Crimes contre les juifs et massacre des Algériens : la logique sélective de Paris
Une contribution de Hocine-Nasser Bouabsa – Il y a soixante ans, le 17 octobre 1961, les forces de l’ordre français commettaient à Paris une barbarie inégale, jamais enregistrée aux abords de la Seine depuis la fin de révolution française, en assassinant froidement entre 200 et 300 manifestants, supposés jouir de la protection de l’Etat, puisqu’ils étaient, par la force du droit, citoyens français.
Il n’y a aucun doute. Ce massacre d’Algériens qui protestaient pacifiquement dans la capitale française contre l’instauration du couvre-feu raciste, appliqué exclusivement à leur égard, fut un crime contre l’humanité, programmé et exécuté non pas par un individu, mais par l’Etat français avec tous ses démembrements, qui, dans l’espoir de faire fléchir la position du FLN et du GPRA pendant les négociations d’Evian, ordonna à Papon de faire le sale boulot. Plus tard, cet Etat, non seulement le protégea contre toute poursuite judiciaire mais, pire, il le compensa par des promotions hors normes dans sa carrière et le couvera de ses plus hautes distinctions. Cette carrière le mena au poste de ministre de la République française et de député de l’Assemblée nationale jusqu’à 1981.
Papon ne fut inquiété – en dépit de sa carrière de collaborateur avéré du régime d’Hitler – que lorsque le puissant lobby des victimes de l’holocauste le prit dans son viseur. Ceci lui coûta une condamnation de 10 ans pour avoir participé à l’organisation de la déportation des juifs vers les camps de concentration en Allemagne et en Pologne. Mais pour le massacre des Algériens, aucun procès, aucune sanction. C’est comme si ces derniers étaient un gibier sauvage dont il fallait libérer Paris.
Si Maurice Papon pouvait nier ou réfuter, en raison d’un manque éventuel de preuves tangibles, son rôle dans la déportation des juifs, qui lui a coûté néanmoins une incarcération de deux ans, les crimes contre l’humanité commis à Paris contre les Algériens sous son autorité ne nécessitaient, par contre, point d’efforts d’éclairage. Tous les médias du monde ont transmis les images de ce sinistre évènement dont furent victimes les Algériens. Les preuves étaient accablantes. Pourtant, rien ne fut entrepris par la justice française pour les élucider en les traitant, comme l’aurait fait tout Etat de droit. Au contraire, tout fut entrepris pour les détruire. Du côté du pouvoir politique, c’est aussi le black-out total. Le général De Gaulle, mis au courant du massacre, aurait réagi par «c’est secondaire».
La condamnation de Maurice Papon pour ses crimes contre les juifs, d’une part, et sa protection contre toute poursuite liée aux massacres des Algériens à Paris, il y a 60 ans, d’autre part, illustrent de façon irréfutable l’hypocrisie et la logique sélectives de deux poids, deux mesures qui règnent jusqu’à aujourd’hui au sein des autorités et élites françaises lorsqu’il s’agit de l’Afrique, en général, et de l’Algérie, en particulier.
H.-N. B.
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