Du rififi entre Israël et les Etats-Unis : la géostratégie impose ses règles ?
Contribution d’Ali Akika – Jusqu’à présent, le rififi entre ces deux alliés siamois était soft, car leurs intérêts étaient si intimement liés qu’il eut été fou de ne pas les régler d’une façon élégante et sans bruit. Mais avant de cerner la nature et la dynamique de l’ampleur du rififi actuel plus abrupt, il faut dire un mot des changements intervenus dans ces deux Etats. Aux Etats-Unis d’abord. Cette grande puissance veut que la société américaine continue de croire à son fantasme premier, le rêve américain. Sauf que celui-ci a déjà reçu des coups de griffe dans le passé pour finir abîmé par la séquence Trump.
Le nouveau président Biden veut réparer les blessures causées par le «trumpisme». Et il sait que pour atteindre cet objectif, il faut s’appuyer sur des forces émergentes dans la société américaine. Celles-ci sont constituées de ces communautés afro-américaine et arabe (notamment palestinienne) qui viennent s’ajouter à la frange progressiste («blanche») à la Sanders qui se sont fait élire aux Congrès américain. Biden ne peut pas ne pas en tenir compte pour mener sa bataille aussi bien en politique intérieure qu’extérieure. Il peut prendre des «risques» de s’opposer à Israël d’autant qu’il n’aura pas à se représenter pour un deuxième mandat.
Quant à Israël, il est en train de vivre «une crise la plus profonde de son histoire». Cette phrase n’est pas de moi mais de députés israéliens qui n’arrivent pas à former un gouvernement depuis deux ans et tremblent d’aller vers une cinquième élection. Jusqu’ici ces députés n’ont jamais «tremblé», étant rassurés par la «puissance» (face à des réfugiés palestiniens), de leur armée et satisfaits de leur nombril caressé par leur infantile arrogance. Mais se faire la guerre entre eux leur fait peur et devient une hypothèse nullement farfelue.
Ainsi, le rififi ne peut plus être étouffé élégamment car le grand frère américain a d’autres chats à fouetter ailleurs. Et ce n’est pas un gouvernement israélien brinquebalant depuis deux ans qui va l’empêcher d’aller de l’avant. Ceci posé, voyons les événements qui se déroulent dans la guerre «clandestine» et les coulisses de Vienne où les Etats-Unis, gendarme du monde, ont accepté sagement d’attendre dans un hôtel. Pendant ce temps, ce sont leurs amis européens qui enregistrent les droits de l’Iran et leurs réparations, c’est-à-dire la fin de l’embargo américain.
Dans un précédent article, j’avais écrit que l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche allait probablement entraîner un recentrage de la politique américaine au Moyen-Orient. J’avais pris soin de rappeler la vieille loi du rapport de force qui règle et régule par les relations entre Etats. Et pour défendre et conserver leur statut de grande puissance, les Etats-Unis s’y connaissent dans la violation du droit international avec les pays faibles. Mais avec la Chine, danger number one de leur point de vue, il leur faut d’autres arguments qu’une simple décision du Conseil de sécurité qu’ils interprètent à leur façon (Libye par exemple). Alors pour atteindre leur objectif face à la Chine, il leur faut calmer le jeu. Le retour aux accords sur le nucléaire de 2015 conclu sous l’égide du Conseil de sécurité est un passage obligé. Mais il y a mais qui s’appelle Israël.
Jusqu’ici, quand un différend surgit entre les Etats-Unis et Israël, ce dernier sort toute la panoplie des pressions pour modifier la position de leur fidèle protecteur. On a vu même Netanyahou se précipiter au Congrès américain sans passer à la Maison-Blanche «dire Bonjour» à Obama. Netanyahou invita, pour ne pas dire exigea, des congressistes à ne pas ratifier l’accord de 2015 en voie de finalisation sous Obama. Cette incroyable et vulgaire ingérence dans la politique d’un pays si généreux avec Israël, Joe Biden alors vice-président d’Obama, l’a retenue. Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Biden avança à pas de loup pour «plaire» à l’Iran et déplaire à Israël (1). Il commença par rétablir les subventions aux réfugiés palestiniens pris en charge par l’ONU et laissa son ministre des Affaires étrangères effacer en quelques phrases les délires diplomatiques de Trump avec son Deal du siècle sur la Palestine et l’occupation du Golan.
