Que dit la tournée d’Antony Blinken au Moyen-Orient et son escale en Algérie ?
Une contribution d’Ali Akika – L’histoire retiendra que des pays arabes, Egypte, Bahreïn, Emirats arabes unis, Maroc se sont réunis autour du Premier ministre israélien pour accoucher d’un forum permanent de «défense commune». Maigre résultat pour se consoler des «Accords d’Abraham» sur le chemin de l’agonie. Antony Blinken a fait le voyage pour adoucir la dépression qui se nourrit de la prochaine signature des accords sur le nucléaire iranien mais aussi de la guerre en Ukraine qui rabat les cartes à l’échelle internationale. Ce forum est donc né dans l’urgence et a nécessité une césarienne. C’est la preuve qu’il y a péril en la demeure. Péril, car cette agitation diplomatique répond aux bouleversements cités plus haut, et chacun de ces pays cherche la meilleure voie pour s’en sortir d’une situation qui ronge la région. La Palestine qui n’était pas à l’ordre du jour s’est invitée par une spectaculaire opération de la résistance palestinienne. Une Palestine qui a retenu l’attention et donc obligé les représentants des pays arabes et Antony Blinken d’en parler. Ainsi, l’ombre de la Palestine et celle de l’Iran ont flotté au-dessus de ces rencontres.
La Palestine continue de résister, et l’Iran est en passe de sortir vainqueur de cette longue confrontation-négociation avec les Etats-Unis. L’Iran va retrouver ses milliards de dollars gelés et sa liberté de commercer. Adieu embargo et bonjour les problèmes pour Israël qui n’a pas lésiné sur les moyens, y compris une éventuelle aventure militaire solitaire pour contrer une «menace» iranienne fantasmée. La présence du secrétaire d’Etat, Antony Blinken, va-t-elle rassurer tous ses protégés ? On est en droit de douter car les Etats-Unis ont assez de problèmes à traiter avec leurs alliés européens d’une part et, d’autre part, avec la Russie qui a fait perdre le sens des réalités au président américain, comme le prouvent ses déclarations à l’emporte-pièce à Varsovie. On est en droit d’en douter car les Américains qui vont signer avec l’Iran ne vont pas refaire les mêmes erreurs avec l’Iran. Le forum «de défense commune» bricolé à la va-vite va être considéré par l’Iran comme un acte «inamical», comme on dit en diplomatie (1).
De tels actes imprudents sont d’ores et déjà en cours de réalisation comme on témoignent la présence d’officiers israéliens à Bahreïn. En plus de cette présence militaire, Israël mène contre l’Iran une guerre économique avec la complicité des pays arabes du nouveau forum «de défense commune». Il y a une dizaine de jours, les Iraniens ont répondu à cette future guerre économique en rasant une antenne du Mossad au Kurdistan irakien. Le 28 mars, 12 missiles ont fait de même sur le siège d’un entrepreneur kurde irakien chargé de construire un pipe-line pour évacuer le pétrole irakien. Ce projet entre dans le cadre de l’approvisionnement de l’Europe par le biais de pipe-line Golfe/Israël/Turquie. Ainsi, Israël après avoir vainement tenté d’empêcher l’Iran de jouer un rôle de puissance régionale par le sabotage et la cyberguerre, se dirige vers l’utilisation de l’arme économique. Les pays arabes du Golfe risquent d’être les dindons de la farce car l’Iran a de multiples moyens de leur faire payer leur naïveté.
Le deuxième événement qui a précipité les réunions du «forum de défense», c’est la guerre en Ukraine. On n’y imagine pas bien encore les conséquences de cette guerre où depuis la crise des missiles en 1962 à Cuba, on n’a jamais osé agiter le chiffon rouge de l’utilisation de l’arme atomique. En plus des problèmes avec l’Iran, Israël va connaître les retombées de son alignement sur les Etats-Unis et l’Ukraine. Il crut pouvoir leurrer les Russes en jouant la neutralité et offrit sa médiation pour faciliter les contacts Russie/Ukraine. Le président ukrainien osa, par cynisme ou ignorance, proposer El-Qods (Jérusalem) comme lieu de négociation. Pour un «grand communicateur», outrageusement et servilement décoré d’une palme d’or par les médias dominants, ce président ukrainien apparut avec sa proposition de Jérusalem comme un piètre politique. Car, croire que Poutine allait faire le voyage à Jérusalem est inimaginable, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité. Le président Poutine n’a jamais pris au sérieux les bruits médiatiques d’Israël, qui cherche par tous les moyens de faire parler de lui pour briser son isolement. Quel sera le salaire à payer pour son alignement sur les Etats-Unis ? Israël ne bénéficiera plus de la «bienveillance» de la Russie qui fermait les yeux sur les avions israéliens en Syrie. La tolérance russe n’invitera plus l’Iran de rester éloigné de 40 km des lignes de l’armée israélienne sur le Golan.
