Ras-le-bol des conduites qui défigurent l’image du pays
Par Ali Akika – A nouveau, certains avec leurs comportements défient et la loi élémentaire de vie en société et exposent leur hogra dans toute sa laideur. Ces comportements, qualifiés de faits divers, sont en vérité un cache-sexe qui disent beaucoup de choses sur notre société.
La violence contre les femmes, les kidnappings d’enfants et pour complémenter ce lamentable et dernier exploit de deux directeurs de lycée à Oran et à Tiaret. Une jeune fille et un jeune homme ont été interdits d’école. La raison ? Une abyssale bêtise mâtinée de méchanceté devenue la norme d’une catégorie de gens. Heureusement, elle a donné de la fièvre aux réseaux sociaux qui ont dénoncé l’innommable et qui, chez moi, s’est transformé en nausée.
Il faut bien nommer cet innommable et ne pas passer sous silence les actes de deux personnes, payées avec les impôts de la société, qui ont usé et abusé de leur pouvoir contre une fille que la nature a doté de jolis cheveux bouclés et un jeune homme dont le seul crime est d’être handicapé. Par quel cheminement extravagant des esprits sont devenus vénéneux ? Quelle est cette maladie qui a frelaté les âmes, qui ont ouvert les vannes aux pires absurdités, les lois devenant des leviers pour les bons plaisirs des egos ? Des egos qui poussent l’outrecuidance jusqu’à s’autoproclamer propriétaire de lieux dès lors qu’ils possèdent une once de pouvoir. Ce genre de chaos mental qui souffle sur la société ne peut qu’ouvrir la voie à toutes les sordides aventures aussi bien individuelles que collectives.
Et les signes de ce chaos-là sont présents dans la peur et le mépris dans les gestes du renvoi de ces jeunes gens. Oui, il existe une peur de la beauté car elle est subversive et c’est pourquoi des croque-morts s’empressent d’enterrer ce sel de la vie indispensable aux besoins naturels de l’être humain. Et ces mêmes croque-morts, à la recherche d’un misérable plaisir quelque peu pervers, n’hésitent pas au besoin de s’en prendre à des handicapés. Si ça continue ainsi, il y aura davantage de croque-morts que de vivants et nous aurons alors des villes où errent des fantômes comme dans les films d’horreur.
Nous n’avons pas fait attention à l’émergence de ces zombies. Ils ont fait petit à petit leurs nids pour ensuite sortir en voulant nous enfermer dans un monde lugubre, faute de pouvoir supporter l’image de leur mal-être profond qui les rend inaptes à sentir et admirer toute la beauté du monde.
Ce sont donc des enseignants à qui les Algériens ont confié leurs enfants pour qu’ils se familiarisent avec les outils de la connaissance, pour qu’ils tournent le dos à l’ignorance, en un mot pour échapper à la misère de l’esprit. Ces parents sont payés en retour d’une drôle de façon. Ils constatent que leurs enfants sont à la merci d’individus qui se donnent le droit de leur refuser l’accès à l’école. J’ai froid dans le dos à l’idée de penser que j’aurais pu être à mon époque la victime de ces gens-là. Il ne faut pas être élève de Freud ou de Lacan pour déchiffrer l’obscurité qui enveloppe l’univers de ces gens-là. Ce genre d’atteinte au respect des élèves ne date pas d’aujourd’hui. Que de fois la presse a révélé l’humiliation verbale ou physique d’élèves par des professeurs femmes ou hommes (1) qui se vengent sur des élèves, oui qui se défoulent sur eux avec une sorte de jubilation, assurés qu’ils sont de ne point rendre des comptes à quiconque. Heureusement, il y a des voix, par exemple, de certains journalistes qui osent dénoncer ce genre de pratiques. Ils disent leur effarement de voir le lycée de leur jeunesse sombrer dans un univers où règne la loi de l’impunité, des lieux jadis synonymes de préparation à la vie de demain, des lieux dont les enfants d’aujourd’hui garderont dorénavant des souvenirs amers.
Il faudra bien un jour s’interroger sur le pourquoi et le comment de la transformation de ce paysage social, urbain et géographique abîmé par une politique, par des pratiques de vie, par la démission de la profonde» idée de akhtani, khali rassi, dont vont hériter les futures générations. S’interroger non pas seulement sur les difficultés, les erreurs, les ratages qui sont le lot d’autres pays, mais aussi et, surtout, questionner cette sorte de l’impensé de notre société où sommeille le mal profond qui la ronge. Ras-le bol de ces lieux communs du genre «ces comportements qui, durant longtemps, ont été bien étrangers à notre société».
Hier aussi, en plein terreur intégriste, on nous bassinait avec la morale de Monoprix «un musulman ne peut pas tuer un autre musulman». Au lieu de nous chanter ces balivernes, il vaut mieux réfléchir aux conditions politiques et historiques de la vie qui engendrent ce genre d’aberrations. Surtout pas les temps qui courent, quand on voit des gens habitant et gérant des lieux saints se faire la guerre au profit et sous le regard intéressé et ironique d’un Etat, cauchemar des Palestiniens.
Je terminerai par deux situations auxquelles j’ai assisté par hasard. La première se passait dans la rue où une jeune fille se fait accoster par un petit roquet qui aboya sur elle avant de la gifler. Des gens venus au secours de la jeune fille eurent comme justification de sa lâche agression, «elle est belle, sa place est à la maison pour se cacher». La deuxième situation se déroula dans un bus bondé de jeunes rentrant de la plage. La lumière incomparable de la fin d’une journée d’été se faisait happer peu à peu par la nuit. Soudain, la torpeur qui régnait dans le bus se couvrit de hurlements du chauffeur du bus. Il terrifia un gamin de 7-8 ans pour l’énorme, grosse atteinte à sa pudeur de vierge effarouché. L’enfant était habillé d’un short sans un tricot sur son torse. La sentence tomba : «La prochaine fois, tu rentreras à pied», dit-il au gamin, les yeux exorbités.
Ces scènes se sont passées il y a une dizaine d’années. Apparemment, le pays a encore «progressé». La bigoterie s’est généreusement répandue. Nous sommes passés d’un chauffeur dans son minibus de vacanciers au directeur du lycée d’Oran colonel Si-Lotfi, un combattant mort pour que les enfants de ce pays ne connaissent plus l’humiliation de la période coloniale. Un dernier mot, apparemment «nos» deux directeurs ont oublié que l’école est un grand atelier d’écriture. Celle-ci a aidé l’Homme à fertiliser son imaginaire et s’aventurer dans le royaume des mystères et de la beauté du l’univers. Aussi bien les religions que les philosophies, qui naviguent hors champ des croyances métaphysiques, ont chanté la beauté, beauté physique, beauté de l’âme, beauté de la connaissance… Mais cette fois, l’écriture du présent article a ravivé douleur et honte de voir la méchanceté et la bêtise ronger le pays qui m’a vu naître.
A. A.
1- Une de mes élèves, il y a bien longtemps, voulant apprendre l’arabe au Centre culturel algérien de Paris, a été humiliée par une «professeure» qui lui reprochait de ne pas avoir l’accent du pays. «Marakich arbiya (tu n’es pas une Arabe)», avait-elle dit à la jeune fille née en France, qui n’a plus remis les pieds dans ce centre.
Voilà le genre de zombie qui écœure les jeunes et diffuse une image repoussante du pays.
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