Le Canada face à ses propres démons
Une contribution de Sid-Ali Hassen – Que se passe-t-il à Ottawa la capitale fédérale du Canada ? Cette ville de fonctionnaires connue pour son calme et sa sérénité est devenue subitement le point focal de toutes les dépêches de presse et des journaux télévisés. Pour mieux comprendre le blocus imposé par les camionneurs non seulement à Ottawa mais dans plusieurs endroits névralgiques tout au long de la frontière avec les Etats-Unis, il faut remonter au 19 novembre 2021 lorsque les autorités sanitaires fédérales et le ministère des Transports avaient annoncé qu’en date du 15 janvier 2022, les catégories de voyageurs qui étaient exemptés des exigences pour entrer au pays ne pourront plus entrer sur le territoire canadien que s’ils sont entièrement vaccinés avec l’un des vaccins approuvés.
Même si la loi canadienne ne permet pas de refuser l’entrée au Canada aux camionneurs canadiens non vaccinés ou à un individu inscrit à titre d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens, ces derniers sont néanmoins soumis à des mesures contraignantes de dépistage avant et après leur arrivée au Canada et, le cas échéant, à observer une quarantaine.
L’industrie du camionnage déjà fortement impactée par le ralentissement économique découlant de la pandémie est vite montée aux barricades pour faire face à ce que de nombreux camionneurs considèrent comme des lubies de fonctionnaires entièrement coupés des réalités des citoyens ordinaires.
Le mouvement de contestation qui, dès le premier jour, a connu une forte mobilisation, a été récupéré rapidement par des mouvements politiques d’extrême-droite. C’est ainsi que dès les premiers jours de la manifestation, les Canadiens ont été interloqués par ces convois de camionneurs arborant le drapeau des confédérés et même des drapeaux nazis alors que la motivation première de cette manifestation était l’amélioration «des conditions de travail des camionneurs».
Il n’en fallait pas plus pour les autorités canadiennes pour invoquer l’ingérence étrangère dans l’organisation et le financement de ces groupuscules qui ne viseraient rien de moins que de faire tomber le gouvernement par des moyens antidémocratiques. Accusations vite rejetée par les organisateurs qui y voient plutôt une campagne de diabolisation d’un mouvement populaire contre un pouvoir fédéral «liberticide».
Plusieurs rapports de presse évoquent la présence d’anciens militaires et d’anciens officiers de la Gendarmerie royale du Canda (GRC) au sein des différents groupes contestataires. Le financement étranger estimé à une dizaine de millions de dollars proviendrait de pays comme la Chine, la Russie et même des militants de l’ex-président des Etats-Unis, Donald Trump.
Par le truchement de la plateforme GoFundMe les ressources financières intarissables de ce mouvement commencent à inquiéter les autorités canadiennes qui misaient sur l’essoufflement de ce dernier par manque d’argent. Les pressions exercées par les autorités judiciaires sur la plateforme ont poussé les organisateurs à migrer sur une autre plateforme, en l’occurrence GiveSendGo que de nombreux observateurs considèrent comme l’un des vecteurs les plus importants de financement de la droite religieuse aux Etats-Unis et au Canada.
Plusieurs députés, de gauche comme de droite, ont dénoncé avec véhémence cette «main étrangère» eux qui, pourtant, ne faisaient pas cas des règles de retenue ni de sagesse quand il s’agissait d’intervenir dans les affaires internes des autres pays.
Il importe de souligner que le fait de dénoncer l’ingérence dans ces affaires internes n’est pas chose nouvelle pour le Canada. On se souviendra qu’en 2019 le gouvernement canadien avait mis en place un plan pour lutter contre cette ingérence étrangère. Ledit plan regroupait trois ministères, et non des moindres. Il s’agissait du ministère de la Sécurité publique, le ministre des Institutions démocratiques et le ministère de la Défense nationale. Le fameux plan s’articulait autour de trois volets importants : lutter contre l’ingérence étrangère, sensibiliser les citoyens face à la désinformation en ligne, renforcer la préparation organisationnelle et d’accroître la transparence des plateformes sociales et numériques.
Face à l’inertie affichée par le Premier ministre, Justin Trudeau, qui n’exclut plus le recours aux forces armées pour libérer les ponts et le réseau routier, la population commence à montrer des signes de fatigue et d’écœurement face à ces manifestants qui ont pris en otage leur ville.
Le président du puissant voisin du Sud, Joe Biden, a demandé aux autorités canadiennes de mettre fin à ce blocus qui se révèle extrêmement nuisible au commerce entre les deux pays. On estime à environ 1,7 milliard de dollars américains la valeur des marchandises et des services qui traversent la frontière entre les deux pays chaque jour.
Jusqu’à présent, l’état d’urgence déclaré par le maire d’Ottawa et le Premier ministre de la province de l’Ontario n’ont pas eu l’effet escompté. Le recours à la justice pour déclarer cette manifestation pacifique comme une occupation donnera aux autorités le droit d’obtenir des injonctions qui permettront à ces dernières de mettre fin à ce blocus par la force publique.
Manifestations pacifiques ou occupation illégale fomentées par des puissances étrangères, les autorités canadiennes semblent complètement désarçonnées par un mouvement contestataire qui menace sérieusement les fondements même de la démocratie canadienne et de son Etat. Abstraction faite des déclarations à l’emporte-pièce d’hommes et de femmes politiques dénonçant un ennemi étranger invisible et insaisissable, la classe politique canadienne se montre pour le moment incapable de juguler cette contestation qui est en train de faire des émules en Europe et ailleurs.
S.-A. H.
(Canada)
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