La confiance dans les médias français radicalement ébranlée (I)
Contribution de Mesloub Khider – Selon plusieurs récentes études consacrées aux médias français, la majorité des Français déclarent ne plus faire confiance aux professionnels de l’information, tous supports médiatiques confondus (TV, presse papier et en-ligne). Cette défiance, quoiqu’ancienne, s’exprime, aujourd’hui, de manière particulièrement virulente, voire violente, notamment lors du mouvement des Gilets jaunes et des actuelles mobilisations contre le passeport sanitaire.
C’est l’occasion, pour nous, d’analyser le rôle des médias, en général, en France, en particulier.
Du point de vue du capital, en France comme dans les pays capitalistes développés, les médias «produisent» et commercialisent une marchandise singulière : l’information. Celle-ci doit rapporter revenus et profits aux multinationales des communications, mais également bénéfices idéologiques par la diffusion de la pensée dominante. La corporation des médias œuvre dans cette superstructure, et sa fonction consiste à réguler le fonctionnement de ce système d’endoctrinement idéologique. Il s’agit, pour ces scribes de l’information, de formater l’opinion publique citoyenne afin d’assurer sa soumission pour tenter de désamorcer les récriminations politiques et annihiler les velléités subversives populaires. S’il faut faire la démonstration de la dévotion servile des grands médias français témoignée aux puissants et à l’Etat, le traitement informationnel du mouvement des Gilets jaunes de France aura été la parfaite illustration (1).
De manière générale, cette posture obséquieuse des médias officiels français révèle l’asservissement total des appareils idéologiques au capital. Depuis l’école, en passant par le cinéma et la littérature, jusqu’aux médias audiovisuels, internet et les médias sociaux numériques, tous ces instruments conceptuels de façonnement des esprits sont totalement monopolisés par le capital (ou l’Etat dans les pays dictatoriaux) pour lui servir d’instruments de propagande.
En France, la majorité des médias sont la propriété d’un petit nombre de grands groupes financiers, comme dans la majorité des pays du monde entier. La corporation médiatique française, sectatrice dévote de l’idéologie de la liberté d’information, a tendance à expliquer le dévoiement et la soumission des plumitifs journalistiques par la concentration des entreprises médiatiques : «Dix milliardaires ont pris le contrôle d’une grande partie des médias français. Ces oligarques, venus du BTP, de l’armement, de l’industrie du luxe et de la téléphonie, ont accaparé les grands quotidiens nationaux, les chaînes de télévision et les radios pour assoir leur influence. Avec, à la clé, conflits d’intérêts, censures, pressions, licenciements, ingérence malsaine […] Cette concentration des moyens de production de l’information entre les mains de quelques-uns met en péril l’indépendance de la presse dans notre pays. Et porte ainsi atteinte au fonctionnement démocratique. Comment garantir la liberté de l’information et le pluralisme de la presse ?» s’indignait un scribouilleur effarouché officiant au sein d’un organe de propagande français, ayant pignon sur rue et du pognon plein les banques.
Or, comme on va le démontrer, ce n’est pas la monopolisation des médias par quelques groupes capitalistes qui expliquerait l’à-plat-ventrisme légendaire des obséquieux journaleux des médias officiels français, jamais à court d’idées complaisantes pour se vendre au plus offrant, ni en défaut de flexibilité professionnelle courtisanesque pour se plier devant les puissants.
De fait, les médias français opèrent ouvertement comme des organes du pouvoir financier et de l’Etat. Pour preuve : au cours de la révolte des Gilets jaunes, les médias français ont ignoré délibérément la violence structurelle sociale imposée par les difficultés économiques, la violence entrepreneuriale des patrons, la violence des forces de l’ordre nazifiées perpétrée lors des manifestations, la violence de «terrorisme social» infligée à l’ensemble des travailleurs par l’Etat capitaliste totalitaire.
Pour ces médias officiels aux ordres, cette violence n’existe pas. Les plumitifs du capital sont conditionnés à ne voir que la violence circonstancielle et résiduelle matérialisée par la destruction de quelques vitrines de restaurants, de magasins ou de banques, les incendies de voitures, les tags sur les murs. Cette focalisation médiatique sur cette violence contingente, qui plus est réactionnelle et dérisoire, a pour dessein d’escamoter les violences structurelles et permanentes étatiques, politiques, économiques, sociales et carcérales. Et corrélativement d’inverser les responsabilités et les culpabilités.
