Une contribution d’Azar N-ath Quodia – La France, l’islam et l’islamisme
Par Azar N-ath Quodia – «La science sans conscience n’est que ruine de l’âme», disait Rabelais. De même que la pratique d’une religion sans conscience n’est qu’une bombe à retardement. J’ai longuement médité avant d’agir pour dénoncer ce crime abominable que nul mot ne peut réellement qualifier. Ce qui vient de se produire à quelques encablures de Paris, l’assassinat d’un professeur par un islamiste, est un acte barbare de trop. Samuel Paty, ce papa de 47 ans, incarne à lui seul toutes les valeurs de la société française. Ce terrible homicide me rappelle, dans les mêmes circonstances, le lâche assassinat de mon professeur d’histoire-géographie, Hcene Yousfi, après une attaque terroriste ciblant le bureau de poste d’Aghribs (Algérie) en plein mois de Ramadhan de l’année 1995.
Il est évident que les carnages perpétrés en France ces dernières années révèlent des lignes de fractures qui se sont aggravées depuis le début des années 2000, période tragique communément qualifiée en Algérie d’«années noires», car elles recouvrent la décennie de terrorisme islamiste.
Désormais, dans une courte rétrospective, récapitulons les événements qui se sont déroulés au cours du mandat présidentiel de François Hollande, quand son ministre des Affaires étrangères avait prononcé cette fameuse phrase indélébile : «Al-Nosra fait du bon boulot.»
A cette époque, en Syrie, les djihadistes décapitaient à tours de bras et exhibaient les têtes sectionnées de militaires et civils syriens qui étaient à la solde du régime de Bachar Al-Assad, lequel, rajoute le même ministre des Affaires étrangères, «ne mérite pas d’être sur terre». Aucune image, ni aucune nouvelle des exploits de ces rebelles dits modérés, soutenus énergiquement par les autorités françaises, n’est diffusée en ces jours de deuil national par les journaux des médias propagandistes français qui tournent en boucle.
De même que, deux décennies plus tôt, ce danger palpable fut étouffé quand d’autres terroristes islamistes proclamés «combattants de la liberté», à la demande du Premier ministre bosniaque, un affidé de Ben Laden, commettaient leurs terribles forfaits en Bosnie aux dépens de soldats et civils serbes pour contribuer, au profit de l’Occident impérialiste, au démembrement de la Yougoslavie de l’infâme tyran des Balkans, Slobodan Milosevich. Une partie de ces héros de la «croisade démocratique» pour un changement de régime sera ensuite transférée en Tchétchénie, en Syrie et en Irak pour se livrer à d’autres atrocités, en vue du même objectif avec, encore, l’appui de l’Occident.
Dès lors, comble du désespoir, des intellectuels-réformistes-takfiristes se sont mis à semer la mort de manière aussi peu civilisée sur les terres de l’Occident, et plus particulièrement dans la patrie des droits de l’Homme.
Le dernier assassinat en date a donc été commis par ce jeune homme d’origine tchétchène, né à Moscou. Il faisait partie d’une famille de «réfugiés», soi-disant «politiques», établie en France depuis plus d’une dizaine d’années. «Mais il est né à Moscou», rétorquent les médias mainstream pour insister sur sa nationalité russe. Encore un coup de Poutine ? Indirectement. Le père du tueur avait activement soutenu des terroristes tchétchènes alors que le président russe s’était promis en 1999 d’«aller les buter jusque dans les chiottes». D’où l’exil forcé de la famille, accueillie en France en 2009, bien qu’elle aurait dû être fichée «S», à en juger l’avis de la Cour nationale du droit d’asile qui fut rejeté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Sitôt l’identité de l’auteur de la décapitation connue, l’ambassade de Russie, par la voix de Parinov, a habilement répliqué : «A titre officiel, l’individu habitait en France depuis 12 ans.» Et d’ajouter : «Il importe plus de savoir où la personne s’est radicalisée et a emprunté la voie du terrorisme, condamné par la Russie dans toutes ses manifestations, que son lieu de naissance.»
Mais, qu’il se rassure, Emmanuel Macron qui s’est précipité à Conflans-Saint Honorine sitôt le meurtre divulgué, n’a pas manqué de promettre solennellement : «Ils ne passeront pas !» Menace destinée aux autres coupeurs de têtes potentiels qui, comme le déplorent certains, peut paraître bien timide pour condamner l’obscurantisme et la violence. Ira-t-il jusqu’à les «buter dans les chiottes» ?
