Démasquer le mercenariat dans le champ de bataille culturel
Une contribution de Kadour Naïmi – Un texte précédent a évoqué une personne particulière (1). Généralisons, la situation actuelle l’exige.
Banalités historiques
De tout temps et à toute époque, les dominateurs impérialistes ont recours à des mercenaires, dans tous les domaines : du militaire jusqu’à l’art, en passant par la littérature. Ces mercenaires servent soit à préparer, soit à justifier l’agression militaire impérialiste contre un pays et son peuple. Le but est d’exploiter leurs ressources naturelles et leur main-d’œuvre. Ces deux opérations enrichissent l’oligarchie dominante du pays agresseur et permet de distribuer les brides à leurs citoyens, ce qui permet leur consentement et soutien à l’oligarchie.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les peuples coloniaux ont entrepris leur résistance et ont obtenu leur indépendance. Mais les ex-oligarchies coloniales ont, dans la plupart des cas, trouvé le compromis nécessaire : installer au pouvoir des pays nouvellement indépendants des marionnettes à leur service. Qui refusait ce rôle était chassé du pouvoir ou assassiné, par exemple Mossadegh, Patrice Lumumba, Allende, Saddam Hussein, Guedhafi, etc. Que ces personnages soient des démocrates ou des autocrates, ce qui porte à leur destitution est un seul fait : contrarier les intérêts des oligarchies impérialistes. C’est, dans les relations internationales, le règne de la loi de la jungle, du gangstérisme. Qui rejette cette présentation des faits soit les ignore, soit les occulte.
Avec le temps, les oligarchies impérialistes peuvent de moins en moins agresser un pays de manière brutale. Elles ont besoin de justifier, légitimer leur crime. On a constaté la méthode en Irak, Serbie, Somalie, Syrie, etc. : le mensonge erroné, diffusé par la machine médiatique, puissante et omniprésente. Malheureusement, le système de contre-information, c’est-à-dire d’information véridique, dispose de moyens matériels faibles, est accusé de «complotisme», de «fake news», interdit, ou quand le journaliste n’est pas assassiné (Shireen Abu Aqleh), emprisonné au défi des règles démocratiques (Julien Assange), menacé de prison et se voir bloquer son compte en banque (l’Allemande Alina Lipp), ou le lanceur d’alerte contraint à l’exil (Snowden). Ah ! Quelle est merveilleuse la liberté d’expression dans le monde impérialiste, mis en crise par la Russie qui s’oppose, enfin, contre son arrogante domination, jusqu’à prétendre démanteler la Russie pour mettre la main sur ses immenses ressources naturelles (politologue états-unien Zbigniew Brzezinski).
Guerre des esprits d’abord
Plus qu’auparavant, à présent la guerre se prépare et se gagne d’abord dans les esprits : ceux du peuple dirigé par l’oligarchie qui agresse et, tout autant, ceux du peuple à agresser.
Dans le passé, déjà, certains auteurs l’avaient remarqué et dénoncé. Ils ont parlé de «chiens de garde» (Paul Nizan), de «trahison des clercs» (Julien Benda). Signalons également des experts en matière de manipulation psychologique des peuples, contentons-nous du plus significatif : Edward Bernays dans son manuel Propagande : comment manipuler l’opinion en démocratie. Pour une fois, assumé et affirmé clair et net !
Il faut donc, dans les pays agresseurs, des intellectuels, des écrivains et des artistes pour justifier l’agression. Ces individus, bien rémunérés, de manière officielle ou occultée, ont la mission de trouver la «bonne» manière pour «montrer» que les membres de l’élite oligarchique agressive sont les plus «intelligents», les «meilleurs», les «bons», les «pacifiques», les «humanitaires», les «cultivés», les «civilisés», et même les plus amoureux des chiens, des chats, des perroquets, etc. Deux exemples significatifs : Samuel Huntington (Le Clash des civilisations) et son avatar en France, le «philosophe» et «intellectuel» à la chemise blanche ouverte sur la poitrine.
Heureusement, une minorité d’auteurs au sein des pays agresseurs dénonce cette prétention impérialiste (Neil Sheehan, A Bright Shining Lie ; William Blum, Killing Hope: US Military and CIA Interventions Since World War II), ou la manipulation (Edward S. Herman et Noam Chomsky, La Fabrique du consentement).
Il y a, aussi, dans les nations agressées ou candidates à être agressées des intellectuels, des écrivains et des artistes que l’oligarchie impérialiste enrôle dans sa campagne de propagande. But : trouver la «bonne» manière pour «montrer» que les peuples à agresser (ou déjà agressés) sont les plus «stupides», les plus «vicieux» (Kamal Daoud et les prétendus «violeurs» algériens en Allemagne, qui seraient la manifestation d’une mentalité algérienne – et les Allemands ne violeraient-ils jamais des femmes ? Ou, alors, dans leur cas, on ne peut pas généraliser à la mentalité allemande ?), les plus «arriérés», les plus «violents» (Yasmina Khadra et les «terroristes» palestiniens – et les sionistes ne seraient pas des «terroristes» ? Boualem Sansal et sa comparaison entre l’attentat de Nice en France avec la Bataille d’Alger – pourquoi, alors, ne pas comparer le colonialisme sioniste d’apartheid au colonialiste français en Algérie ?), les plus «barbares», bref des «Untermenschen» (sous-hommes), selon le terme nazi.
