Bouteflika doit répondre de ses actes devant la justice !
Contribution du Dr Abderrahmane Cherfouh – Depuis l’avènement du Hirak et la déchéance de Bouteflika, les scandales à répétition se succèdent en Algérie à un rythme endiablé. Jour après jour, les tribunaux, les commissions d’enquête, les médias révèlent aux Algériens, choqués, l’étendue d’un système mafieux et diabolique qui a érigé la corruption en institution, surtout depuis les deux dernières décennies et la cooptation de Bouteflika comme Président : des détournements, des magouilles dans les plus hautes sphères de l’Etat, des malversations, des vols, des manœuvres frauduleuses sont devenus monnaie courante et se pratiquaient à grande échelle, impliquant les oligarques, les prédateurs, les suceurs de sang et tous ceux qui gravitaient autour du système qui se sont octroyé le droit de se partager les richesses du pays avec la bénédiction et sous l’œil bienveillant de Bouteflika et de son frère – un pseudo-consensus – de part et d’autre.
Mais le crime qui a frappé l’imaginaire ces derniers jours est sans conteste la confession d’Ouyahia à propos des lingots d’or qu’il a reçus comme cadeau et qu’il a revendus au marché noir. Le niveau d’indignation en Algérie est tel, à entendre l’avis des Algériens, qu’on commence sérieusement à manquer de mots pour qualifier cet horrible aveu. C’est le top des tops des scandales que l’Algérie n’ait jamais connus depuis qu’elle a eu son indépendance, surtout qu’on a affaire à un ancien Premier ministre qui avait déclaré le 25 février 2019 à l’Assemblée nationale, en défendant le bilan de son action : «Pour nous, la corruption se combat par les actes et non par les discours.»
Beaucoup pensaient, en effet, qu’Ouyahia nous faisait une bonne farce, et pourtant c’est une histoire vraie. Son avocat a beau camoufler, mais le mal est déjà fait. La question que l’on peut se poser est la suivante : quelle mouche a donc piqué Ouyahia pour qu’il fasse une révélation d’une telle ampleur ? Peut-être était-ce voulu ? Avait-il une intention derrière la tête ? Voulait-il régler ses comptes avec ceux qui ont précipité sa chute ? Depuis ses différentes comparutions devant la justice, Ouyahia a toujours gardé son sang-froid et, à chaque fois, il est resté de marbre, sans broncher et sans montrer le moindre signe d’énervement, encaissant les coups, se contentant de jouer à outrance le rôle de la victime, rejetant la faute sur les autres et d’afficher quelques expressions offusquées face à certaines accusations peu flatteuses à son égard, gestes qui lui ont permis au cours de ses différents procès jusqu’à dissimuler son abject immoralité.
Qui sera le suivant ? En attendant la suite de ce feuilleton rocambolesque, l’Algérie s’apprête à battre un triste record qui mérite de figurer au Guinness des records. Ils sont vingt-cinq anciens ministres – dont deux ex-Premiers ministres – qui se préparent à être jugés au cours de cette année, c’est «la cuvée spéciale» des quatre mandats exceptionnels de fakhamatouhou ! Cela sans compter d’anciens walis et d’autres anciens hauts responsables. Qui dit mieux ? «Arfâa rassak ya bâ !», «Djazair el izza oua el karama !» voulue par le sinistre Bouteflika. Toutes ces histoires de corruption donnent envie de gerber.
Ce qui se passe présentement en Algérie, avec toutes ces histoires rocambolesques étalées au grand jour, relève de la science-fiction. Pourquoi on juge les ministres et l’entourage du parrain mais on ne juge pas le parrain lui-même ? On tente d’incriminer uniquement les ministres de fakhamatouhou, feignant oublier volontairement que c’est Bouteflika lui-même qui avait imposé ces ministres et qui, tous, agissaient sous ses ordres, évitaient de le contredire et que rien ne se faisait sans son approbation. Cette dérive sélective est, une fois de plus, affligeante. Pis, elle ouvre la voie à des dérapages et à des attitudes irresponsables, porteuses de confusion et de parti-pris flagrant pour essayer de blanchir, vainement, Bouteflika et de rejeter la responsabilité uniquement sur ses collaborateurs. Mais tôt ou tard, l’histoire le jugera pour avoir trahi la confiance placée en lui par le peuple et pour avoir permis à une bande d’escrocs de piller le pays.
Il n’est un secret pour personne que sous son règne l’Algérie était loin d’être un parangon de démocratie. C’était une démocratie de façade mise sous le contrôle absolu de Bouteflika, depuis sa cooptation, et qu’il a utilisée comme instrument de propagande pour dompter une opposition, effacée, intéressée, sans emprise sur le peuple, coupée de ses racines sociales et sans projet politique sérieux. Il y avait bien des élections qui se déroulaient pour élire le Président et les députés mais ce n’était pas les urnes qui départageaient les partis politiques. C’était la loi des quotas. Les élections ont toujours été entachées d’irrégularités flagrantes, souvent trafiquées et où on pratiquait, au vu et au su de tous, le bourrage des urnes.
Tout se monnayait et tout s’achetait à l’encan, sous la haute surveillance de fakhamatouhou, de ses larbins et de ses hommes de service. Les postes et les sièges de député ont été vendus aux plus offrants, c’était devenu une tradition et tellement banal que personne ne s’offusquait. Nos soi-disant hommes politiques disséminés à travers des pseudo-partis de pacotille obéissaient au doigt et à l’œil à Bouteflika, à qui ils sont tous redevables par le système de quotas qu’il a établi.
Mais là n’est pas le seul drame de l’Algérie. L’autre drame, c’est ce personnel politique algérien qui s’adapte à toutes les situations et fait volte-face, en adoptant un profil bas pour se positionner et tenter de prendre le train en marche pour s’attirer de nouveau les faveurs des nouveaux maîtres des lieux. «Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas», citation très connue des hommes politiques et souvent invoquée pour justifier leur retournement de veste. Les caméléons et les girouettes politiques sont légion par les temps qui courent en Algérie. Plus rien ne les arrête, ni les principes, ni la morale, ni leur position politique, ni les qu’en-dira-t-on pour sauter d’un camp à l’autre. Ils sont nombreux à tourner casaque au gré du vent.
Dire que dans notre paysage politique, il n’existe pas de références politiques classiques pour qualifier les différents partis qui existent, tels que centre, gauche, droite, républicains, démocrates, indépendants, où ces partis politiques avec leurs slogans ont une histoire et disposent d’une assise populaire certaine et d’un ancrage politique et social bien implantés avec des programmes solides et un électorat conséquent, principale force pour gagner les élections comme ce qui se passe dans les pays démocratiques, serait un euphémisme !
L’année 2020 aura représenté son lot de défis pour l’Algérie, surtout à cause de la pandémie, et force est de constater que plusieurs de ces défis continueront à nous hanter en 2021. Finalement, l’Algérie va-t-elle changer à l’avenir et apprendre de ses propres erreurs ? Nous savons tous que rien ne sera plus comme avant. Il n’y aura plus rien à voler, les caisses de l’Etat sont vides. Mais soyons confiants en l’avenir.
A. C.
(Canada)
Comment (59)