Interview – Jacob Cohen : «Je ne crois pas qu’Israël va attaquer l’Algérie»
Algeriepatriotique : Un rapport d’Airwars, un organisme de surveillance basé au Royaume-Uni, vient de révéler l’ampleur des crimes d’Israël contre le peuple palestinien. A quoi servent tous ces rapports si l’Etat hébreu bafoue impunément le droit international ?
Jacob Cohen : On devrait savoir, depuis le temps, en fait depuis 1949 et les premières résolutions sur les réfugiés palestiniens, que le régime sioniste n’en a rien à fiche du droit international, des résolutions internationales, du droit humanitaire, du droit de la guerre, des conventions sur l’occupation et/ou sur la torture, etc. Cela s’explique par le fait qu’Israël bénéficie d’une impunité quasi totale grâce à la protection de l’Occident qui répugne à imposer quelque sanction que ce soit. Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à dénoncer légalement les pratiques illégales des sionistes, mais il faut savoir que cela ne mènera pas à grand-chose de concret et qu’il faudra chercher d’autres formes de luttes, pas nécessairement violentes, mais ciblées différemment. Je crois qu’il faudrait remettre en cause la légitimité même du sionisme incapable de s’insérer pacifiquement dans la région.
La visite du président palestinien en Algérie est considérée comme un message adressé à la fois au Maroc et à Israël…
Ce sont, hélas, des gesticulations diplomatiques sans aucune portée réelle. Certes, l’Algérie réaffirme aux yeux du monde sa position officielle et le refus de se soumettre aux diktats américano-sionistes. Mais le monde arabe de la résistance se trompe encore de combat. L’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas, qu’elle le veuille ou non, fait le jeu des sionistes. Les Accords d’Oslo montrent depuis presque trente ans qu’ils servent à couvrir la colonisation et l’occupation de ce qui reste de la Palestine, du contrôle de sa population et de son utilisation comme main-d’œuvre docile au profit de l’économie israélienne, même celle de l’occupation. Le régime sioniste n’accordera jamais – sauf défaite militaire – un véritable Etat aux Palestiniens. C’est terrible de constater cet aveuglement dont la première victime est le peuple palestinien, pris entre le marteau sioniste et l’enclume de ses propres dirigeants collabos en Cisjordanie et l’enclume de la dictature égyptienne pour Gaza.
Le Maroc peut-il encore présider le Comité Al-Qods ?
La création du Comité Al-Qods et son fonctionnement montrent à quel point le monde arabe et islamique est incapable de résister autrement que par des incantations diplomatiques vouées à l’échec. Le pire dans cette affaire, c’est l’accaparement de cette cause par Hassan II et puis par son fils. Autant dire que le régime sioniste peut tranquillement coloniser et arabiser Al-Qods sans grande opposition. On peut même dire que la présidence du Comité Al-Qods par le Maroc après la «normalisation» est une insulte à la cause arabe, à la Palestine et à Jérusalem. Le monde arabe et islamique est tombé bien bas.
Pourquoi, selon vous, les Palestiniens n’ont-ils pas demandé que soit retirée cette présidence au régime de Rabat ?
L’OLP n’a qu’une seule voix dans le Comité Al-Qods et celle qui a probablement le moins d’influence. L’OLP n’est que l’ossature du pouvoir palestinien en Cisjordanie, bien qu’elle tente de donner l’illusion d’une organisation militante autonome et d’effacer la collaboration de l’Autorité palestinienne. Or, ce pouvoir palestinien, l’OLP inclus, ne survit que grâce au bon vouloir de l’occupant sioniste – qui le débarrasse de tous les vrais résistants : FPLP, Hamas, etc. – et des centaines de millions de dollars déversés par l’Europe et autres donateurs arabes à condition qu’il joue le «jeu» de la communauté internationale : assister au dépeçage de la Cisjordanie tout en clamant haut et fort qu’il se bat pour un Etat palestinien indépendant sur les frontières de juin de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale. S’il y croit, c’est qu’il est d’une naïveté dramatique. S’il y avait des élections libres, l’OLP serait balayée. Si elle continue dans la voie de la collaboration, l’OLP achèvera le tragique destin de la Palestine.
