culturelles qui reposent, cependant, sur de grandes œuvres de la vie culturelle et politique de ces pays.
A travers ce «voyage» dans les contrées arides de l’idéologie ayant engendré des overdoses qui ont touché tout le spectre de la société algérienne, il reste à interroger le déni du réel que l’on masque du voile d’une overdose de l’idéologie. Cette «maladie» qui n’a que trop duré touche aussi bien l’homme de la rue que les appareils censés produire un discours qui permettrait d’affronter les bouleversements que connaît le pays. L’absence de nouveaux concepts ou simplement la réappropriation de ceux qui existent déjà explique ces dérives idéologiques qui étouffent le paysage politique. Du coup, aux yeux du nationaliste chauvin on est traître ; du religieux borné, on est mécréant et de l’obsédé identitaire, on est aliéné etc.
Comme toujours, l’antidote, contre une quelconque overdose, est l’histoire. Celle-ci est représentée par un récit national à la hauteur de l’histoire, de ses légendaires combattants, ses grands politiques et des monuments de la littérature et de l’art en général. Tous ces personnages d’un pays sont de grands voyageurs qui, au cours de l’errance dans l’histoire de leur pays, font connaissance avec les racines anthropologiques de leur société, de ses femmes et hommes qui font des rencontres avec des amours avec qui ils font leur nid. D’où l’expression dans le monde entier de «l’amour du pays» ou bien «le pays me manque», rihet lebled, une belle image bien de chez nous.
A. A.
1- Un des facteurs qui explique l’expansion de l’islam, c’est son adaptation à la société qu’il veut islamiser. On le voit à travers l’art, en général, et les mosquées, en particulier, dont l’architecture diffère d’un pays à un autre. Quand je pense qu’on voulait faire le contraire chez nous. Changer nos habitudes alimentaires et vestimentaires. Ah quand la vraie aliénation nous tient. Le chemin est encore long avant que la lumière n’éclaire toute la société dans un pays gorgé de soleil.
2- La bataille de Valmy est un symbole de la victoire de la révolution contre les monarchies européennes, victoire qui unifia autour de la République la nation.
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