L’émancipation de l’Algérie passe par la renaissance du sphinx Sonatrach
Par Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati – La société publique algérienne des hydrocarbures Sonatrach est une des compagnies énergétiques les plus importantes du monde, représentant au moins 30% du PIB algérien et possédant d’importantes parts de marché dans la livraison de gaz naturel en Europe. En dépit de toutes les critiques, la Sonatrach fait partie des plus grandes success stories du continent africain.
Genèse d’un pionnier africain des hydrocarbures
La Sonatrach (Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation, et la commercialisation des hydrocarbures) a été créée le 31 décembre 1963. Son objet social se limitait alors au transport et à la commercialisation du pétrole et du gaz extrait sur le territoire algérien. Seules les entreprises françaises étaient autorisées à exercer dans l’amont. Mais les accords d’Evian pour mettre fin à la guerre d’Algérie viendront progressivement changer le statut de l’entreprise. Ils permettent au gouvernement algérien d’exploiter pleinement les permis de recherche et de réviser le code pétrolier jusque-là en vigueur et mis en place par la puissance coloniale.
La société se lance tête baissée dans la recherche pétrolière puis, très vite, prend conscience du potentiel gazier national. C’est ce dernier combustible qui fera, des années plus tard, sa force.
L’entreprise construit, en 1964, un premier oléoduc long de 805 km, dénommé OZ1, qui relie Haoud El-Harma à Arzew, un point devenu stratégique pour l’aval pétro-gazier dans le pays. Plus tard, elle s’y dotera de son premier complexe de liquéfaction de gaz naturel GL4Z.
Cette emprise sur le secteur n’est pas du goût des compagnies internationales qui n’ont de cesse de se plaindre.
En 1971, le président Houari Boumediene décrète la nationalisation de la société. Ce geste sera de tout temps considéré par les analystes comme le socle de la réussite de Sonatrach. L’Etat confie à la société la tâche de gérer et développer toutes les branches de l’industrie pétrolière et gazière algérienne.
La règle du 51/49 : décriée mais efficace
Malgré la nationalisation du pétrole et du gaz, Sonatrach concède 49% des projets d’exploitation au secteur privé, généralement des compagnies internationales. Elle s’assure une participation majoritaire de 51%. Cette disposition permet à la société de récupérer d’importantes ressources financières issues de la commercialisation des combustibles. Les revenus tirés de l’exploitation du gaz et du pétrole sont donc majoritairement réinjectés dans l’économie.
Ailleurs, au Nigéria ou encore en Angola, les sociétés publiques du pétrole et du gaz ne contrôlent que de faibles participations sur les grands projets. Ces participations excèdent rarement les 25%. Et les futurs producteurs, comme le Sénégal, la Mauritanie et le Mozambique, ont négocié des parts moyennes bien inférieures.
Entre les années 80 et 2000, la production de pétrole et de gaz ne cesse d’évoluer avec le lancement des infrastructures de transformation. Durant les années 2010, des affaires de corruption affectent l’entreprise qui affiche plus de résilience que de nombreuses entreprises énergétiques, malgré de légères baisses de résultats.
En 2017, un rapport de la Banque mondiale indique que la société pèse 58,7 milliards de dollars. Dans le classement des compagnies africaines d’exploitation, elle devance de loin la Sonangol (22,2 milliards de dollars) ou encore la société sud-africaine de communication MTN (17 milliards de dollars).
En 2017, malgré un recul des investissements dû à la baisse des prix du pétrole qui sévit depuis 2014, le chiffre d’affaires de l’entreprise publique s’élève à 33 milliards de dollars, contre environ 28 milliards de dollars l’année précédente. Ceci s’ajoute à une production primaire qui a grimpé de 2% sur la période pour atteindre 197 Mtep, bien qu’à ce niveau la production de brut ait reculé à cause de l’accord de réduction de l’offre des pays de l’Opep dont l’Algérie est membre.
Sonatrach occupe la 28e place dans le classement des plus grandes compagnies pétro-gazières du monde (Word Atlas).
Cependant, cette emprise sur le secteur n’est pas du goût des compagnies internationales, valets d’un ordre mondial, qui n’ont de cesse de se plaindre des conditions financières dissuasives pour l’investissement dans le secteur. Elles estiment que les revenus tirés de l’exploitation des hydrocarbures ne sont pas suffisants et prônent une réforme en profondeur du code pétrolier en vigueur dans le pays. Elles accusent la classe politique de promouvoir des politiques pétrolières conservatrices.
Une présence mondiale parmi les grands majors
Selon un classement du site spécialisé américain Word Atlas datant de 2016, Sonatrach occupe la 28e place dans le classement des plus grandes compagnies pétro-gazières du monde. Les dix années précédentes, elle avait réussi à se maintenir à la 12e position devant de nombreuses compagnies de renom. Ce recul s’explique par les effets de la crise pétrolière de 2014 qui a sérieusement affecté ses finances. Grâce aux compétences de Sonatrach, l’Algérie est le premier producteur africain de gaz naturel, le 9e du monde.
