Razika Adnani : «La charia n’a jamais permis aux musulmans d’être parfaits»
Par Mohamed K. – Pour l’islamologue Razika Adnani, «la charia qui existe dans les livres de droit n’est pas exactement celle inscrite dans les textes coraniques». «En réalité, écrit-elle dans une tribune parue dans Ouest France, les musulmans ne pratiquent pas toutes les recommandations du Coran, et certaines règles présentées comme faisant partie de la charia ne figurent dans aucun de ces versets.» «Quant au caractère intemporel qu’on leur a attribué, il s’est institué en dogme avec la mise en place de la théorie du Coran incréé, selon laquelle le Coran n’a pas été créé par Dieu, car il est un de ses attributs. Tout comme Dieu, il s’inscrirait en dehors du temps ainsi que les règles qui s’y trouvent», explique-t-elle.
«Or, ajoute la philosophe, la théorie du Coran incréé n’existe explicitement nulle part dans le Coran. Certains versets même la contredisent tel le verset 27, sourate 31, Loqman. Il décrit la parole de Dieu, le Coran, gardée auprès de lui comme infinie alors que le livre en possession de l’être humain a un nombre fini de pages, de versets, de phrases.» Selon elle, «l’idée d’un Coran inscrit en dehors du temps est également contredite par des versets évoquant des événements qui se sont déroulés à l’époque du Prophète et des personnes ayant vécu à ce moment-là en Arabie».
Dans son article intitulé «La laïcité face à la charia», la fondatrice des Journées internationales de philosophie d’Alger précise que «le terme charia signifiait à l’origine la religion musulmane, puis il a signifié le système de normes qui organisait l’ensemble de la vie des musulmans». «Aujourd’hui, indique-t-elle, il est de plus en plus utilisé pour désigner les règles sociales et politiques.» «Ce qui pose problème, souligne Razika Adnani, c’est que les musulmans continuent de s’y référer alors qu’elles remontent aux premiers siècles de l’islam.» Elle explique l’importance que les musulmans donnent à la charia par le fait qu’«elle est, pour eux, l’émanation de la volonté divine inscrite dans le Coran, la parole de Dieu, qu’un musulman ne peut discuter», en faisant remarquer que «les conservateurs considèrent que ses règles sont valables en tout temps et tout lieu et ne peuvent pas être amendées, qu’elles sont parfaites, donc supérieures à toutes les autres lois issues de la pensée ou de la religion, l’islam étant la meilleure des religions».
«Si certaines règles, appelées charia, sont dictées dans les textes coraniques, celles qui existent dans les livres de droit ne peuvent être sacrées, ni parfaites», note le membre du conseil scientifique de la Fondation islam de France, qui s’interroge : «N’est-ce pas l’être humain qui a interprété ces textes et en a extrait les règles juridiques ?» «Sauf à ce que l’être humain soit infaillible et son savoir sacré, ce qui serait une contradiction avec le principe de l’unicité sur lequel se fonde l’islam», relève-t-elle, en faisant remarquer que «l’histoire montre aussi que la charia n’a jamais permis aux sociétés musulmanes d’être parfaites et aucune société humaine ne peut l’être».
«L’islam est constitué de deux dimensions : l’une est d’ordre spirituel et l’autre concerne l’organisation de la société à laquelle appartient la charia. Pour les islamistes, l’islam est religion et Etat et la charia, en tant que corpus législatif, permet la réalisation de cet Etat : la partie de l’islam qui revient à la politique. Il est donc important que les musulmans soient convaincus par sa sacralité, par sa perfection et par son intemporalité et, par conséquent, s’y soumettent», conclut l’auteure de l’étude sur la réforme tournée vers l’avenir dans l’islam.
M. K.
Comment (52)