Faire la guerre à la Russie pour isoler la Chine : quid du monde arabe et de l’Afrique ?
Une contribution d’Ali Akika – La fièvre et la peur de la guerre en Europe est simplement le produit de la russophobie que l’on a semée à satiété à tout moment et sous n’importe quel prétexte. Le sort de l’Europe n’est point menacé par la Russie mais par le seul pays au monde à la tête d’une organisation militaire unique au monde depuis l’aube de l’Humanité. Tout le beau monde politique et médiatique a peur en découvrant tardivement que l’arrogance du gendarme du monde va jeter la Russie dans les bras de la Chine, autre pays considéré comme une menace pour leur portefeuille. La vraie guerre en Europe pour les beaux yeux des Etats-Unis et les poches qui se rétrécissent à cause de cette Chine devenue l’atelier du monde, une équation à plusieurs inconnues difficile à résoudre. Equation d’autant plus compliquée que cette Europe de cette Union européenne est divisée car, faire face à la fois à la Russie et à la Chine, c’est un peu plus périlleux que les aventures dans certains pays de l’autre côté des mers. Bref, les stratèges de cette Europe n’ont pas vu le jeu des Etats-Unis qui rejouent le même scénario élaboré par le duo Nixon/Kissinger en 1972 pour détacher la Chine de l’ex-URSS.
Ce matin, j’ai entendu avec un certain plaisir l’économiste distingué d’une grande radio rappeler le voyage en Chine qui, selon notre économiste distingué, a profité à la Chine. C’est exactement le contenu de mon article «Biden fait du Nixon pour que les Etats-Unis demeurent le gendarme du monde» dans Algeriepatriotique du 3 janvier 2022. Pour dire crument les choses, la France et tous les candidats à l’élection s’aperçoivent que les Etats-Unis ne feront pas directement la guerre mais veulent créer et maintenir une tension permanente pour neutraliser à la fois l’Europe et la Russie. Se rapprocher le maximum des frontières russes et ne prendre aucun engagement contre l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, c’est mobiliser les Russes et obtenir une réaction de l’Europe qui se mobiliserait comme elle le fait actuellement. Neutraliser ce vaste continent riche et bien armé laisse les mains libres à l’Oncle Sam pour contenir la «menace» mais surtout la concurrence économique et monétaire car les Chinois sont en passe de se passer du dollar avec leur ami russe.
Le présent article a pour objet de cerner les conséquences de cette guerre en Europe qui n’aura donc pas lieu mais qui produira cependant des effets sur le monde arabe et l’Afrique. Deux parties du monde physiquement liées par la géographie mais aussi surtout par l’Histoire. Géographie et histoire qui ne seront pas étrangers aux contours de l’avenir des peuples de la région. Géographie et histoire qui furent l’objet d’un essai historico-politique du président Djamel Abdelnasser dont on connaît le rôle politique en Afrique et dans le monde arabe. Le relire aujourd’hui permet de saisir des choses sur l’Afrique et le monde arabe.
Les frontières politiques de l’Afrique et du monde arabe. Nous avons vu cette semaine les contours et la nature politique des pays s’exposer lors de la réunion des chefs d’Etat de l’Union africaine (5 et 6 février 2021). On a vu que l’appartenance «ethnique» ou religieuse n’habillaient pas les prises de position des pays (1). La frontière départageait deux visions politiques, deux visions d’alliances géopolitiques. Ces deux types de visions recoupaient deux visions de souveraineté nationale, l’une qui reposerait sur l’indépendance du pays, la seconde quelque peu subordonnée à des alliances étrangères au continent. Nul besoin d’être devin pour parier que ces frontières, on les retrouvera dans le prochain Sommet de la Ligue arabe. Soyons clairs, les paramètres ethniques ou religieux ne pesant pas lourds dans les relations internationales entre Etats ne signifie pas hélas ! qu’ils sont invisibles dans les sociétés de ces pays. Ils sont même parfois des socles de partis politiques pour masquer les problèmes essentiels des sociétés dont ils ignorent les outils politiques nécessaires et soutenus par une vision claire de leur société pour les résoudre.
Est-il besoin de tracer une carte politique de l’Afrique qui a connu une terrible colonisation et une non moins sauvage et criminelle politique de l’esclavage qui l’ont vidée au sens propre de sa vitalité. Ce lourd héritage, elle le traîne encore et se traduit par la persistance de rapports coloniaux et de problèmes internes où le sous-développement et autres pesanteurs ethniques et religieux, le handicap lourdement. Nous voyons ainsi sous nos yeux des faits lourds de la colonisation qui a engendré des régimes dictatoriaux et incompétents. Un continent qui fut livré quelque peu désarmé dans un monde régi par la cruauté des rapports de force internationaux où naviguent des gens, obsédés uniquement par leurs seuls intérêts. Heureusement que l’Histoire n’est pas un lac immobile mais un torrent impétueux que rien ne peut arrêter.
