Ce commentaire du président Tebboune qui a «cloué» le journaliste d’Al-Jazeera
Par Kamel M. – La technique est bien rodée. Bande annonce avant le lancement de l’interview pour entretenir le suspense et inciter le plus grand nombre à suivre l’intégralité de l’enregistrement. Cette méthode connue des professionnels, Al-Jazeera l’a choisie pour éviter que son «exclusivité» passât inaperçue, au vu des nombreux événements qui secouent la planète et qui auraient pu occulter l’effort de la chaîne.
Le journaliste algérien qui a été dépêché par la chaîne qatarie à Alger a paru à l’aise face au président de la République, l’entrevue paraissant avoir comme objectif principal une sorte de réconciliation entre l’outil de propagande des Al-Thani et l’Algérie où son bureau a été fermé en raison d’une ligne éditoriale jusque-là foncièrement opposée au pouvoir et à l’armée. Pourtant, Abdelmadjid Tebboune ne manquera pas d’égratigner son intervieweur en qualifiant le «printemps arabe», œuvre de Doha et de son arme médiatique, de «chaos arabe» (al-kharâb al-arabi). Le successeur d’Abdelaziz Bouteflika a-t-il voulu lancer un message à l’émir Tamim pour lui signifier que la page de cet épisode n’est pas tournée et que l’Algérie demeure sur ses gardes ? «Ce n’est pas impossible, explique une source informée, d’autant que le Président a insinué que l’Algérie attendait d’Al-Jazeera qu’elle se défasse de ses habitudes passées».
L’envoyé spécial de la télévision qatarie est resté médusé, figé quelques secondes, avant de se ressaisir et d’entraîner Tebboune sur un autre terrain pour éviter d’aller plus loin dans ce sujet qui fâche. S’il avait été permis au président de la République d’aller jusqu’au bout de son idée, le but pour lequel le média qatari a été autorisé à pénétrer dans l’antre du pouvoir à Alger aurait volé en éclats et la mission aurait échoué. C’est que l’interview réalisée par Al-Jazeera semble s’inscrire dans le prolongement de la déclaration de Tebboune qui a affirmé que l’avènement d’une majorité islamiste au Parlement et au gouvernement ne le dérangeait pas outre mesure, estimant que «l’islamisme en tant qu’idéologie est fini». Un postulat que tout le monde n’a pas digéré, tant cette approche de Tebboune demeure ambiguë. «Si l’islamisme n’est pas une idéologie, que peut-il être alors ?» s’interrogent des observateurs avisés, qui voient dans cette main tendue du chef de l’Etat aux quelques six ou sept formations islamistes issues de la matrice de l’ex-Hamas de feu Mahfoud Nahnah une façon de «composer avec une frange devenue majoritaire au sein de la société».
«Tebboune n’a pas le choix. On le constate, les Algériens sont plus que jamais imprégnés de la pensée conservatrice qui est allée en s’amplifiant au fur des années», constatent nos sources, qui font remarquer que «même divisés, les islamistes sauront s’agglomérer dans le cadre d’alliances au sein de l’APN à des fins purement politiciennes, profitant ainsi de la ruine du camp démocratique qui s’est fondu dans le courant islamiste, comme c’est le cas du RCD, du FFS et même des partis communistes que sont le PT, le PST et le MDS, ou a fait preuve d’une attitude lâche, abandonnant la scène aux extrémistes de tout bord».
Le souhait du président Tebboune de voir la chaîne qatarie «se calmer» risque d’être un vœu pieu, cette dernière s’étant fendue d’un article dans lequel elle insistait sur une fausse information bien que démentie fermement plus d’une fois par Washington. En effet, au moment même où Al-Jazeera diffusait l’interview avec le pensionnaire du palais d’El-Mouradia, son site persistait à annoncer que les manœuvres militaires américaines qui ont cours au Maroc allaient intégrer la région sahraouie occupée de Mahbes, au plus près de la frontière avec l’Algérie. Une provocation à peine voilée qui pourrait trouver son explication dans une volonté du régime de Doha de ne pas égratigner le voisin de l’Ouest.
K. M.
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