Des observateurs avisés de la scène politique arabe et africaine estiment que l’implantation d’Israël dans le continent africain a été rendue possible par la division des Palestiniens. Qu’en pensez-vous ?
Je ne partage pas ce point de vue. La division des Palestiniens sert d’abord les intérêts d’Israël. Si un jour l’Autorité palestinienne obtient un «banthoustan» sur le tiers de la Cisjordanie – le meilleur deal qu’elle peut espérer –, Gaza n’en fera pas partie. Ce territoire sera confié à la surveillance de l’Egypte. L’implantation d’Israël dans le continent africain est en grande partie la faute des Palestiniens, certes, mais de ceux qui ont signé les Accords d’Oslo et qui poursuivent leur application, semant la fausse illusion dans le monde que le régime sioniste est prêt à négocier et à laisser s’établir un véritable Etat de Palestine. La solution à deux Etats en somme. C’est une des plus belles arnaques politico-diplomatiques, et il est presque comique d’entendre les principaux dirigeants du monde en faire la promotion avec sérieux. D’autres Etats, comme l’Inde et la Chine, y avaient vu aussi un prélude pour la paix et avaient entamé des relations avec l’Etat juif. L’erreur des dirigeants palestiniens de Ramallah est de continuer à entretenir cette fiction. Et les Etats africains n’ont fait que s’engouffrer dans cette brèche.
Les provocations israéliennes contre l’Algérie viseraient-elles à justifier une agression armée par procuration, selon vous ?
Je ne crois pas à une agression armée d’envergure contre l’Algérie. D’abord, je ne vois pas comment elle pourrait être justifiée et transformée en action de légitime défense. Ensuite, le Maroc chercherait plutôt, grâce au savoir-faire qu’il attribue aux Israéliens, à mener des actions de subversion et de déstabilisation en deçà du conflit armé, comme un travail de sape qui amènerait l’Algérie à résipiscence et, in fine, à abandonner le Polisario. Le fantasme ultime. Parallèlement, le Maroc semble développer une force militaire tous azimuts, mais plus pour peser sur le rapport de forces. Il aurait trop à perdre d’un conflit qui ne tournerait pas très vite à son avantage. Le régime chérifien donne l’impression de découvrir, dans l’allié sioniste, la clé qui lui manquait pour montrer ses ambitions et les moyens d’y parvenir. Il n’en revient pas d’être admis dans la cour des grands. Rien n’est trop beau pour complaire au nouvel allié. Même d’entrer dans une relation inégalitaire, limite coloniale. Récemment, le souverain marocain a décidé de faire réhabiliter des centaines de sites juifs abandonnés pendant que le régime sioniste poursuit son travail de destruction de toutes les traces arabes sur le sol historique de la Palestine.
Les attaques racistes et islamophobes en France prennent de l’ampleur à l’approche de la présidentielle française. Comment expliquer ce phénomène ?
Il faut savoir que les campagnes islamophobes ont été lancées à partir de 1983 – année de la «marche des beurs» censée promouvoir l’intégration des musulmans avec leurs droits et devoirs dans la République – pour justement empêcher cette intégration. Ces campagnes sont le fait de «sayanim» ou juifs sionistes travaillant pour le Mossad. L’objectif était d’empêcher les musulmans d’occuper des positions importantes dans les secteurs de pouvoir sensibles, comme la politique ou les médias. Ainsi, la France resterait une forteresse sioniste bien ancrée dans le camp occidental. Ces campagnes ont été une grande réussite, et il faut avoir un sacré courage aujourd’hui pour défendre les musulmans, sauf lorsque la question est exploitée à des fins électorales. L’islamophobie est donc bien installée en France, et la parole se libère encore plus avec un candidat comme Zemmour. Je reprocherai aux musulmans de France leur division, leur pusillanimité, l’ignorance de leurs droits ou la réticence à les défendre, leur peur d’assumer un communautarisme de résistance, leur répugnance à faire une analyse courageuse de la situation qui les amènerait à affronter le lobby judéo-sioniste. En fin de compte, ils ne se sont pas totalement débarrassés de leur «complexe du colonisé».
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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