Malgré tout, Sonatrach reste parmi les plus importantes compagnies pétrolières de la planète, une position qui s’explique par une maîtrise de toute la chaîne de valeurs du pétrole et du gaz.
La société possède des dizaines de milliers de kilomètres de canalisations qui transportent le pétrole et le gaz, tant en interne qu’en externe. Elle possède des gazoducs qui lui permettent de satisfaire la demande d’une partie de l’Europe en gaz naturel (essentiellement France, Espagne, Italie). Ces gazoducs passent par la Tunisie ou encore le Maroc pour atteindre l’un des marchés du gaz les plus dynamiques du monde. Dans le nord de l’Afrique, des pays comme la Tunisie ou le Maroc bénéficient également du gaz algérien.
Grâce aux compétences de Sonatrach, l’Algérie est le premier producteur africain de gaz naturel, le 9e du monde avec plus de 100 milliards de mètres cubes extraits en 2017. Elle est aussi le troisième producteur africain de pétrole brut (1,5 million b/j) derrière le Nigéria et l’Angola. Grâce aux compétences de Sonatrach, l’Algérie est le premier producteur africain de gaz naturel, le 9e du monde avec plus de 100 milliards de mètres cubes extraits en 2017.
Dans l’amont pétrolier, Sonatrach contrôle aussi des actifs d’exploration au Mali, en Tunisie, au Niger, en Libye, en Mauritanie, en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, en France, au Pérou et aux Etats-Unis. Les actifs hors Algérie de Sonatrach sont aux mains de sa filiale Sipex (Sonatrach International Petroleum Exploration and Production Corporation).
Dans l’amont pétrolier, Sonatrach contrôle aussi des actifs d’exploration au Mali, en Tunisie, au Niger, en Libye, en Mauritanie, en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, en France, au Pérou et aux Etats-Unis. En mai 2018, elle a, par exemple, annoncé la découverte d’un gisement d’hydrocarbures sur le permis Kafra, situé à la frontière avec le Niger et mitoyen au permis de prospection Tafassasset.
Des ambitions et des défis
Les défis sont énormes pour un nouvel envol de Sonatrach, ce qui suit peut constituer des pistes de réflexion :
- Sonatrach (SH), en tant que groupe énergétique par excellence, doit redynamiser le processus d’industrialisation du pays dans un secteur qui est la colonne vertébrale de l’économie algérienne.
- Recentrer SH dans son métier de base de prospection et production. L’énergie photovoltaïque, l’achat de raffineries à l’étranger, et je ne sais quelles autres fuites en avant, devront cesser. Imposer des obligations de résultats, des coûts normatifs de production et réduire drastiquement les dépenses hors exploitation (œuvres sociales en particulier)
- Introduire périodiquement par le ministère un audit externe indépendant pour contrôler tous les abus et excès. Une évaluation permanente des performances de l’entreprise qui devra être publiée chaque semestre.
- Recruter à l’international des Algériens non résidents anglophones et spécialisés dans le droit international des affaires, surtout le droit américain, pouvant réviser les engagements contractuels et les contentieux au mieux des intérêts de l’Algérie.
- Séparer l’entreprise SH de l’Etat algérien. Les richesses du sous-sol appartiennent à l’Etat et SH doit rester un outil d’exploitation à son service et sous son contrôle permanent.
- Développer et professionnaliser le Data contrôle et tous les systèmes de protection des informations sensibles.
- En matière d’engineering et développement, le ministère de l’Energie, en collaboration avec nos universités, nos laboratoires et notre diaspora, devrait d’ores et déjà réfléchir en urgence à l’alternative de conversion industrielle d’une partie de notre gaz naturel en hydrogène et/ou par électrolyse photovoltaïque de l’eau. Voici des pistes sérieuses de R&D qui nous placeraient dans la bonne direction de l’innovation et de l’écologie.
Dans son programme SH 2030, la société compte investir 68 milliards de dollars supplémentaires dans de nouveaux projets à fort impact, avec une attention particulière pour l’industrie pétrochimique. Pour cela, de nombreux projets gaziers sont prévus pour entrer en production sur la période, le gaz étant la matière première de l’industrie de la pétrochimie.
«L’objectif de Sonatrach n’est pas uniquement d’exporter du gaz naturel en tant que matière première mais de le transformer en produit pétrochimique. Si vous vendez du gaz, vous gagnez 1 dollar ; si vous le transformez en produit pétrochimique, vous gagnez dix fois plus», avait déclaré le PDG de la société.
L’émancipation de l’Algérie passe par la renaissance et le nouvel envol du sphynx Sonatrach, quoi que disent tous les oracles.
K. B./K. Z.
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