La Russie est soumise au totalitarisme occidental le plus cynique et sournois
Une contribution de Saâd Hamidi – Depuis quelques jours une opération de «maintien de la paix» a été déclenchée en Ukraine. Nous faisons nôtre cette sémantique pour faire contrepoids aux médias mainstream occidentaux et pour dire que les événements historiques que nous vivons actuellement ont plusieurs angles de lecture et non pas juste la seule lecture de l’Occident arrogant et dominateur. Les régimes occidentaux jouent aux vierges effarouchées en dénonçant, selon eux, cette invasion injustifiée et non provoquée. L’empire du mensonge, dixit Poutine, et – ajoutons – de l’hypocrisie, a montré ses crocs et veut mener une guerre économique totale contre la Russie.
L’émotion joue encore à fond malgré quelques hésitations et rétractions. On ne parle même pas de l’interdiction des médias russes Sputnik et Russia Today (RT). Signalons que, du point de vue juridique, l’Union européenne n’a pas le mandat d’imposer des sanctions à l’encontre d’un pays tiers. Seuls les parlements nationaux peuvent prendre cette mesure. On ne sait pas dans quelles circonstances la décision d’exclure la Russie des compétitions sportives internationales a été prise mais quand on voit l’unanimisme qui a prévalu à ces exclusions, on reste sans voix devant ce double standard. Mais revenons à l’origine du conflit, en mettant en relief le fonds culturel des acteurs majeurs.
Un des contributeurs d’Algeriepatriotique a déjà joliment souligné cet aspect. Il y a le joueur de poker, le joueur d’échecs et le joueur de Go. Quand le joueur du poker mélange l’argent et la désinvolture, le joueur d’échecs calcule avec précision ses coups et ce, suite à une profonde réflexion. Le jeu de Go, par contre, met en œuvre la stratégie et le compromis qui lui permettent de négocier le plus d’espace possible tout en limitant la liberté de se mouvoir de l’adversaire. En caricaturant à peine, ce sont les traits de caractère dominants dans les relations internationales et, vous l’aurez imaginé, nous avons affaire ici aux trois grandes nations que sont les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Pour faire bref, disons que l’Eurasie est très importante dans la géostratégie internationale, cet aspect a été largement analysé dans le livre de Brzezinski, Le Grand Echiquier. Et, à juste titre, l’Ukraine joue un rôle pivot dans cette architecture géostratégique et, de plus, elle a été depuis mille ans le berceau de la patrie russe.
Lors de ces deux dernières décennies, la stratégie américaine a consisté à couper l’Ukraine de la Russie pour faire d’elle une nation de second rôle insignifiante sur le plan géostratégique. Et surtout faire en sorte aussi d’éloigner l’Allemagne de la Russie pour briser le lien de la technologie et la finance, d’un côté, de l’étendue et la richesse naturelle, de l’autre côté. Nous sommes là devant un duo redoutable qui peut entraîner le continent eurasiatique vers un développement inouï, surtout s’il fait une jonction intelligente avec la route de la soie. Ce n’est pas un hasard si les Etats-Unis veulent à tout prix l’échec du projet Nord Stream 2. Si le rapprochement entre l’Allemagne et la Russie se concrétise s’en est fini de l’hégémonie américaine sur le monde. On constate que le joueur de poker a mis en place une marionnette en la personne de Zelensky, un sioniste notoire. Mais le joueur d’échecs a attendu patiemment son heure ; en fait, il attend depuis 2014.
A plusieurs reprises, la Russie est revenue à la charge pour faire valoir ses intérêts, somme toute légitimes, et régler par la même occasion la situation anachronique du Donbass, en majorité habité par des russophones mais elle n’a rencontré que mépris, trahisons et dérobades. Parions que le joueur de Go attendra sagement son tour pour «avaler» Taiwan. La route de la soie va dans ce sens. Aujourd’hui, le joueur d’échecs a un coup d’avance, et les échéphiles savent ce que cela signifie, et il profitera de cet avantage jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la victoire. Pour être réaliste, Poutine est déjà dans une position de gain. Toute la question est de savoir quelle sera la portée de ce gain : peu, moyen ou beaucoup. Le bluff du joueur de poker n’a pas payé, et il est face à ses contradictions et à ses mensonges. Aujourd’hui, plusieurs documents attestent le fait que des promesses formelles (Der Spiegel, Roland Dumas, etc.) ont été faites à l’URSS que l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce à l’Est. Hélas, on sait ce qu’il en est advenu aujourd’hui. Gorbatchev aurait pu exiger la fin de l’OTAN contre la fin du Pacte de Varsovie. Mais, on ne refait pas l’histoire.
