Maroc-Israël : le couple des passions tristes ou la posture de la collaboration
Une contribution d’Ali Akika – Dans ces deux Etats messianiques, on nous a bassinés avec le voyage de Gantz au Maroc qui serait historique. Quand les mots sont galvaudés, ils perdent de leur pertinence. Ni les mots ni les locuteurs ne se laissent ni berner ni bercer quand le propagandiste a déjà donné des preuves de ses mensonges éhontés. C’est pourquoi, en lisant la presse du Maroc et d’Israël, j’ai lu derrière les mots et les images que le «mariage» de ce couple après avoir entretenu des rapports clandestins a décidé d’officialiser leurs «amours» sous la pression de la peur de l’inconnu d’un monde qui bouge.
Le couple s’attendait à des applaudissements frénétiques des invités sous le tonnerre d’une fantasia et les lumières d’un feu d’artifice. Que dalle ! On a eu des sourires crispés et de molles poignées de mains entre deux ministres pressés de rentrer chez eux. La presse israélienne a rejeté l’événement en milieu de page et mettait en gros titre et en première page la fureur du gotha politique contre la reprise des pourparlers irano-américains à Vienne. Colère accompagnée d’indignations contre le jugement des Américains qui avaient osé déclarer que les bombardements israéliens contre l’Iran étaient contre-productifs. Quant aux médias marocains, connus pour leur «sérieux» et leur «objectivité», ils signalaient très discrètement la visite du ministre israélien et faisaient l’impasse totale des manifestations populaires contre la présence de cet intrus qui symbolisait un viol caractérisé des sentiments profonds de la majorité du peuple marocain solidaire de la Palestine.
Ainsi, ce que nous dit cette visite sur les relations entre le Maroc et Israël, ce n’est pas tant leur nature, mais le pourquoi de leur officialisation et le moment choisi pour le faire. Rappelons tout de même la nature de ces relations. Pour le Maroc, elles s’inscrivent dans la logique d’une monarchie anachronique qui se maintient contre vents et marées au pouvoir à une époque qui n’accepte plus de pouvoir de droit divin. Ce genre de pouvoir a été enterré ailleurs et on sait pourquoi. Un pouvoir qui se maintient de la sorte le fait évidemment contre le peuple, mais révèle aussi son indigence intellectuelle et idéologique, indigence qui lui fait creuser sa propre tombe. Cette indigence lui a fait faire des calculs et des analyses médiocres en considérant qu’il faut s’allier au plus puissant du moment pour sauver son trône.
Cette erreur a été faite par les monarchies du Moyen-Orient qui ont ignoré les vents qui ont engendré la nahda et, cerise sur le gâteau, ont trahi la Palestine en 1948, lors de la création d’Israël. Résultat des courses, les monarchies, égyptienne (1956) et irakienne (1958) furent balayées. Aujourd’hui, ces mêmes monarchies se bousculent au portillon pour faire la «paix» avec Israël, un pays qui passe pour puissant, donc leur sauveur. C’est cette même indigence politique qui les fait opter pour la posture de la collaboration pour sauver leur trône. Contre qui ? Contre leur peuple et contre l’Iran, sous le prétexte fallacieux de la religion pour masquer leur impuissance à se défendre et donc à se vendre à ceux qui peuvent assurer leur sécurité.
Certains d’entre eux commencent à comprendre que mettre leurs œufs dans un même panier n’est pas efficace. Ils ont donc pris le chemin de Damas pour aller plus vite à Canossa (1). Ces monarques «éclairés» viennent de comprendre que l’illusion qui fait croire que la force, tout le temps et en tout lieu, est gage de réussite et donc de protection, n’est pas le meilleur des «rêves». Ils viennent de comprendre que la première puissance du monde a fui l’Afghanistan, comme hier au Vietnam devant des soldats chaussés de sandales Ho Chi Minh. Il leur faut chercher d’autres alliances, à l’exemple d’Israël qui multiplie la conquête des cœurs des monarques à défaut de berner l’esprit des peuples qui ont une conscience plus aigüe de leur histoire que les charlatans de la littérature de l’estomac qui font le pèlerinage du mur des lamentations.
Oui, Israël, incapable de desserrer son encerclement dans son environnement immédiat, tente de fabriquer des alliances avec des pays qui craignent leur peuple. Il l’a fait hier avec des pays du Golfe et aujourd’hui avec le Maroc. Mais le cadeau américain qui est un renfort à la politique de ces deux Etats exige un «salaire». Et ce salaire va être fructifié dans une région où les trois larrons trouvent leur compte.