Par une forme d’inversion accusatoire (processus de défense consistant à imputer la cause finale d’un délit non pas au coupable mais à sa victime), pour ces médias stipendiés, la présomption de culpabilité s’applique, systématiquement, sans autre forme de procès aux manifestants, contestataires, protestataires, grévistes. En revanche, aussi bien le gouvernement, pourtant toujours le premier protagoniste à ouvrir les hostilités contre le peuple par ses mesures antisociales ou lois liberticides, que les policiers, dépositaires de la violence légitime assénée fréquemment sans discernement et de manière disproportionnée, auteurs de «bavures» et d’«éborgnements» des manifestants, ils ne sont jamais responsables, jamais coupables.
Il faut relever que ce comportement des serviles officiants médiatiques français n’est pas télécommandé d’en haut, depuis le propriétaire milliardaire ou employeur gouvernemental jusqu’au banal chef de service journalistique. Il est l’œuvre de clercs totalement acquis à la défense de l’ordre existant dominant. Pour décrocher un emploi dans ces grandes entreprises de fabrication de la marchandise informationnelle maquignonnée et falsifiée, ne serait-ce que comme pigiste, il faut avoir le profil de l’emploi : posséder la foi démocratique capitaliste chevillée au corps (prosterné), croire aux mascarades électorales, partager les valeurs bourgeoises libérales, être pétri de la fibre patriotique belliqueuse, autrement dit la foi inébranlable en la politique impérialiste de son Etat, et porté aux nues le sionisme matérialisé par l’inféodation servile à Israël. En résumé, avoir une personnalité servile et une âme vile.
Aussi, assuré de recruter des agents formatés selon ces valeurs dominantes libérales bourgeoises, quel besoin le milliardaire (ou l’Etat français) propriétaire de médias aurait-il de manœuvrer ses valets journalistiques ? Ils lui sont instinctivement dévoués. Souvent, avec un zèle fanatique et une ardeur courtisanesque inégalée. Qui plus est, il est de peu d’intérêt de constater que dix milliardaires contrôlent 80% des moyens d’information-propagande-aliénation en France (comme dans d’autres pays). Seraient-ils cinquante, le résultat serait le même. Et rien ne changerait en termes d’autocensure que s’imposent ces journalistes et directeurs de rédaction pour conserver leur emploi, servir obséquieusement leurs maîtres. Ce qui importe d’observer, c’est dans quel secteur économique ces milliardaires ont investi leur capital. Ce sont des marchands d’armes, des magnats de la construction, des marchands de produits de luxe et de la grande distribution.
Avec la révolte des Gilets jaunes, comme avec la période actuelle marquée par la pandémie outrancièrement instrumentalisée par les médias français, les dernières illusions sur la prétendue liberté de la presse ont volé en éclats. Et les journalistes, définitivement éclaboussés. Les Français ne croient plus ces menteurs professionnels stipendiés. Les médias eux-mêmes ont pris conscience de cette discréditation, disqualification, cette débâcle éthique et déontologique.
A cet égard, il est utile de souligner qu’en France la défiance envers les médias est ancienne. Dès sa fondation, la presse fut en proie aux critiques, aux anathèmes. En 1688, La Bruyère juge que Le Mercure galant, l’un des premiers périodiques français fondé en 1672, est «immédiatement au-dessous de rien», en termes contemporains, un média de caniveau. A la fin du XIXe siècle, à l’époque de sa forte croissance, la presse française est fustigée pour son rôle d’abêtissement du peuple et d’encouragement des déviances (de nos jours, elle continue à jouer ce rôle de conditionnement mental par ses discours apologétiques sur la théorie du genre et autres modes narcissiques sociétales petites bourgeoises, érigées en modèles identificatoires pour les enfants). Au XXe siècle, elle est fréquemment accusée de servir le pouvoir, d’être contrôlée par les puissants, de distiller un discours idéologique élitiste.