Les événements actuels avec leurs lots de guerre, de coups d’Etat, de manifestations populaires sont des signes que le statu quo est insupportable. Quant au monde arabe, on connaît son histoire avec les conquêtes subies et les convoitises de prédateurs voraces qui se sont donné rendez-vous précisément à un carrefour qui relie trois continents, l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Ce carrefour de la géographie et de l’histoire a dessiné les nombreuses frontières qui le traversent. Un regard simpliste peut faire croire que le monde arabe, avec une langue et une religion relativement admises et partagées, bénéficie de calme et de tolérance. Hélas non ! Hélas de véritables obstacles parsèment les frontières, non celles de la nature mais celles érigées par l’histoire et la politique. La première frontière sépare les régimes monarchistes et républicains. Frontière «tracée» par la religion qui a fourni grosso modo à la fois une langue, la spiritualité et un ordre politique et social, d’où les nombreuses monarchies qui existent encore de nos jours. Frontière «tracée» par les luttes de libération anticoloniales qui ont accouché de régimes républicains. De nos jours, ces deux frontières qui cohabitaient ont volé en éclats par les bouleversements avec la décolonisation et ses effets dans les rapports d’Etat à Etat et dans la conscience historique de chaque société.
Ces contradictions se retrouvent et s’expriment durement dans une Ligue arabe censée être un socle face à la dureté et aux aléas de la vie internationale. Celle-ci a fait entrer ouvertement, par effraction ou par nécessité, de nouveaux acteurs internationaux dans le monde arabe. La création d’Israël, son obsession à la conquête de territoire tout en voulant se faire reconnaître, a créé un véritable chaos dans le monde arabe.
Voilà donc tels quels les monde arabe et africain dans l’éventuel et potentiel chaos en Europe où les pays membres de l’OTAN et la Russie, tous deux armés jusqu’aux dents, se surveillent. Pour le plus grand bénéfice des Etats-Unis qui espèrent enfin damer le pion à la Chine en s’installant en Afrique et en se maintenant au Moyen-Orient. L’Afrique pour ses minerais rares et son pétrole, le Moyen-Orient pour son pétrole et le carrefour des trois continents, que rêver de plus. Avoir la main sur des matières premières et les routes terrestres et maritimes pour barrer la route de la soie à la Chine, c’est assez rigolo de voir les Etats-Unis devenus de bons élèves de Sun Tzu, auteur de L’Art de la guerre selon qui l’art suprême est de soumettre l’ennemi sans faire la guerre. Sauf que Sun Tzu est chinois et les Chinois doivent le comprendre plus aisément. Quant à la Russie, elle va se laisser manipuler et fera comme face à Napoléon et Hitler la guerre par épuisement de l’ennemi.
Le monde arabe et l’Afrique vont-ils être le théâtre de guerres faites par procuration à la Chine et la Russie ? Les Américains vont faire faire par les Arabes et les Africains leurs guerres de conquête ? Ce n’est point une simple hypothèse. Ils l’on fait en Asie en soutenant leurs fantoches au Vietnam, Cambodge, Laos, en Chine et dernièrement en Afghanistan où ils ont créé les Talibans avec le soutien des Saoudiens et leurs dollars. En dépit de leur puissance, les Etats-Unis n’ont pas pour eux le temps. Les transformations dans tous les domaines militaires, technologiques et surtout les capacités de résistance des peuples sont autant de paramètres qui vont dérégler la mécanique de leurs machineries. Cette vision du temps long et de la résistance (et non résilience) ne s’impriment pas dans la tête des «stratèges».
On le voit quand ces stratèges pérorent en disant que la Russie n’a même pas le produit intérieur de l’Espagne, elle est faible et elle ne peut pas vivre sans les dollars du gaz, etc. Ces perroquets ont été entendus par Poutine en conférence de presse avec Macron. Le regard sévère et quelque peu méprisant, il répondit à ce genre de questions stupides de certains journalistes en disant : «Certes, les pays de l’OTAN sont surarmés», puis deux, trois secondes de silence et il lâche : «N’oubliez pas que nous avons des armes nucléaires !» La phrase s’adressait au président français et au monde entier, en laissant entendre : «Venez frotter votre stupidité à la Russie.»
A. A.
(Paris)
1- La suspension d’Israël du statut d’observateur de l’Union africaine a divisé l’Afrique. Cela a été possible grâce notamment à l’Afrique du Sud libérée de l’apartheid qui n’a pas oublié le rôle néfaste d’Israël qui soutenait l’Afrique du Sud de l’apartheid. La furieuse réaction de Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, contre l’Afrique du Sud est la preuve que la monarchie marocaine a choisi son camp et que ses mensonges ne passent plus.
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