Le roi du Maroc, dont l’univers mental n’est fait que d’illusions nourries d’archaïsme et d’infantilisme, pense qu’une parole émise par quelqu’un parlant de Sahara «marocain» est une marque du réel. Comme il n’est pas tout à fait sûr de son ex-ami, alors il a fait appel à un nouvel ami, Israël dont il partage une vision des choses où le vol, les murs et le bâton constituent le décor de leur univers. D’autant que ce nouvel ami a l’expérience et l’expertise pour défendre les biens volés. Quant à ce nouvel ami, introduit dans une région carrefour de la vieille Europe qui a encore de beaux restes et une Afrique dont les potentialités du sous-sol aiguisent tant de convoitises, la «paix» avec le Maroc est une aubaine, une occasion à ne pas rater. La «paix» de ce nouvel ami ne lui coûtera que quelques drones et des experts pour les faire fonctionner. Ceux qui ont créé Israël oublient que cette région n’est pas à vendre, ni facilement «mangeable» comme la Palestine en 1948, esseulée, et certains ont regretté de ne pas avoir écouté le père du sionisme (2).
Devant les postures et les convoitises de ces deux obligés, l’Oncle Sam laisse faire et l’encourage même. Il est tellement préoccupé et occupé à construire une nouvelle digue dans le Pacifique. Dans cette région du monde, il est face à un pays qui a inventé le jeu de Go dont le grand Sun Tzu a copié les règles dans son livre L’Art de la guerre, livre de chevet des élèves de Clausewitz, Napoléon, Mao Tsé Toung, etc. C’est pourquoi l’Oncle Sam délègue ses pouvoirs dans cette région nord et ouest de l’Afrique à ces deux obligés pour paiement de ses cadeaux. L’intérêt de l’Afrique pour les Etats-Unis explique la tournée récente de Blinken, secrétaire d’Etat américain, qui n’a pas cessé de faire des déclarations contradictoires. Appeler à l’application de la résolution du Conseil de sécurité relative au droit à l’autodétermination des Sahraouis et faire l’éloge de la proposition marocaine d’autonomie, il y a là un dédoublement du langage qui va au-delà des subtilités diplomatiques habituelles.
Bref, l’Amérique, pour faire barrage à la venue de la Russie et de la Chine dans cette Afrique, compte sur Israël et le Maroc. L’Oncle Sam ne supporte pas que des pays n’obéissent pas à ces vœux. L’exemple le plus flagrant est celui des Etats-Unis qui ont exprimé leur mécontentement contre les manœuvres algéro-russes en Méditerranée. Le Pentagone a dû oublier de signaler au département d’Etat que l’armée américaine venait de faire des manœuvres au Maroc. Cet oubli, ou plutôt l’application de la maxime «faites ce que je dis et ne faites pas ce que je fais» relève d’une drôle de façon de raisonner propre à tous les Rambo du monde.
Pour conclure, toute cette architecture, belle d’apparence mais vermoulue dès qu’on gratte un peu la façade, finira par montrer son inanité et son inefficacité. La France en a fait l’expérience et s’apprête à quitter, ou à être discrète, au Mali et dans la région. Elle a tenté de se faire aider par l’Algérie, elle avait frappé à la mauvaise porte. Elle se retourne vers le Maroc, mais celui-ci, enclavé du Mali et autre Niger, mais surtout harcelé par le Polisario qui va finir par l’épuiser, n’est donc pas le bon pompier pour éteindre le feu. Quant à Israël, vouloir s’installer aux portes de l’Algérie et de l’Espagne, deux pays qui ont les moyens de refroidir ses ardeurs comme le font en ce moment de simples organisations «terroristes», Hamas et Hezbollah, sans compter la Syrie et l’Iran qui, sans avoir encore tiré un coup de feu, lui donne des cauchemars.
En étudiant l’histoire de ces pays et en observant leurs comportements, j’avoue ne pas comprendre les nourritures terrestres qui alimentent leurs esprits. Se donner le droit de tout faire et de donner des leçons aux autres sans, à aucun moment, penser que l’absence de cette intelligence historique est à l’origine de leur stupidité et de leur arrogance. Et c’est cette intelligence historique qui s’exprime et qui va s’accentuer à travers le Polisario qui a le droit et la force de la faire parvenir aux agités de tous poils pour qu’ils retrouvent leurs esprits et comprennent que le monde a changé. La colonisation, ça a existé. Ceux qui le savent commencent à s’en rendre compte avec la culture Work née chez les descendants des esclaves noirs (3).
A. A.
N. B. : «Passions tristes» est une expression du philosophe Spinoza qui relatait la haine, le mensonge, la peur, la trahison, le fanatisme qui peuplaient son époque. Bref, un monde qui agonise comme le dit aussi Gramsci dans une formule saisissante.
1- «Prendre le chemin de Damas», expression chrétienne qui veut dire trouver une nouvelle voie et oublier les anciennes. Traduction d’aujourd’hui : prendre conscience de ses erreurs. Quant à l’expression «Aller Canossa», c’est courber l’échine, abdiquer et reconnaître sa défaite.
2- Je fais allusion à Herzl, père du sionisme qui, découvrant que la Palestine était habitée, reconnut qu’il s’est trompé. On cherche d’autres endroits comme l’Ouganda et l’Argentine, mais l’absence de la charge religieuse fit rétropédaler les sionistes en choisissant la Palestine. Quant à Ben Gourion, il a dit qu’il ferait la même chose «si on venait à me chasser de ma maison».
3- La culture Work a pour but de faire une lecture nouvelle de l’histoire pour révéler la vraie nature et les effets du colonialisme.
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