A notre époque, cette crise de confiance s’explique, selon la majorité des Français, par le manque d’indépendance des journalistes vis-à-vis du pouvoir politique et économique. Environ deux tiers de l’opinion publique jugent que les journalistes ne sont pas indépendants, ni du pouvoir politique ni du pouvoir économique. Qu’il soit dit en passant : depuis quand, dans le système capitaliste, un salarié est-il indépendant de son employeur ?
En vérité, tout salarié est asservi à son patron ; autrement dit, c’est un esclave rémunéré, et à ce titre ne dispose d’aucune liberté au cours de sa phase d’exploitation, c’est-à-dire son temps de travail aliéné. Il est corps et âme dévoué à son maître à qui il doit docilité, obéissance, soumission. Une fois franchi le portail de l’entreprise, tout salarié perd sa liberté (de pensée, de conception, d’élaboration, de programmation, de décision : facultés totalement monopolisées par son patron). Il est dépossédé de soi. Il appartient corps et âme à son maître employeur qui lui impose le planning de production, lui dicte le rythme de travail, lui prescrit les tâches à exécuter, lui assigne les objectifs commerciaux, lui ordonne de fournir une rentabilité toujours plus performante. Heureux l’esclave d’antan qui ne s’enorgueillissait pas de sa condition sociale servile, conscient de son assujettissement forcé.
Aujourd’hui, l’esclave-salarié est fier d’exhiber son contrat d’asservissement professionnel, sa fiche de paie d’aliéné heureux, fier de ses quatre semaines de vacances octroyées par son patron, par ailleurs employées à enrichir les capitalistes du secteur de loisirs par ses dépenses consuméristes.
«La confiance dans les médias à son plus bas historique en France», avait titré la chaîne de propagande BFMTV. Le journal Le Monde, l’organe officieux de l’Etat impérialiste et antisocial français, avait écrit au moment de la révolte des Gilets jaunes : «Selon les trois quarts des sondés, les journalistes sont jugés trop dépendants du pouvoir politique. Une critique entendue fréquemment au sein du mouvement, qui préfèrent les lives sur Facebook pour contrôler leurs propos et se méfient des porte-parole, comme de toute médiation.»
Même l’audimat de la télévision est en chute libre. Média jusque-là préféré des Français pour s’informer, la télévision recueille un niveau de confiance de seulement 38% (-10 points en un an). La presse écrite s’effondre à 44% (-8 points). Pareillement, les réseaux sociaux subissent la même érosion en matière de confiance. En effet, on pouvait penser que les activistes font confiance à internet, à Facebook, Google, aux médias du net. Or, la même suspicion de collusion avec les puissances d’argent s’exprime à l’égard des organes dominants de la Toile.
Preuve du pouvoir de nuisance des médias consécutivement à toute révolte populaire : les calomnies colportées sur les Gilets jaunes. Dans le sillage de toute la presse française, Le Monde avait propagé sans discontinuer la fable selon laquelle les Gilets jaunes étaient affiliés idéologiquement à l’extrême-droite (comme, aujourd’hui, les opposants au pass sanitaire ou au vaccin expérimental ARN-m sont qualifiés de complotistes, voire d’irresponsables. En revanche, les fabricants de ces vaccins en phase d’essai clinique, opposés à toute garantie médicale sur l’innocuité de leur nouveau produit chimique, opposés par ailleurs à toute responsabilité pénale ou financière en cas d’effets indésirables des vaccins, ils ne sont pas irresponsables).
Mais ce mensonge n’ayant pas eu l’effet escompté, les médias français ont agité le sempiternel épouvantail lucratif de l’antisémitisme (également brandi contre les opposants au pass sanitaire et au vaccin pour avoir exhibé l’étoile jaune lors d’une manifestation. Or, le port de l’étoile jaune par quelques manifestants, monté en épingle par les médias, n’a nullement de signification antisémite. Au contraire, il reconnaît le caractère raciste de l’étoile jaune et en fait un symbole de tous les ostracismes, donc de celui contre les non-vaccinés notamment. La perversité journalistique française transforme un hommage, par identification persécutive, rendu aux juifs contraints de porter l’étoile jaune, en outrage antisémite).
