France : existe-t-il un danger fasciste comme l’assènent les médias stipendiés ?
Par Khider Mesloub – Bis repetita non place ! On reprend les mêmes pions pour rejouer la même partie de jeu dénuée d’enjeux politiques et économiques. De nouveau, la propulsion attendue de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle fournit l’opportunité à la classe dominante française d’agiter l’épouvantail du fascisme par la diabolisation de l’extrême droite. Elle lui offre surtout l’occasion politique d’exhorter les prolétaires à défendre la démocratie bourgeoise en portant leur suffrage sur la candidature du président sortant, Emmanuel Macron, incarnation du camp du «Bien» selon la bien-pensance.
Comme en 2002 et 2017, la classe dominante française tente d’entraîner l’électorat dans un faux dilemme : démocratie ou dictature. Cependant, contrairement aux «mobilisations antifascistes» menées dans un esprit «front républicain» en 2002 et 2017, cette fois-ci les manifestations contre l’extrême droite, organisées notamment le 16 avril 2022, n’ont pas rencontré le succès escompté. D’autre part, selon les instituts de sondage, le fort taux d’abstention prévu au second tour semble fissurer ce «front républicain». Fondamentalement, existe-t-il un danger fasciste comme l’assènent les médias stipendiés ?
Sans conteste, au contraire des années 1920-1930, en dépit de ses scores électoraux relativement élevés, le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement national, ne constitue pas une menace fasciste. En revanche, une chose est sûre, contre la désaffection de la politique par les classes populaires, illustrée par la forte croissance de l’abstentionnisme et la discréditation des partis traditionnels, pour rabattre les électeurs désabusés (à force d’être abusés) vers les urnes, faute de programme politique authentiquement réformateur mobilisateur, la classe dominante française recourt fréquemment, afin de défendre sa démocratie bourgeoise corrompue, à l’assourdissante campagne de mobilisation citoyenne pour contrer le «péril fasciste».
Il est de la plus haute importance de rappeler que l’intronisation des régimes fascistes au pouvoir au cours des années 1920-1930 intervient après l’écrasement du mouvement ouvrier, dans des pays sortis vaincus au cours de la Première Guerre mondiale, qui plus est humiliés par des traités géographiquement désavantageux et par des versements de répartition de guerre exorbitants. Cette instauration de régimes fascistes fut surtout favorisée par le soutien financier et logistique apporté par le grand capital allemand et italien.
Par ailleurs, l’émergence des régimes fascistes avait correspondu aux nécessités du capital de ces pays, engagés désormais dans une économie de guerre, la militarisation du travail et la concentration de tous les pouvoirs au sein d’un Etat despotique expurgé de toutes les dissensions et rivalités au sein de la bourgeoisie, comme de la société totalitairement verrouillée, en vue de la préparation d’une nouvelle guerre mondiale aux fins de la partition et répartition impérialistes du monde.
A l’instar du stalinisme, autre excroissance purulente totalitaire percée sur l’échec de la Révolution russe, les régimes fascistes, surgis dans des pays tardivement créés et imparfaitement intégrés dans le capitalisme, furent l’expression brutale de l’inclination historique vers le capitalisme d’Etat (devenue la norme gouvernementale dans tous les pays).
Ainsi, contrairement à l’idée erronée communément répandue par l’historiographie et les médias, le fascisme n’a pas été engendré par un racisme ethnique ou sociologique, mais a été démocratiquement procréé par la Première Guerre mondiale couplée à la dissolution de la lutte des classes dans le nationalisme belliciste propagé, telle une épidémie pestilentielle contagieuse, par les classes dominantes. En revanche, le colonialisme, notamment français, est consubstantiellement raciste (on peut considérer le fascisme comme le colonialisme des nations pauvres, dépourvues d’empire. Faute d’asservir des populations étrangères par le colonialisme pour les exploiter et piller leurs richesses, ces Etats se sont lancés dans une politique d’assujettissement de leur population).