Dans la continuité de ce fiasco politique causé par les dirigeants français, d’ici 50 ans maximum, les Français, vraisemblablement, deviendront apatrides, chercheront asile dans d’autres pays. La France sera réduite au rang d’une Palestine européenne.
L’islam des lumières, s’il perce, ne devra pas être sténographié dans la haine de l’autre et dans ses concepts djihadistes. L’unilatéralisme et l’esprit benêt de la majorité des prédicateurs musulmans mènent les fidèles droit vers l’écurie. L’islam a besoin d’un investissement intellectuel ; «la beauté sauvera le monde», si l’on en croit les paroles de Dostoïevski dans L’Idiot.
Autre écueil déplorable, la France a tout fait pour que l’Afrique du Nord n’ait plus d’autres repères hormis l’appartenance «arabo-islamique». En premier lieu, sur les bancs des accusés, Napoléon III avec son rêve prophétique de royaume arabe, lequel, en menant sa politique des bureaux arabes, a causé une césure et une aliénation profonde chez les autochtones. Il y a bien eu une complaisance métropolitaine dans cet islam rétrograde, devenu plus tard antioccidental.
Quant à l’influence puissante des médias, notamment des grandes chaînes de télévision, mon opinion ne pourra être que véhémente vis-à-vis d’elles ; je les qualifie de déversoirs de haine. Qu’elles émettent depuis l’Orient ou l’Occident, jamais elles ne prônent l’amour des autres, la paix entre les peuples. Tous ses protagonistes sont motivés par l’égo et la démesure. Il est si facile et si délicieux de briller aux dépens des autres et d’ânonner en blâmant des peuples qu’ils ont colonisés et qui, eux-mêmes, symbolisent le vice de leurs abêtissements.
L’amour, ce mot magique comme un soleil, comme une eau douce, ce crépuscule boréal, hélas, n’a jamais été le leitmotiv des médias. Ni l’école, ni la famille, ni la politique des Etats n’ont réussi à contenir les avancées idéologiques. On ne peut donc négocier les dogmes et les idéologies. On a beau tourner les théorèmes et les philosophies par autant de démonstrations et de raisonnements, la conclusion est immuable, toujours égale, sans appel : l’amour pour le monde converge vers toujours plus de possession et de jalousie entre les êtres humains.
Autrement, on remarquerait que, dans le Coran, sur 6 300 versets, 5 seulement contiennent un appel à tuer.
L’islam a-t-il besoin d’un aggiornamento ? Les musulmans d’aujourd’hui ne devraient-ils pas relancer un débat critique qui s’est interrompu depuis huit siècles, quand l’ère du califat abbasside (mutazilite) a pris fin ? Les mutazilites, terme provenant du verbe isoler, ont initié un mouvement théologique animé par la volonté première d’introduire une forme de rationalité dans la compréhension du phénomène religieux et l’affirmation de l’existence d’une volonté humaine libre et autonome. Cette mouvance de l’islam prétendait rejeter l’anthropomorphisme divin et réfutait l’aspect incréé du Coran. Le mutazilisme mettait en avant le libre arbitre comme il recourait à l’usage des outils rationnels de la philosophie.
C’est ainsi que la théologie mutazilite s’est développée sur la logique et le rationalisme, inspirée de la philosophie grecque et de la raison. N’avons-nous pas besoin d’un luthérien à l’image d’Averroès pour affranchir cette religion des monarques et des grands muftis ? Des intellectuels musulmans y sont prêts, mais ils ne font pas le poids face au discours intégriste. Il est impossible de penser à une démocratie musulmane, comme il n’existe, d’ailleurs, pas de démocratie chrétienne, ni de démocratie juive.
En revanche, la tradition islamique peut justifier les principes de la démocratie, tel l’Etat de droit, ou amorcer une forme de séparation entre l’Etat et la religion. Toutefois, la laïcité dans sa forme la plus rigoureuse, à la française, est difficilement envisageable. Certains, comme le regretté historien, philosophe et islamologue Mohamed Arkoun, ainsi que Ghaleb Bencheikh et son frère Soheïb Bencheikh, l’ancien mufti de Marseille, affirment que la société musulmane peut être laïque. Mais, pour la majorité des penseurs musulmans, un sécularisme, où le respect de l’Etat de droit s’accompagne d’une sauvegarde de la sphère religieuse, est plus acceptable.
Enfin, les universités du monde occidental ont ouvert des instituts et des laboratoires de recherches consacrés à la théologie où prend place un débat critique sur l’islam. Il ne reste plus qu’à espérer que cette initiative s’étende également dans le monde dit musulman.
De tout cœur avec la famille de Samuel.
A. N.-Q.
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