Le Monde des 20-21 janvier 2019 avait titré «Les Gilets jaunes, terrain d’influence pour la nébuleuse complotiste» (déjà les mêmes calomnies et accusations étaient employées par les journalistes pour disqualifier les protestataires). On pouvait y lire : «Des figures conspirationnistes de l’ultra-droite se servent du mouvement», «les dérapages se sont multipliés depuis le début du mouvement», «la colère contre les institutions démocratiques est le résultat d’une entreprise idéologique», «ces obsessions complotistes antisémites autour de Macron et de la banque Rothschild s’affichent désormais dans les cortèges», «en se servant du mouvement né le 17 novembre pour démultiplier leur influence, les complotistes et antisémites liés à l’extrême droite gagnent en visibilité depuis plusieurs semaines.» Et de conclure : «Le jour de l’acte X, des figures complotistes et antisémites et d’extrême-droite se sont finalement donné rendez-vous».
Ainsi, parce qu’il avait osé défier courageusement la classe dominante, le mouvement des Gilets jaunes a été outrageusement calomnié. Pour accréditer l’imposture de l’antisémitisme, les médias avaient brandi des images d’un fait divers où un dénommé Finkielkraut, philosophe de son état bicéphale, avait été traité de sioniste par un manifestant. Aussi, pour accuser l’auteur de l’apostrophe d’antisémitisme, les médias français avaient prétendu que la qualification de sioniste serait assimilable à de l’antisémitisme.
A l’époque actuelle, à la faveur de la crise sanitaire du Covid-19, les médias jouent un rôle négativement déterminant dans la propagation et la perception des risques et des conséquences potentielles liés au coronavirus. En effet, les professionnels de l’information, en particulier les journalistes, avec leur traitement de l’information délibérément catastrophiste, contribuent, depuis le début de l’épidémie, au processus d’amplification de la perception anxiogène de la crise sanitaire du Covid-19.
Une récente étude, effectuée pour les Assises du journalisme de Tours en partenariat avec France Télévisions, France Médias Monde, Le Journal du Dimanche et Radio France, publiée le 26 septembre 2020, a montré que l’opinion des interrogés envers les médias couvrant la crise du coronavirus est très défavorable. Le constat est sans appel : les médias sont sévèrement jugés par l’opinion. Ils sont 60% à juger la couverture médiatique de la pandémie de Covid-19 excessivement anxiogène, a indiqué l’étude ViaVoice. Concernant la manière dont les médias ont couvert l’information, 43% des sondés ont estimé que les médias ont alimenté la peur de la pandémie, et 32% ont pensé qu’ils l’ont exploitée pour faire de l’audience. Enfin, l’étude ViaVoice montre que la crise sanitaire et son traitement médiatique entraîneraient des conséquences dans le rapport des Français aux médias.
Actuellement, à la faveur des mobilisations contre la gestion sécuritaire de la pandémie, expression de la dégradation de la confiance dans les médias, de la détérioration de leur crédibilité, cette défiance s’exprime de manière particulièrement virulente, voire violente, à telle enseigne que certains médias parlent de «haine des journalistes». Avec la crise sanitaire outrancièrement instrumentalisée, le rejet des journalistes et la remise en question du rôle des médias dits «officiels» a atteint un niveau inégalé.
En effet, un véritable climat de défiance se manifeste vis-à-vis du gouvernement et des journalistes, perçus par les citoyens comme les véritables virus menaçant les libertés, la société. Ce phénomène est international. Au cours des récentes manifestations contre le pass sanitaire, plusieurs journalistes ont été agressés, injuriés, menacés, expulsés des cortèges, en France et dans de nombreux pays d’Europe. Après une nouvelle protestation samedi 31 juillet, des journalistes ont été pris à partie, des médias pris pour cible. Le même jour, les bureaux de la station radio France Bleu à Montbéliard ont été visés, ainsi que ceux du Dauphiné Libéré à Annecy. Dans la ville des Alpes, le tag «collabo» a même été inscrit sur les locaux du quotidien régional.
M. K.
1- Autopsie du Mouvement des Gilets jaunes, éditions L’Harmattan, 2019
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