Algérie : les défis de la bonne gouvernance
Une contribution de Ferid Racim Chikhi(*) – Le propos qui suit est la synthèse d’une analyse conjoncturelle plus fournie de la situation de l’Algérie au moment où elle rencontre des turbulences les unes plus denses que les autres. Certes, il y a les acquis du Hirak parmi lesquels se comptent l’éviction de bien d’un président et de responsables qui ont été corrupteurs ou corrompus ainsi que des gestionnaires cooptés et incompétents. Il y a aussi la prise de conscience générale qui ne cesse de cibler la mutation d’une gouvernance en déphasage avec les aspirations de pans entiers de la société et les causes, même si elles sont multiples, peuvent se résumer en un seul sous-titre : une nouvelle forme de centralisation des pouvoirs face au désordre et à la confusion.
Les dossiers chauds de l’été 2021
Au cours de l’été 2021, des évènements majeurs ont inauguré de façon remarquable la gouvernance du président Tebboune qui ne cesse de répéter qu’il œuvre selon les attentes des Algériens. En effet, ces derniers, dès le mois de février 2019, exprimèrent leur rejet du système mis en place par ses prédécesseurs et, bien entendu, ceux qui l’ont intronisé. Depuis, l’Algérie vit des changements potentiels mais sans pour autant qu’ils répondent avec satisfaction aux attentes du citoyen.
La machine gouvernementale peine à démarrer en raison d’impondérables qui freinent la dynamique impulsée contre vents et marées par les «nouveaux cooptés». Parmi ces impondérables, le premier est sans conteste les effets de la pandémie du Covid que l’on observe encore ; les incendies qui ont ravagé la Kabylie et les forêts de l’est du pays ; qu’ils soient de sources «naturelles» ou criminelles, l’Etat, ses gouvernants et ses élus sont restés invisibles. Fort heureusement, la solidarité agissante des citoyens venus de partout a permis la cautérisation des premières blessures. Déjà profondes, elles ont été observées dans le corps sociétal du pays. Il y a ensuite le deux poids deux mesures de la justice algérienne qui bat le record des décisions de détentions de militants activistes de la société civile. Un autre fait reste aussi sans conteste la «déclaration de guerre» du voisin de l’Ouest sous la houlette de son partenaire proche-oriental.
Bien heureusement, l’offensive stratégique et gagnante menée de main de maître par la diplomatie algérienne avec un ressourcement approprié aux fondements de ce qui a fait sa grandeur durant la Révolution algérienne et par une mise en œuvre intelligente d’une stratégie gagnante. Dans l’absolu, la désignation de chargés de missions pourrait être qualifiée de pertinente mais elle suggère que les rouages en place sont dysfonctionnels et laissent place à la spéculation et à la confusion. Cependant, force est de constater que la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc et l’action fort judicieuse de sortir Israël, l’usurpateur, de son statut d’observateur au sein de l’UA remettent les pendules à l’heure. Ces actions sont applaudies par la quasi-totalité des Algériens, mis à part quelques séditieux qui se prennent pour des révolutionnaires. Quant aux relations entre les deux peuples, mises de l’avant par quelques éditorialistes en manque de prestige, les politiques savent qu’il existe une profonde incompatibilité entre la sujétion de l’un et la citoyenneté de l’autre.
Une marge de manœuvre très réduite
Revenons à l’action domestique, le constat a été fait depuis fort longtemps au sujet de la distance qui existe entre le pouvoir en place et la population. Il est même expliqué par la faiblesse pour ne pas dire le manque de communication et d’information. Le président Tebboune, considéré par beaucoup d’illégitime, tente de gérer différemment tous les dossiers mais les urgences majeures de l’été 2021 ne lui laissent qu’une marge de manœuvre réduite. Pour y remédier, il conçoit un plan d’actions interdisciplinaires, et personne ne dira que cela n’est pas bien. Le système évolue et se transforme mais quatre paramètres sont occultés : le premier concerne l’inexistence d’un diagnostic sérieux du leg des anciennes gouvernances, exception faite de la diplomatie qui change dès lors que son inaction ou sa passivité d’avant le Hirak exigeait un redressement. Le second est celui de la question des valeurs et des principes éthiques qui, ailleurs, guident les actions des acteurs et autres opérateurs. Cela s’observe dans le modèle de sélection de ceux qui auront le devoir de le réaliser. Le troisième touche aux remplaçants qui sont toujours pris dans le sérail et ils ne sont pas sélectionnés en toute transparence malgré leur profil fort intéressant. Le quatrième qui reste, selon bien des analystes le plus fondamental, réside dans la pédagogie qui porte ce plan et à laquelle les experts/auteurs n’ont pas du tout pensé.