Quels enseignements devrions-nous tirer de cette confrontation qui, répétons-le, est tout à fait justifiée et fondée du point de vue russe ? L’Occident n’a lésé sur aucun moyen, ni outil pour s’attaquer à la Russie : diplomatique, financier, économique, médiatique. Et dire que les plateformes médiatiques qui se gargarisent de liberté d’expression sont les premières à foncer, toute honte bue, dans les sanctions. Il y a beaucoup à dire sur l’interdiction de la monétisation de YouTube, ou l’élan hypocrite de Elon Musk envers l’Ukraine ou telle autre formule de Céline Dion qui se dit «choquée et attristée» du sort des Ukrainiens.
Ces belles âmes n’ont jamais pensé au sort des Russes du Donbass bombardés continuellement depuis 2014. Des corps déchiquetés, coupés en deux, preuve à l’appui, comme le montrait et rapportait la journaliste de guerre courageuse Anne-Laure Bonnel en face de Bernard-Henri Lévy, qui balbutiait devant cette confrontation à laquelle il ne s’attendait sûrement pas. Il ne s’attendait certainement pas à cette réalité qui l’a rattrapé d’une façon cruelle, il est plutôt habitué à jouer le rôle de donneur de leçons et de morale et de décider quel peuple a droit à la souffrance et quel autre peuple n’y a pas droit et ne la mérite donc pas. Soyons réalistes et regardons notre handicap en face.
Ce handicap se résume à la plateforme interbancaire Swift, rouage essentiel de la finance mondiale, à la puissance spatiale, entendre les communications ainsi qu’aux grandes plateformes médiatiques et réseaux sociaux. Ces technologies sont conçues, mises en place et détenues par l’Occident. La Russie a mis en place un système équivalent au système Swift qui regroupe à peine 400 banques alors que le système Swift regroupe plus de 1 1000 banques à travers le monde. La Chine fait des efforts de son côté pour échapper à cet ordre mondial inique. La cerise sur le gâteau étant le Conseil de sécurité de l’ONU avec ses cinq membres permanents détenteurs du droit de veto.
Ce que les hommes et femmes épris de paix et de justice de par le monde doivent faire, c’est de trouver des alternatives à ces instruments ou, du moins, travailler à les rendre neutres. Donc, travailler à la dédollarisation de l’économie mondiale en favorisant l’émergence d’un système équitable, en mettant en place un système équivalent au Swift et qui offre un égal accès à tous. Il est fort intéressant de noter que, grâce à une clause juridique d’extraterritorialité, les Etats-Unis ont un droit de regard sur toute transaction qui se fait en dollars dans le monde. Aussi, travailler pour ériger un Internet mondial et qu’on ne soit plus obligé de mendier un nom de domaine à la Silicon Valley. Plus que tout, l’espace est la propriété de tous les citoyens de la planète et ce qui s’y déploie doit profiter à tous. La mentalité du Far West de la ruée vers l’or, qui consiste à dire que celui qui arrive le premier rafle tout, doit être bannie.
La métaphore anglo-saxonne the winner takes all est à ce titre très illustrative. Enfin, gageons que cette guerre débouchera sur un nouvel équilibre, mais sans trop d’illusions, qui consiste à redéfinir les contours d’une politique mondiale qui prenne en compte les besoins fondamentaux des peuples et qui tende à préserver notre planète des soubresauts du cataclysme de l’environnement, sous tous ses aspects, et qui risque d’atteindre un point de non-retour fatal pour tous. Pour toutes ces raisons, le soutien moral à la Russie est capital, parce que, militairement, elle a les moyens de sa politique. Concrètement, les nations qui tendent à mettre en place un nouveau rapport de forces mondial doivent avoir notre soutien.
Le G4, annoncé dernièrement, regroupant l’Algérie, l’Ethiopie, le Nigeria et l’Afrique du Sud est une pierre qui renforcera, un tant soit peu, l’édifice de notre indépendance d’un système mondial qui tend à faire de nous des éternels mineurs. Derrière tout cela, et c’est l’essentiel de mon propos dans cette contribution, il se profile une idée terrible véhiculée par l’Occident tout entier et Ivan Illich l’analyse admirablement dans ses livres, qui consiste à faire passer le message suivant, soyez libres mais en suivant une certaine norme. Il faut que vous soyez conformes à un modèle et un standard qui épousent la vision occidentale du monde.
En d’autres termes l’Occident tient le discours suivant : soyez libres dans votre propre aliénation et seuls les critères définis par la civilisation occidentale doivent servir de repère et de phare pour l’ensemble de l’humanité ! En dehors de cette vision, il n’y a pas de salut : c’est là le totalitarisme le plus cynique et sournois qui soit.
La Russie est soumise à ce totalitarisme. Soyons à ses côtés.
S. H.
(Montréal)
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