C’est la faute à Albert Camus l’Algérien et Karl Marx l’étranger
Par Saadeddine Kouidri – Pourquoi la République française ne reconnaît-elle pas sa défaite et notre victoire sur son colonialisme de peuplement ? Est-ce parce qu’elle qualifiait notre lutte de libération d’«événements» ? Elle finit pourtant, quelques décennies plus tard, par l’appeler «Guerre d’Algérie». Ce faux intitulé va lui servir à tronquer l’histoire dans le principal but de camoufler ses génocides de tribus africaines et asiatiques dans son récit national, tout en maintenant cette période dans son histoire uniquement. Une façon de nier tout en rabaissant la lutte de libération des peuples à des événements, à une guerre de la France faite dans la colonie pour ne jamais reconnaître à la lutte du peuple algérien, par exemple, son caractère révolutionnaire.
La guerre des mémoires s’ensuit obligatoirement et l’aide de la France au Maroc à l’occupation du Sahara Occidental est l’illustration que ce colonisateur adopte la tactique de l’offensive pour dissuader tout anticolonialiste de se pencher sur ses propres colonies comme la Guadeloupe, la Martinique, la Nouvelle-Calédonie, la Réunion, Mayotte, etc. Ceux qui parlent de la colonisation des Russes et des Chinois devraient logiquement nous parler en premier de ces colonies, d’autant plus qu’elles n’ont aucune frontière commune et, en sus, elles sont situées à des milliers de kilomètres, loin des côtes françaises, dans les océans Atlantique, Pacifique et Indien.
Si la victoire du Mouvement de libération n’est pas reconnu par les vaincus, la France et l’Otan, c’est aussi la faute d’Albert Camus et de Karl Marx, pour ne citer que ces deux géants qui ont un lien avec l’Algérie. Le premier y est né et le second y a passé un séjour de convalescence. Le premier a mis la violence révolutionnaire sur un même pied d’égalité avec celle de la colonisation, le second pour avoir laissé entendre que l’occupation pouvait être bénéfique aux autochtones, à leur émancipation.
L’apport immense du père du matérialisme moderne reste donc imparfait. Il faut rappeler que sa théorie de la plus-value a légitimé à jamais la revendication salariale et celle de l’amélioration constante des conditions de travail des ouvriers. Par ailleurs, il avertit l’humanité que «le Capital a horreur de l’absence de profit. Quand il flaire un bénéfice raisonnable, le capital devient hardi. A 20% il devient enthousiaste, à 300% il ne recule devant aucun crime». Démystifié par Marx, le Capital va se camoufler en empruntant différents courants idéologiques qui tous sont pour l’exploitation des peuples. Son idéologie va se confondre alternativement avec les trois religions monothéistes et pas seulement, puisque que le dernier génocide mentionné par l’ONU en 2017 est commis sur des Rohingya. Le génocidaire est bouddhiste et la victime musulmane. Le Capital emprunte l’une ou l’autre suivant la région. Il réussit à coloniser la moitié de la terre au nom du Christ, au nom de la papauté plus précisément. Cette réussite va encourager le Capital à créer une sorte de «direction spirituelle» pour chaque religion : Israël et l’Arabie Saoudite.
L’exploitation, de la fausse idée de Marx sur le but de la colonisation, va gripper le marxisme et permet jusqu’à ce jour de creuser le silence sur l’évolution développée par Darwin. Quant à Camus, dont le prix Nobel doit revenir à l’Algérie, il est d’abord un romancier. Ses émotions l’ont amené à préconiser plus de justice dans un pays colonisé. L’énigme est pourquoi n’a-t-il pas agi pour plus de justice sous l’occupation nazie ?
Le colonialisme, en élevant l’indigène au statut de «Français musulman» à la fin des années 1940, cherchait à rendre divin son emprise sur les autochtones, utilise ce qu’il y a de plus précieux chez le croyant démuni de tout, sa religion, en tant qu’opium. Une façon diabolique de le dénuder davantage.
Le premier signe de la lutte politique, après les résistances armées du XIXe siècle, est entamé par l’Emir Khaled qui écrit une lettre à Woodrow Wilson, président des Etats-Unis, promoteur de la Société des nations, future ONU, «pour attirer son attention sur le sort des Algériens» et invoque les «valeurs prônées par la République», en mai 1919, et se poursuit autour du Parti communiste français créé en 1920. Le frémissement du Mouvement de libération commence au moment où les patriotes entament crescendo la prise de conscience à la lutte, non pas contre la misère, mais contre le désespoir de perdre à jamais leur patrie chérie. A cette lutte, les patriotes étaient nationalistes, communistes et islamistes. La seule fois où ils ont été unis, c’est lors de la Lutte de libération nationale.
