Détournement de l’Airbus d’Air France en 1994 : le récit d’un membre du GIGN
Par Mohamed K. – Les yeux imbibés, la voix chevrotante, le débit saccadé, Jean-Luc Calyel est revenu sur l’assaut donné par le GIGN lors de la prise d’otages qui avait eu lieu en décembre 1994 à l’aéroport international d’Alger, avant que l’avion fût autorisé à s’envoler pour Marseille à la demande exprès des terroristes du GIA. C’est lors d’une émission diffusée par la France 2, à laquelle quatre officiers du corps d’élite de la gendarmerie française, dont le fondateur Christian Prouteau, ont pris part, que l’officier a raconté dans le détail les vingt minutes qu’a duré l’offensive après soixante-douze heures d’interminables souffrances pour les passagers, algériens dans leur écrasante majorité.
Jean-Luc Calyel explique que les éléments du GIGN connaissaient la configuration de l’avion. «On s’entraîne sur les avions tout le temps. On les connaît par cœur. Et cet avion aussi», a-t-il affirmé. «On savait qu’il y avait un terroriste à la porte arrière droite, on savait qu’il y avait des tirs à l’avant droit», a-t-il ajouté, en soulignant que les terroristes avaient été localisés. «Le premier réflexe que j’avais eu était de me dire que quand j’allais ouvrir la porte, j’allais trouver le premier terroriste puisqu’il était posté devant la porte arrière droite, mais c’était une erreur car quand nous avons ouvert la porte, c’était le noir complet dans la cabine», a confié l’officier.
«On entre. On est dans l’action. Chacun connaît ses objectifs, sa mission. Pour ma part, c’était de prendre l’allée droite jusqu’au cockpit. On avance dans le noir. On sait que les passagers ne parlent pas forcément le français. On crie gendarmerie ! et on entend déjà des tirs. Il faut imaginer que nous sommes dans un tube, pas d’échappatoire, la seule protection c’est la protection personnelle – gilet et casque», raconte Jean-Luc Calyel. Et de poursuivre : «On avance. On plaque les gens au sol. On voit des passagers qui rampent, de la fumée, des dossiers rebondissent, les collègues [sont] chargés d’ouvrir les portes et percuter les toboggans. Les passagers sont évacués et on entend gémir de douleurs. Quand on arrive au premier galet qui mène vers le cockpit, on voit des passagers mais aussi nos copains touchés.»
«On aurait aimé qu’ils (les terroristes, ndlr) se rendent, mais leur formation est presque militaire, ils ont un objectif et ils y vont jusqu’au bout. On est allé jusqu’au bout également. On a eu la chance de sauver 172 passagers, de préserver nos copains qui étaient gravement touchés», a rappelé le gendarme français. «Les passagers nous passent entre les jambes, en rampant comme de vrais soldats. On applique des tirs au-dessus pour protéger nos copains, protéger les passagers et neutraliser le dernier terroriste qui ouvrait le feu à quatre pattes à la sortie du cockpit», a-t-il indiqué.
«Ce n’était pas facile car, à mesure qu’on avançait, on voyait le canon sortir du cockpit avec des flammes, on reculait. On reculait et on avançait jusqu’à ce que les flammes se tassent. Et, là, nous entendons : arrêtez, ils sont morts ! Les terroristes ont été pris en étau par nous de l’intérieur et nos tireurs de l’extérieur. On a demandé à l’équipage de sortir les mains sur la tête car nous ne savions pas qui ils étaient vraiment. Quand la mission s’arrête, on passe d’un moment violent de détonation, d’odeur de sang à un silence absolu», se rappelle encore Jean-Luc Calyel.
L’officier français a décrit un «rapport chaleureux» qui est «né instantanément» dans l’avion qui avait ramené les otages et les membres du GIGN à Paris. «Des Algériens nous regardaient avec des yeux larmoyants et nous remerciaient», se souvient-il, ému, en ajoutant que le ministre de la Défense, François Léotard, leur avait demandé de permettre aux otages libérés de descendre les premiers. «Nous ne mesurions pas l’impact de cette mission qui a eu un rayonnement mondial. Nous ne l’avons réalisé qu’à notre arrivée [à Paris]», a-t-il dit.
«Au pied de l’avion, nous avions été accueillis par une haie d’honneur. Et ce que j’ai vécu de plus touchant à cet instant, c’est quand les policiers nous ont serrés dans leurs bras», a confessé Jean-Luc Calyel, en concluant que «ce qu’on donne, on nous le renvoie au centuple».
M. K.
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