La centralisation des pouvoirs face au chaos
On ne le dit pas assez, mais qui n’a pas observé que le monde a amorcé depuis plus d’un demi-siècle des changements majeurs ? Même la nature n’épargne pas l’humanité via des bouleversements multiples les uns plus violents que les autres et provoquent des désordres dans tous les rouages organisationnels, qu’ils soient sociaux, économiques, culturels et bien entendu politiques.
Donc, si ce ne sont pas seulement les guerres qui génèrent des troubles et le chaos que beaucoup qualifient d’incontournables, c’est aussi la nature et le climat qui provoquent des dérèglements face auxquels l’être humain ne peut rien faire si ce n’est subir et patienter que «la tourmente» passe. Le pire, c’est qu’en dépit des avertissements lancés par les plus lucides et faute de protections annoncées, ce sont les plus faibles, les plus démunis, ceux qui vivent déjà dans la précarité qui sont les plus asphyxiés par des troubles accablants que même le temps ne saurait guérir.
Les gouvernants, comme à leur habitude, continuent dans le déploiement d’un régime qui fait plus dans une panique de gestion mal appréhendée. Cela montre que le retour naturel du mépris et du dédain à l’endroit d’un peuple résilient fait partie de leur personnalité. Avec un pouvoir fortement centralisé, aucune règle, même écrite, n’est respectée. Le citoyen est démuni et doit faire appel au système «D» pour s’en sortir ou pour le moins éviter sa propre perte. Ces gouvernants agissent comme ils l’entendent sans tenir compte des souhaits, des vœux, des désidératas du citoyen et de ses besoins réels. Pourtant, ce citoyen a fait la démonstration de sa générosité, de sa solidarité et notamment de sa sagesse.
La communication et l’information
Dans toute déclinaison de mécanismes de gouvernance convenablement ordonnés, la communication et l’information font parmi des fondements les plus solides des liens entre les gouvernants et les gouvernés. Les temps modernes ont produit des technologies qui permettent à l’information de circuler instantanément et parvenir aux récepteurs en temps réel. N’importe qui peut dire n’importe quoi, sur tous les sujets qui lui parviennent par un moyen ou un autre. Ce qui donne, à titre indicatif, le bouillonnement généré par les réseaux sociaux.
Si l’Etat et les gouvernants algériens ne se mettent pas au diapason des technologies de l’information et de la digitalisation, l’issue sera à tort ou à raison la remise en question systématique de leur crédibilité qui s’érode encore plus au fil du temps. La gouvernance de l’Algérie, malgré des changements d’hommes (avant il était question de chaises musicales), vit cette problématique et rien ne semble aller dans le sens de l’obtention de résultats probants. Pourtant, les remèdes existent et peuvent être prescrits sans pour autant empêcher les oppositions de s’exprimer. La liberté d’expression des uns et des autres est une condition sine qua none pour la préserver et en faire un outil d’orientation nécessaire et suffisant. Trouver les moyens légaux pour mettre hors d’état de nuire les influenceurs qui veulent la division de l’Algérie est une action de bon augure mais cibler systématiquement toute personne porteuse de différences et l’empêcher comme étant subversive, sans arguments portés à la connaissance du public. C’est à ce niveau que la pédagogie intervient pour expliciter les causes de cette problématique et les solutions préconisées et surtout éviter l’analogie avec une période à jamais révolue mais qui a perduré 130 ans.
Ce pourquoi nos aînés ont lutté, ce sont, entre autres, le recouvrement de la souveraineté nationale, les libertés fondamentales ainsi qu’une justice égalitaire et humaine et cela ne doit en aucune manière être occulté. Il importe de gouverner avec la transparence la plus crédible et, pour ce faire, il faut bien distinguer la communication de l’information et les deux de ce qu’est la désinformation notamment subversive. Dans le déroulement du plan d’actions du Président, le ministre de la Communication parle des nouveautés pour contrer la désinformation, il s’agit d’action proactive et de vision prospective, cependant qu’en est-il des fondements de cette pensée qui, localement, ne tiennent pas compte de la liberté d’expression élémentaire ? La libération de la parole, l’expression de la pensée diversifiée sont essentielles si l’on veut fonder une société civile vigilante et, surtout, consciente de sa force pour accueillir les décisions gouvernementales. Or, prenons n’importe quel site Internet de n’importe lequel des ministères… Tout est figé !
