Pour échapper à la Réaction, la Tunisie se met à l’ombre de son Président
Une contribution de Saadeddine Kouidri – Il y a plus d’une preuve que la majorité des faiseurs d’opinion, dont les historiens et journalistes, sont des agents conscients ou inconscients de la pensée dominante, pour qui la guerre d’indépendance des Africains n’a pas été héroïque comme le fut celle des Etats-uniens par exemple. En second, le colonialisme de peuplement n’est pas, à leurs yeux, synonyme de génocide, comme l’a été celui des Amérindiens. Ces dénis, illustrés par tant d’historiens qui écrivent sur le sujet depuis des décennies, fragilisent à dessein les indépendances dont le but est de justifier le maintien de la domination de la bourgeoisie occidentale en Afrique, sous l’égide de l’OTAN au nom de leur démocratie.
Le cas de la Libye illustre le mieux le rôle final dévolu à cette organisation, celui d’affaiblir les Etats-nations pour les livrer aux «Davoshiens». Pour échapper au sort fait à son voisin, le Président tunisien semble avoir trouvé la parade, celui d’un recul tactique, loin d’être atavique !
Quand un Président déclare ouvertement la guerre à l’ennemi, ce Président-là ne peut être qu’adulé, à l’exemple de Boudiaf. Le danger, qu’il puisse échapper au contrôle populaire, n’est d’aucune mesure, avec celui que traverse ce pays, depuis dix ans.
Qualifier le projet de Constitution comme dangereux pour la démocratie, c’est entretenir cette naïveté qui fait croire que les luttes actuelles en sont dépourvues.
Nous savons, bien avant les déboires, ce qu’ont traversé les pays de la région, que l’enjeu stratégique est : comment empêcher les islamistes d’accéder au pouvoir ? Ce fascisme a des alliés puissants et semble plus dangereux d’autant qu’il est sur la défensive où l’ont acculé les résistances populaires, à travers le monde et particulièrement en Afrique. En sus, la Résistance, a depuis peu de temps, comme bémol, la possibilité de s’adosser sur la Russie et la Chine.
Dans ce contexte, le Président tunisien semble avoir la bonne stratégie pour échapper au piège de la démocratie bourgeoise qu’avait emprunté les nazis en Allemagne dans les années 1930 et les islamistes en Algérie dans les années 1990. Depuis, neutraliser l’islamisme et le fascisme sont, pour les Etats-nations, une condition sine qua non à leur lutte contre l’impérialisme.
La source de la Résistance est dans ce livre L’Algérie, nation et société de Mostefa Lacheraf (éditions SNED, 1978), où on peut lire à la page 24 : «Le problème peut se résumer comme suit : la France trouve en face d’elle une société bien organisée, à la civilisation propre, parfois comparable à celles du Bassin méditerranéen… dont l’amour de la liberté, l’attachement à la terre, la cohésion, la culture, le sens patriotique, les ressources et les idéaux communs à défendre contre l’ennemi national donnent leurs preuves tout au long d’une guerre de conquête de près de 40 ans… Vers le début du XXe siècle, la partie est gagnée puisque l’extermination, objectif avoué ou inavoué par lequel le colonialisme visait à substituer au peuple algérien un autre «peuple», est conjurée.
Depuis, les alliés de la Réaction ne se sont pas tapis dans l’ombre, bien au contraire. La production de Stora, par exemple, est dans la négation des victoires du peuple algérien. Il saucissonne l’histoire de notre Révolution et celle de ses héros pour en faire des anecdotes de la décolonisation qui a atteint le summum du déni dans la loi du 23 Février 2005, qu’il ne dénonce pas dans son projet, alors que l’abrogation de cette loi devrait être une condition sine qua non pour qu’un officiel, de la plus petite autorité de l’Etat, s’autorise à le recevoir. Dire qu’il a été reçu par le Président !
Un autre exemple : si le cauchemar algérien suite à la légalisation de l’islamisme sur la scène politique dans la décennie 1990 avait été intelligemment perçu par les forces vives, la Tunisie n’aurait pas eu recours à un homme providentiel comme Saïed pour la dégager du monstre odieux dans lequel se drape la démocratie bourgeoise, qui, depuis un certain temps, a l’OTAN comme ange gardien.
Dans mon article «Algérie hier, Tunisie aujourd’hui : des élections divines», j’écrivais le 21 novembre 2011 dans la presse : «Le parti de Ghannouchi, cet ancien conseiller du FIS, persona non grata en Algérie il y a deux décennies, a eu la bénédiction de la classe politique de son pays. Au moment ou Echaâb yourid, le peuple exige, en opposition à Dieu veut était le cri des cœurs séculiers des Tunisiens, le cri semble s’essouffler car pour exiger il faut un minimum d’organisation ou, à défaut, une volonté politique forte qui se serait manifestée face aux intégristes.»
Aujourd’hui Kaïs incarne cette «volonté politique forte» qui lui permet de claquer la porte aux Ghannouchi, comme l’avait fait Boudiaf.
Les victoires de la lutte contre l’islamisme et celles contre le colonialisme sont toujours à écrire, à réécrire, à conter. En attendant, il faut juste déblayer ce qui peut les assombrir.
S. K.
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