En tout état de cause, le fascisme ne fut pas l’émanation de la petite bourgeoisie déclassée, hargneuse et haineuse, précipitée dans la paupérisation par la crise. Il fut l’œuvre de la bourgeoisie revancharde de certains pays, dans un contexte historique déterminé. Néanmoins, la petite bourgeoisie comme le prolétariat furent instrumentalisés comme masse de manœuvre dans les formations politiques fascistes pour réorganiser la société et l’économie dans une perspective foncièrement militariste.
De nos jours, le Rassemblement national, comme tous les partis populistes, ne dispose d’aucun «programme économique» novateur, fédérateur et salvateur. Pis : dans le cadre de la mondialisation actuelle et l’Union européenne, certaines propositions économiques sont totalement inapplicables du point de vue des intérêts du capital national français. Leur application entraînerait une chute immédiate de l’économie nationale. Au vrai, aucun patron consciencieux ne pourrait adhérer au programme économique fantasmagorique et rétrograde de l’extrême droite. D’autant plus que, contrairement aux partis fascistes belliqueux et volontaristes des années 1920-1930, l’extrême droite contemporaine ne propose aucune alléchante option impérialiste conquérante, susceptible de galvaniser les foules, d’enflammer l’appétence financière des patrons en quête de nouveaux marchés coloniaux exclusifs, un nouveau repartage impérialiste du monde. De nos jours, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, cette mission impérialiste est assurée directement par les Etats dits démocratiques ou classiques dictatoriaux : les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’URSS (la Russie aujourd’hui), la Chine, etc.
Certes, ces deux dernières décennies, notamment en Europe, plusieurs partis d’extrême-droite dits populistes ont conquis démocratiquement le pouvoir. Mais au prix du reniement de leur programme économique, autrement dit de leur conversion à l’ultra-libéralisme et à l’européanisme ; au prix du rabotage et du sabordage de leur nauséabonde idéologie. Ce fut le cas avec le FPÔ d’Haider en Autriche qui, pour accéder aux responsabilités gouvernementales, avait dû modérer son programme. Bien avant le FPÔ autrichien, ce fut le MSI de Fini en Italie qui avait répudié son idéologie fasciste pour épouser le dogme libéral et européaniste. C’est le cas du Rassemblement national, devenu un parti «républicain», appartenant à la droite nationaliste classique.
On l’oublie souvent : la condition historique sine qua non pour l’intronisation du fascisme au pouvoir, c’est l’écrasement politique préalable du prolétariat. Or, le prolétariat français (européen, occidental), loin d’être vaincu et brisé, est au contraire triomphant et combatif, comme il l’avait illustré lors des mouvements des Gilets jaunes.
Eu égard à ces considérations sociologiques et politiques contemporaines défavorables au capital tenté éventuellement par l’option du fascisme, le péril de la résurgence de régimes fascistes, agité comme un épouvantail par les médias français, est quasiment irréalisable. Car le surgissement des partis populistes contemporains s’inscrit dans un contexte historique radicalement différent des années 1920-1930. La flambée des idéologies populistes actuelles illustre la dégénérescence du capitalisme, marqué par le délitement du lien social, l’anomie, le désenchantement, l’insécurité professionnelle et urbaine, les exodes occasionnés par les guerres sanglantes, les flux migratoires provoqués par la paupérisation généralisée. Et non l’inauguration du fascisme.
Pour autant, quoique dépourvue d’assise économique matérialisée par le soutien du capital, de projet impérialiste conquérant susceptible d’embrigader militairement l’ensemble des «citoyens» tentés par l’aventure guerrière, l’idéologie fasciste recèle un puissant adjuvant d’amollissement de la conscience de classe du prolétariat, diluée dans la défense de la démocratie bourgeoise. En particulier, elle sert d’épouvantail à la classe dominante française décadente. En effet, périodiquement, en particulier lors des scrutins présidentiels, la bourgeoisie française, pour endoctriner le prolétariat, le détourner de son terrain de classe, promeut des campagnes antifascistes, en vue de redorer le blason de sa démocratie financière en pleine débâcle institutionnelle.
K. M.
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