Ils seraient donc à «civiliser», «démocratiser», «droits-de-l’homme-iser». Qui est le «Sauveur» pour réaliser ce prodige ? Pardi ! Mais le «monde occidental», qui exporte la «démocratie» (du «regime change», sinon des bombes), la «liberté» (comme avec Julien Assange et Snowden), les «droits de l’Homme» (comme on l’a vu durant la «pandémie») et de la «femme» (comme on le constate avec sa réduction à un vulgaire objet sexuel dans la publicité), sans oublier le chef-d’œuvre de «démocratie» et de «liberté» offert par l’Etat colonial en Palestine et par le «modèle de démocratie» états-unien avec ses bombardements au napalm au Viet Nam, les centaines de milliers de morts en Afghanistan, en Irak et ailleurs !
Là aussi, dans les pays agressés, une minorité d’auteurs dénonce les mercenaires indigènes : Albert Memmi, Portrait du colonisé et Portrait du colonisateur ; Frantz Fanon, Peau noire, masque blanc ; Edward Saïd, Orientalisme ; Rachid Boudjedra, Les Contrebandiers de l’Histoire ; Ahmed Bensaada, Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak ? et (pardon pour l’autopromotion) Kadour Naimi, Contre l’idéologie harkie : Pour une culture libre et solidaire.
Occultation et publicité
Un esprit doté de logique s’étonnerait-il de savoir que :
– les intellectuels, écrivains et artistes qui célèbrent la «supériorité» des membres de l’oligarchie impérialiste, et de ceux qui en profitent, sont tous publiés (quel que soit leur talent réel), invités dans les mass médias, même quand ils ne s’expriment pas convenablement (Yasmina Khadra), bénéficient d’articles et de critiques dithyrambiques, mais également de «commentaires» élogieux de «lecteurs» sur les réseaux sociaux, sollicités en photo (réalisés selon les clichés hollywoodiens pour les stars, voir Kamal Daoud), avec des représentants politiques ou culturels de l’oligarchie impérialiste ; bref, encore une fois, des «surhommes»,
– tandis qu’au contraire, les intellectuels, écrivains et artistes qui dénoncent l’impérialisme, ses crimes et ses manipulations, sont systématiquement occultés, sinon stigmatisés comme professionnellement incompétents, moralement déviants sexuels quand pas pédophiles, «complotistes», partisans de «terroristes», «aigris» par leur manque de «succès» public, «envieux» du «succès» des autres ; bref, encore une fois, des «sous-hommes».
Veut-on donc, à une toute première approche, savoir à quel intellectuel, écrivain ou artiste on a affaire, aussi bien comme personne que comme auteur ? Examinons son degré d’appréciation médiatique officielle ? Car, la raison le dicte : jamais, l’oligarchie impérialiste ne peut consentir à mettre en avant un individu et une œuvre qui contrarient ses intérêts matériels et idéologiques, parce qu’elle ne peut pas scier la branche sur laquelle elle se tient ou, plus exactement, mettre en péril ses capitaux et ses actions boursières.
Tout ce qui vient d’être dit n’a-t-il pas été illustré, dernièrement, par la prétendue «pandémie» du Covid (même des médecins se sont révélés mercenaires, avec des intérêts liés à l’industrie pharmaceutique !), et la prétendue «lutte des démocraties» contre le «totalitarisme russe» ? Pour revenir aux intellectuels, on objecterait : et les prix d’institutions prestigieuses nationales ou internationales comme le prix Nobel ?
Croit-on que les oligarchies impérialistes sont assez ingénues, stupides et inconscientes pour consentir que les gérants de ces institutions culturelles mettent en avant une œuvre qui remet en question la domination de ces oligarchies ? Même un Balzac, d’idéologie bourgeoise et cléricale comme individu, ne fut pas élu à l’Académie française, parce que ses œuvres, malgré l’idéologie conservatrice du romancier, montraient la laideur, la voracité, le cynisme du système bourgeois capitaliste.
On citerait les prix Nobel Nagib Mahfoud ou Mo Yan… Bonne littérature, mais y trouve-t-on l’équivalent de Balzac, comme exposition-dénonciation ? Quels sont les intellectuels, écrivains et artistes qui ont produit des œuvres qui révèlent les mécanismes du système capitaliste, comme l’a fait un Balzac, et qui furent primés par une institution officielle d’un pays impérialiste ? Par conséquent, ne doit-on s’interroger sur la célébrité médiatique d’un auteur, quel qu’il soit dans le monde et quel que soit le système social dans lequel il opère ? On répliquerait : Oh là, mon ami ! Il faut distinguer entre pays démocratiques et pays totalitaires !