On remarque que dans leurs écrits, les journalistes ne révélaient pas la tendance politique des patriotes. Si Ben M’hidi, par exemple, n’avait pas écrit, noir sur blanc, son engagement pour le socialisme, on en aurait fait un islamiste en prétextant qu’il faisait sa prière. Il y a des communistes algériens qui font la prière.
Le colonialisme de peuplement et l’islamisme ont un même objectif au départ, celui de la spoliation des terres. Il faut rappeler que les Frères musulmans n’ont critiqué et combattu que les Républiques «arabo-musulmanes», jamais les royaumes. Au lendemain de l’indépendance, ils désapprouvent, c’est le moins que l’on puisse dire, l’option socialiste de la période de Ben Bella et de Boumediene.
De jeunes islamistes sous l’influence des discours religieux agressent de plus en plus les femmes dans les lieux publics dès les années 1970. Ces agressions qu’aucune autorité ne condamne participent à la naissance du premier maquis terroriste en 1982. L’activité des islamistes et des antidémocrates a un tel impact sur le pouvoir que l’Assemblée populaire nationale (APN, Parlement) d’alors, finit par voter le Code de la famille en 1984. Une loi inique en contradiction avec l’égalité des sexes prônée par la Constitution. Elle a comme conséquence plus d’inégalités dans la société.
Aujourd’hui, la revendication de normaliser l’islamisme au nom de l’union, comme l’avait fait Chadli, anticonstitutionnellement, s’ajoute à la pression qui monte à nos frontières. Il y a deux objectifs dans les discours pour l’union nationale. Il y a celui qui réhabilite le FIS et ses alliés, et il y a celui qui lui fait écho entretenant consciemment ou inconsciemment la confusion entre l’islamisme patriotique de 1954/1962 et celui de l’islamisme-terroriste des années 1990. Oui, il est primordial de dénoncer cet amalgame en rappelant qu’il existait bien des patriotes musulmans comme il existait des patriotes nationalistes et des patriotes communistes dans la Lutte de libération. Ils étaient tous unis pendant la Révolution, mais pendant la Révolution seulement.
Dans notre situation aujourd’hui, l’union ne peut commencer que par un préalable, celui de l’exclusion des terroristes de la scène politique. Ceux qui veulent maintenir les partis et les militants qui ne condamnent pas les terroristes dans leurs déclarations et emploient le «sans exclusive», revendiquent sournoisement l’amnistie des terroristes et tendent à isoler l’ANP dans sa lutte contre ses derniers. Ils ont les frères de ceux qui se taisent sur la question, tout en exigeant le dégagement de l’armée de la scène politique. La présence des islamistes sur la scène politique impose celle de l’armée tant que la classe politique dans son ensemble ne mène pas la lutte contre l’obscurantisme, la religiosité, etc., car il ne peut y avoir une lutte antiterroriste exclusivement militaire.
A les écouter, leur «dirouhoum gaâ» (les inclure tous) s’oppose à «yetnahaw gaâ» (les dégager tous) du Hirak. Dans ce cas, il est à se demander à quoi sert la politique. N’est-elle pas faite de stratégie d’anticipation pour l’émancipation du peuple ? La Réaction, de connivence avec des antidémocrates, pousse, lors des élections, au choix entre la peste et le choléra. Il est évident, dans ce cas, que c’est le promoteur de ce choix qui est le premier ennemi de la République démocratique et populaire, car un tel choix mène obligatoirement au retour d’avant le mouvement citoyen de la jeunesse du 22 Février 2020 ; c’est-à-dire à un «cinquième mandat».
Sachant ce qu’est un cinquième mandat et sachant ce qu’est un Etat islamiste, devrions nous attendre la fin de leur ascension et ne voir le danger que quand il sera trop tard ? Le meurtre de dizaine de milliers de citoyens est plus que suffisant pour écarter tout homme politique qui ne condamne pas le terrorisme. Devons-nous encore subir cette humiliation d’assister à la promotion d’un chef terroriste par un chef du gouvernement au rang de personnalité nationale pour agir ? On ne peut entamer un programme qu’en ayant ce minimum commun qui nous préserve d’un retour à l’innommable sous une autre forme cauchemardesque : l’«élection» d’un islamiste.
S. K.
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