Quant aux pays du Golfe et le Maroc, les voilà embarqués dans une aventure sans lendemain par Israël. Ne pouvant plus compter sans limites sur les Etats-Unis, les stratèges israéliens se tournent vers les pays du Golfe pour installer des bases militaires au plus près de l’Iran. Signalons que ces pays du Golfe ne mettent pas tous leurs œufs dans un même panier. On a noté, en effet, que les Emirats ont invité le président Assad, que l’Arabie se tourne vers la Chine et ose accepter le yuan, devise chinoise, en vendant son pétrole. Le Maroc a été invité «à la fête» du forum «défense commune» non pour effrayer l’Iran mais pour service rendu à l’industrie militaire d’Israël de pouvoir fabriquer au Maroc drones et autres gadgets genre «Pegasus».
On voit mal le Maroc courir au secours d’Israël quand il doit maintenir derrière un mur de sable une armée dont l’effectif est évalué pratiquement à la moitié de la population du Sahara Occidental. Sa présence s’explique donc pour d’autres raisons. Bourita est venu pour s’afficher avec d’autres pays arabes pour montrer que le Maroc n’est pas isolé dans le monde arabe. Venu aussi pour rencontrer Antony Blinken et profiter d’une rencontre télévisée pour vendre les dangers des proxys (allusion aux Hizbollah) qui «sévissent» dans la région, mais ajouta-t-il hypocritement, au Maghreb nous souffrons aussi des mêmes proxys (allusion au mensonge marocain sur les «terroristes» du Polisario entraîné par le Hizbollah). Il s’adressa à l’Américain Blinken sur un ton badin et un langage amical, familier. Des «révélations» stupides et naïves comme si Antony Blinken ne connaît pas la réalité du terrain sur les déplacements des forces armées dans le monde. Bourita ne sait sans doute pas que Blinken reçoit chaque jour une fiche de renseignement de la CIA, qui surveille le monde entier tout mouvement suspect avec ses satellites (2).
Pour conclure, ces réunions à la chaîne, qualifiées chaque fois d’«historiques», sont pour Israël une tentative de donner un second souffle à ces Accords d’Abraham qui ont épuisé «leurs charmes». Israël a suffisamment de renseignements pour anticiper le monde qui se meurt et celui qui s’annonce. Il connaît notamment l’inquiétude de certains pays de la région qui cherchent des portes de sortie. Bennet a entendu en public les ministres arabes exprimer la nécessité de résoudre le problème palestinien. Antony Blinken a parlé de la solution des deux Etats pour résoudre le problème palestinien. Les Oreilles de Bennet ont dû siffler car entendre «chez lui» le nom d’Etat de Palestine a dû lui faire regretter son invitation à ces ministres qui sont aussi inquiets que lui par la conjoncture actuelle.
La présence d’Antony Blinken à ce forum avait plus une odeur de parfum diplomatique alors que son passage à Rabat et Alger laisse entrevoir une préoccupation liée à la conjoncture internationale. Le communiqué américain, soulignant l’importance de la coopération sécuritaire et la situation dans la région du Sahel, renseigne sur les priorités des Américains. Le «vide» créé par le futur départ de la France du Mali et le positionnement de l’Afrique sur la guerre en Ukraine sont d’ordre géopolitique et géostratégique. Les Etats-Unis ne vont certainement pas négliger ces problèmes au profit d’un roi du Maroc plus gaffeur que politique.
A. A.
1- L’amiral de la marine iranien a mis en garde les pays du Golfe contre la remise d’îles pour l’installation de bases israéliennes à quelques encablures des côtes iraniennes.
2- Comme Blinken avait déjà parlé «opportunément» lors de la rencontre télévisée au Néguev, il n’a pas répondu à Bourita qui l’invitait à cautionner ses délires sur le Polisario. Bliken allait faire escale à Alger pour parler sécurité dans la région, en bon diplomate, il pensa plus au rôle joué par l’Algérie, surtout après le départ acté de la France du Mali.
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