Le plan d’actions du gouvernement
La dernière étape de la rénovation organisationnelle qui débutera à la fin novembre 2021 marquera la mise en place de l’organigramme institutionnel et le lancement des actions prévues dans le nouveau plan de redressement du président Tebboune.
Le simple fait que ce plan énonce le besoin de lois régissant la liberté de réunion et de manifestation, la promotion du mouvement associatif et l’exercice de l’activité des partis politiques, la liberté de la presse ainsi que la sécurité des personnes et des biens est la preuve tangible que les paramètres de la gouvernance précédente étaient obsolètes. Par ailleurs, si le gouvernement du président Tebboune prévoit de garantir l’indépendance… et l’égalité de tous devant la justice et en instaurant plus de transparence et de moralisation dans la gestion des affaires publiques, prendra-t-il en compte les détentions arbitraires qui ont été décidées manu militari ? Procédera-t-il à une révision diligente pour la relaxe de tous les détenus ?
Le capital humain dont il est question : la panacée
La question qui se pose de nos jours est de savoir ce qu’il en est des hommes et des femmes qui prendront en charge la mise en œuvre de ce plan. Comme les précédents, théoriquement, les potentiels des premiers désignés paraissent appropriés mais dans la pratique ils restent insuffisants d’autant plus que les curriculum vitae publiés ne montrent aucune réalisation aux postes qu’ils ont occupés. Le contenu du nouveau programme et sous le chapitre intitulé Capital humain, il est mentionné que des objectifs sont, entre autres, l’amélioration des conditions de satisfaction du service public et l’initiation de formations aux employés des services publics mais rien en ce qui a trait à la sélection en amont de ceux qui doivent y veiller. Il reste que l’hypothèse qu’il ait été fait appel à des experts exerçant à l’étranger est vérifiable tant la théorie supplante la pratique sachant que lesdits experts ont fait des propositions qui semblent avoir été retenues.
Néanmoins, comme par le passé, elles n’ont aucun ancrage dans le monde du travail de l’Algérie d’aujourd’hui. Il est, malgré tout, étonnant qu’aucune recommandation n’ait été portée à la connaissance du public et surtout précédée d’un bilan, d’un état des lieux, d’une évaluation de la situation réelle. Ce nouveau plan est lancé et, comme par magie, il fait mention du concept «Capital humain». Connu pour être porteur d’une idéologie managériale problématique à laquelle s’oppose le potentiel humain, il est présenté comme étant la panacée. Or, un peu d’épistémologie nous laisse voir que les organisations économiques algériennes sont passées abruptement de la gestion du personnel avant la GSE et le SGT à la gestion des ressources humaines dès le milieu des années 1980. Cela s’est fait sans transition, ni formation appropriées. C’était l’époque de «l’homme qu’il faut à la place qu’il faut» et du triptyque «honnêteté, intégrité engagement». Ce modèle sorti tout droit des ouvrages de management est mis de l’avant pour en faire la panacée.
Dans l’absolu, encore une fois, nous savons que dans bien des pays, ce sont avant tout les modèles de sélection des dirigeants qui impriment le schéma de gestion. Ils se ressemblent. Il est aussi vrai que dans l’absolu, les curriculum vitae de ces gouvernants mentionnant leurs formations, leurs expériences et leurs compétences sont en adéquation avec les missions et les tâches des postes qu’ils postulent mais ce sont aussi leurs résultats de gestion qui sont scrutés. Ce qui n’est jamais le cas en Algérie. Va-t-on enfin y remédier ?
Pour conclure, les défis managériaux et de la bonne gouvernance sont gigantesques. Ils vont de la conception et de la rédaction des plans de charge et des programmes des ministères et de leurs employés jusqu’à la reddition des comptes, selon les normes accréditées. Ce qui veut dire que les institutions comme la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances et les inspections des ministères et des entreprises publiques doivent être activées et mandatées pour qu’elles effectuent le travail pour lequel elles ont été créées et qui évitent la navigation à vue.
Ainsi seront mis en œuvre les principes de l’exercice des droits et des libertés mais aussi des devoirs et obligations des citoyens. Là est la véritable question de la transparence et de la concertation pour les uns et les autres.
F. R.-C.
(*) Analyste senior, GERMAN, Groupe d’études et de recherches Méditerranée/Amérique du Nord
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