Abdallah Zekri : «Il ne faut pas s’étonner que la situation dégénère en France»
Le président de l’Observatoire contre l’islamophobie en France dénonce une certaine classe politique et les médias mainstream français qui servent de vecteur à la haine contre la communauté musulmane et les Algériens, en particulier, en soulignant que le glissement vers une violence qui prend une tournure guerrière, «le complexe politico-médiatique en porte une lourde responsabilité». Interview.
Algeriepatriotique : L’affaire des policiers agressés à Lyon a rouvert la voie à la stigmatisation des immigrés, notamment les Algériens. Quel commentaire faites-vous de cette résurgence des propos xénophobes ?
Abdallah Zekri : Ce nouvel acharnement contre la communauté musulmane après ce qu’il s’est passé dans le quartier de la Guillotière à Lyon ne m’étonne guère. Il est désormais admis, et c’est même devenu une tradition, qu’à chaque fois qu’un délit est commis dans quelque région «chaude» de la France, les médias s’emparent du sujet et ruminent en chœur les mêmes éléments de langage comme si un laboratoire secret se chargeait d’en concevoir le glossaire. Ceci étant, il va de soi que je condamne, comme je l’ai toujours fait, cet innommable lynchage et exprime mon soutien plein et entier aux policiers qui ont payé un lourd tribut lors des différents attentats qui ont secoué la France.
Pourquoi cette focalisation sur les Maghrébins, notamment les Algériens, selon vous ?
Ecoutez, cela fait partie d’une stratégie dont la finalité est de montrer du doigt cette catégorie pour détourner l’attention des sérieux problèmes que vit la France actuellement. La situation est loin d’être reluisante avec la grave précarité énergétique qui pointe à l’horizon et dont les prémices se font déjà ressentir à travers les restrictions imposées par le gouvernement, la cherté de la vie, la violence tous azimuts, la crise sociale qui va en s’aggravant, etc. La question que je me pose, par contre, c’est pourquoi tous ces chroniqueurs et ces hommes politiques qui habitent littéralement nos écrans de télévision n’alertent jamais sur le gros trafic de drogues dures et les dérives qui y sont liées et que l’on constate dans le milieu du showbiz, en général, par exemple. Etrangement, on n’entend jamais parler de ces trafiquants en col blanc qui profitent de ce que les projecteurs sont tout le temps braqués sur les banlieues pour prospérer en toute tranquillité.
On entend parler de plus en plus de crimes commis à travers la France. Qu’en est-il ?
Justement, ces crimes-là, où des Français dits de souche massacrent des familles entières, séquestrent, violent ne sont qu’effleurés et survolés par les médias dominants qui les casent dans la rubrique des faits divers en dépit de leur extrême gravité et du fait qu’ils sont le symptôme inquiétant d’un phénomène qui a tendance à se propager et, pire encore, à se banaliser. Cela aussi fait partie de cette autre France que les médias s’échinent à cacher en arrêtant leur attention sur les mêmes zones et les mêmes endroits qui, à force d’être anathématisés, finissent par se révolter contre l’Etat et, ainsi, créent leurs propres territoires en marge de la République où la loi du quartier prime celle de l’autorité officielle. Il ne faut donc pas s’étonner que la situation dégénère et qu’en lieu et place du canif, les dealers et autres délinquants soient passés à la Kalachnikov et règlent leurs comptes en plein cœur de Paris et en plein jour. Ce glissement vers cette violence qui prend une tournure guerrière, le complexe politico-médiatique en porte une lourde responsabilité.
Le ministre de l’Intérieur est revenu sur ce que la classe politique française dans son ensemble considère être un manque de collaboration de nos consulats pour la facilitation des expulsions des Algériens indésirables sur le territoire français. Nos représentations consulaires sont-elles fautives ?
Absolument pas. D’après mes renseignements, à chaque fois que l’identité de la personne concernée par l’OQTF [Ordre de quitter le territoire français, ndlr] est confirmée avec documents officiels à l’appui, le laisser-passer de retour qui permet l’exécution de l’opération est immédiatement établi dans le cadre des accords bilatéraux qui lient l’Algérie et la France, et conformément aux principes directeurs relatifs au déplacement de personnes – ce qui, d’ailleurs, a été indirectement confirmé par le ministre de l’Intérieur lui-même qui vient de faire état d’une augmentation substantielle du nombre d’expulsions. Mais ce qu’il y a lieu de relever, ici, et que les médias français occultent, c’est que les autorités françaises, dans la plupart des cas, n’apportent aucune preuve de la nationalité de l’individu faisant l’objet d’une OQTF. Il va de soi que le pays d’accueil ne peut signer une attestation à une personne dont elle n’est pas sûre qu’elle soit réellement de nationalité algérienne. Je pense que ceux qui veulent faire porter le chapeau aux consulats algériens cherchent à camoufler l’incapacité des autorités françaises à mener à bien une politique migratoire qu’ils ont pourtant eux-mêmes mise en place.
Qu’est-ce qui encourage ce climat délétère en France ?
Je ne le répéterai jamais assez : l’apologie du racisme, de la xénophobie et de l’islamophobie dont se rendent coupables une certaine classe politique et certains médias lourds va finir par créer une fission au sein de la société française telle qu’il faudra redouter le pire. Tous les ingrédients d’une regrettable implosion sont réunis et rien n’est fait pour éteindre le départ d’un feu de la division qui risque de s’embraser et de détruire le semblant de cohésion sociale grâce à laquelle la France tient encore debout. Il est grand temps de mettre fin à ces discours de la haine et de se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire sur les voies et moyens de garantir une cohésion a minima – car celle-ci s’effiloche au fur des années – entre les différentes composantes de la société, sans distinction ni exclusion aucunes.
D’aucuns s’interrogent également sur ce qu’ils jugent être des «expulsions sélectives»…
Tout à fait. La France joue un double jeu. D’un côté, elle cherche à se débarrasser coûte que coûte des Algériens en situation irrégulière, et dont elle estime qu’ils représentent une menace pour sa sécurité intérieure et, de l’autre, elle offre asile politique et protection à des agitateurs qui, à partir du territoire français, attentent à la sécurité de l’Algérie. Il y a là clairement deux poids et deux mesures et cela n’aide pas à décrisper la relation algéro-française quand bien même, en apparence – et en apparence seulement – tout baigne entre Alger et Paris, alors que, dans les faits, peu de choses concourent à l’instauration d’un climat serein dans ces rapports en dents de scie malgré les efforts de personnalités sincères de part et d’autre.
Propos recueillis par Nabil D.
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