Petits malaises et grincements de dents en Israël mais pas encore d’affolement. Face à des Palestiniens enfermés, pressurés et contrôlés et une Syrie dévastée, Netanyahou pense faire le mort et, une fois Joe Biden, parti, vu son âge, les affaires vont reprendre comme à la belle époque. Mais comme les pas de loup de Biden se transforment en tintamarre et annoncent le retour aux accords de 2015, en «exigeant» pour la forme que l’Iran arrête de violer les accords du nucléaire en question, ça calme Israël le temps d’un Week-end. Entre temps, les juristes de la Maison-Blanche préparent le monde à une vérité que tous les médias mainstream (dominants) niaient et répétaient comme des perroquets que c’est l’Iran et non les Etats-Unis qui violent l’accord en question. Ces médias de médiocre propagande finissent par admettre que les accords signés au cConseil de sécurité de l’ONU et non dans un restaurant libre-service où on entre et on en sort comme dans un moulin.
Les Iraniens joueurs d’échec offrirent une porte de sortie aux Américains en se rendant à Vienne se réunir avec les autres membres du Conseil de sécurité mais sans les Etats-Unis qui attendent dans un hôtel l’issue de ces discussions. Israël se rend compte que la situation se détériorait pour ses affaires. Netanyahou en conclut que l’agitation diplomatique de ses envoyés, généraux et espions à Washington, Moscou et Paris est un flop. Quelque peu désemparé d’autant qu’il baigne dans une grave situation politique interne, il se lance dans une fuite en avant en bombardant la Syrie, des navires iraniens et s’attaqua même au site nucléaire de Natanz (2).
Les Américains font fuiter dans la presse qu’ils n’ont rien à voir avec ces actes. Les Iraniens ripostent du tac au tac avec intelligence pour ne pas donner prétexte à Israël de faire une «bêtise» qui gênerait les Américains, les obligeant à ralentir les négociations d’un éventuel nouvel accord nucléaire. La fuite en avant guerrière mais sans effet sur l’Iran de Netanyahou énerva les Américains. Ils demandent alors à Israël de ne pas parasiter les rencontres de Vienne par le tissu de mensonge de leur propagande outrancière. Décodée, la réaction américaine voulait faire comprendre que les Iraniens sont en droit d’enrichir de l’uranium et ce droit découle de la violation (traduisons, connerie) de Trump.
Cette réaction américaine reçu 5 sur 5 par Netanyahou qui, au moment où j’écris cet article, vient à nouveau envoyer généraux et services secrets pour suggérer des «idées» à proposer aux négociations officielles qui ne vont pas tarder à s’ouvrir. Ces «idées», Israël la mort dans l’âme, demande aux Américains de leur sauver la face en proposant un contrôle rigoureux et permanent sur le nucléaire iranien. Le nucléaire iranien n’a pas fini de donner des migraines aux dirigeants israéliens. Il risque aussi de ruiner leur rêve consistant à faire tomber dans leurs filets l’Arabie Saoudite pour construire un OTAN du Golfe avec la kyrielle des Emirats. Sauf que l’Arabie Saoudite, qui est dans le collimateur de Biden, est allée à Canossa chez les «chiites» irakiens, à Baghdad, pour se réconcilier avec Téhéran. L’Arabie a compris que si les Etats-Unis font des misères à Israël, ce n’est pas leur pétrole qui va freiner les Américains dans leur volonté de faire tout pour maintenir leur influence, quand bien même leurs protégés perdraient des plumes dans le réaménagement géostratégique des Etats-Unis.
Ce sont ces nouvelles donnes géopolitiques qui vont s’imposer. Mais Israël veut imposer sa propre volonté, être l’unique détenteur de l’arme nucléaire. Israël affirme que son opposition à l’éventuelle bombe atomique iranienne est une question existentielle. Le problème avec cet Etat, c’est qu’il veut que son entourage n’accède ni à la bombe atomique, ni aux missiles et que personne ne devienne une puissance étrangère et qu’on le laisse vivre, barricader derrière des murs, des barrières de fils électriques sous la surveillance de satellites. Il veut que les peuples de la région soient désarmés. Et quand un peuple, celui de Palestine exprime son droit à la liberté avec une simple pierre, on le traite de terroriste (3).
A. A.
1- Biden a attendu plus d’un mois avant d’appeler Netanyahou, son ami et l’ami d’Israël.
2- Ces fuites dans la presse, notamment israélienne, ne sont pas des interprétations abusives mais sont crédibles quand on lit différentes prises de positions de généraux et services secrets qui possèdent des infos et des outils pour les analyser.
3- C’est exactement ce qui ressort en substance des débats d’une chaîne francophone israélienne.
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