L’éveil national entre la Mosquée d’Alger et la mosquée révolutionnaire de Niemeyer
Par Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati – «A lutter avec les mêmes armes que ton ennemi, tu deviendras comme lui.» (Friedrich Nietzsche). L’USTA, l’EPAU, l’Université de Constantine et la Coupole du stade 5-Juillet, quatre sites mythiques pensés et conçus par un architecte légendaire : le Brésilien Oscar Niemeyer.
Architecte, entre autres, du siège des Nations unies, au cours d’une carrière exceptionnellement longue et illustre, il a imprégné son travail d’un puissant sens d’humanisme et d’un engagement progressiste sur tous les continents.
Remarquablement, ses réalisations ne sont citées que très rarement dans les manuels et les journaux français. Pourtant, de l’avis même de l’architecte, sa période algérienne fut une époque bénie, il y donna la pleine mesure de son talent, notamment lors de la conception de l’Université de Constantine qui constitue, pour lui, une œuvre majeure en dehors du Brésil.
Concomitamment, et au même titre que les architectes Hassan Fathy et Zaha Hadid, Oscar Niemeyer ne pouvait concevoir une architecture inerte. Pour lui, toute architecture est porteuse de vie et son âme ne saurait être que d’essence révolutionnaire.
Mais de quelle essence révolutionnaire s’agit-il ?
La révolution dans sa genèse doit être universelle. Elle engage toute pensée de l’histoire, toute philosophie afin de diagnostiquer le présent récusant ainsi tout particularisme, en premier occidental, voire ensuite français, sous toute forme politique que ce soit.
Conséquemment, il faut analyser la phase contestataire de notre pays, c’est-à-dire celle d’un éveil national comme tel : un mouvement transcendant les particularismes politiques projetant une phase non encore institutionnalisée autour de la notion d’un projet politique rassembleur qui va, elle, abraser les aspirations populaires en premier à plus d’émancipation, de tolérance et surtout de remise en cause de concepts biaisés.
Et c’est là que le bât blesse !
En Algérie, une frange de gens éduqués aujourd’hui ne s’intéresse au changement que si elle peut le draper d’une laïcité prêt-à-porter, la Révolution identifiée à la Révolution française comme référent ultime.
Mais une lecture rationnelle de l’histoire dévoile bien le lien intime entre spiritualité et politique qui a habité, sur des modes différents, toutes les révolutions des XVIIe et XVIIIe siècles, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en France, et qui semble faire l’objet d’une mémoire oublieuse. Dans son entêtement et son dévoiement, la Révolution française récuse toujours la spiritualité catholique et son rôle fondateur dans l’initiation de l’insurrection de 1789.
Or, par une analyse fine, on constate que l’éveil national convoque une notion encore plus subtile qu’on peut appeler «spiritualité politique» qui évoque «un mouvement traversé par le souffle d’une religion qui parle moins de l’Au-Delà que de la transfiguration du présent».
Cette transfiguration de l’ici-bas se fait grâce à la dimension religieuse même car, dans le Coran comme dans les canons de la laïcité, la communauté peut résister à l’oppression : «C’est la justice qui a fait la loi et non la loi qui a fabriqué la justice. Il faut défendre contre le pouvoir corrompu, la communauté des croyants.»
Les laïcs invoquent, eux, un «droit de résistance à l’oppression» dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui emprunte beaucoup aux premiers synodes où les croyants avaient gagné contre des prélats pervertis, ce que le jansénisme rappelle régulièrement.
Les Algériens, quand ils marchent, inscrivaient leur faim, leur humiliation, leur haine face à l’injustice aux confins du ciel et de la terre, dans une histoire rêvée qui est tout autant religieuse que politique.
Les contenus imaginaires de l’éveil national ne se sont pas dissipés au grand jour chaque vendredi. Ils sont inlassablement transposés sur une scène politique qui paraît toute disposée à les recevoir, mais qui est en fait de toute autre nature.
Il est primordial de restituer alors au présent de l’histoire ses potentialités en remarquant que la spiritualité politique ne relève pas d’activité politique au sens classique.
L’éveil national n’a pas subi cette loi des révolutions qui ferait, paraît-il, ressortir sous l’enthousiasme aveugle la tyrannie qui les habitait déjà en secret. La spiritualité à laquelle se référent ceux qui marchèrent chaque vendredi est sans commune mesure avec les tenants conflictuels des années 1990. D’où l’impératif, là justement, de faire ressortir ce qu’il y a de non-réductible dans un l’éveil national – nous ajouterons de non-réductible et de non-manipulable, donc dans l’enthousiasme noué à la spiritualité politique.
Ce 1er Novembre sera inaugurée la Grande Mosquée d’Alger, qui lavera irrémédiablement cette terre des souillures historiques de la Grande Fille de l’Eglise catholique et de son valet, le cardinal Lavigerie.
A la jeunesse algérienne ensuite, porteuse de l’éveil national de concrétiser et dans la paix le projet inachevé d’Oscar Niemeyer afin de nous guérir des blessures d’un rêve qui nous hante, celui d’une Algérie apaisée, plurielle et toujours révolutionnaire.
K. B./K. Z.
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