Les pays totalitaires ont l’honnêteté de se présenter tels qu’ils sont : nous sommes la caste qui dirige, nous avons un parti politique unique, et vous, citoyens, vous n’avez qu’à obéir.
Les pays démocratiques, depuis longtemps, ont-ils cette honnêteté d’affirmer comment ils fonctionnent ? Témoignage : «Le capital doit assurer sa propre protection avec tous les moyens possibles, grâce à notre union et à nos lois. Les dettes doivent être récupérées et encaisser la valeur des hypothèques sur les biens le plus rapidement possible. Ainsi, quand, par exemple, les personnes ordinaires perdent leur maison, elles deviennent plus sociales et sont plus facilement dirigées grâce au bras fort du gouvernement représenté par les principaux acteurs financiers.
«Ces vérités sont bien connues par nos représentants qui s’arrangent à créer un impérialisme pour gouverner le monde. Grâce au système des partis politiques qui divise les électeurs, nous les manipulons pour leur faire dépenser toute leur énergie sur des problèmes d’aucune importance. En agissant avec discrétion, nous garantissons la pérennité de ce que nous avons tellement bien planifié et réalisé.»
L’auteur de ces lignes est un complotiste anticapitaliste et anti-impérialiste ? Non, c’est la Déclaration de l’Association des banquiers des Etats-Unis, en 1924. Eh, oui ! A force de chercher, on trouve les aveux des gangsters «légaux». Qui finance le prix Nobel ? La Banque centrale de Suède. Simple philanthropie ? Qui finance les mass médias dominants ? Les propriétaires de capitaux. Par souci de dire la vérité aux citoyens ? Qui finance la partie dominante de la production intellectuelle dans le monde «occidental» ? Les propriétaires de capitaux. Par souci de diffuser la culture auprès des citoyens ? Ces capitalistes peut-il s’offrir le luxe d’une production culturelle qui mettrait, d’une manière ou d’une autre, leur statut ou la base de leur statut en question ?
«Divin» dollar
Combien de citoyens, même parmi les généralement bien informés, savent ceci : «Quand la CIA finançait les intellectuels européens. Pour contrer l’influence soviétique en Europe, les Etats-Unis ont constitué, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, un réseau d’élites pro-américaines. La CIA a ainsi financé le Congrès pour la liberté de la culture, par lequel sont passés de nombreux intellectuels européens, au premier rang desquels Raymond Aron et Michel Crozier. Chargés, pendant la Guerre froide, d’élaborer une idéologie anticommuniste acceptable en Europe à la fois par la droite conservatrice et par la gauche socialiste et réformiste, ces réseaux ont été réactivés par l’administration Bush. Ils constituent aujourd’hui les relais européens des néo-conservateurs états-uniens(2).»
Voyons, à présent, la NED. Sur son site (3), on lit : «Le National Endowment for Democracy (NED) est une fondation privée, non profit, dédiée à l’accroissement et au renforcement des institutions démocratiques dans le monde. Chaque année, la NED offre plus de 2 000 subventions pour soutenir des projets de groupes non gouvernementaux à l’étranger qui travaillent pour des objectifs démocratiques dans plus de cent pays.» Magnifique ! Généreux ! n’est-ce pas, pour combattre les dictatures dans le monde ! En est-il vraiment ainsi ?
La NED, vitrine légale de la CIA
«Depuis 30 ans, la National Endowment for Democracy (NED) sous-traite la partie légale des opérations illégales de la CIA. Sans éveiller de soupçons, elle a mis en place le plus vaste réseau de corruption du monde, achetant syndicats ouvriers et patronaux, partis politiques de gauche et de droite, pour qu’ils défendent les intérêts des Etats-Unis au lieu de ceux de leurs membres(4).»
A moins d’être non informé ou manipulé, peut-on, alors, douter de l’existence d’intellectuels, d’écrivains et d’artistes (outre les politiciens, «influenceurs» sur les réseaux sociaux et, dernièrement, médecins) qui constituent une véritable armée de mercenaires, bien maquillés, grassement payés, joliment médiatisés qui, bien entendu, luttent pour les «valeurs démocratiques» partout dans le monde ? Et qui met en doute l’existence de cette armée, est-il autre chose qu’un ignorant ou un manipulateur ?
Concluons. La guerre commence par des paroles qui conditionnent les esprits, et continue par les armes qui tuent les corps, ceux qui dérangent les intérêts du clan des gangsters de l’oligarchie mondiale. Pour paraphraser une expression fameuse : les mots sont une première manière d’initier la guerre d’agression (et la résistance à l’agression).
Le savoir permet de concevoir comment neutraliser cette menace sur l’espèce humaine.
K. N.
1- https://www.algeriepatriotique.com/2022/07/29/considerations-sur-yasmina-khadra/
2- Denis Boneau, https://www.voltairenet.org/article11249.html
3- https://www.ned.org/
4- Thierry Meyssan, https://www.voltairenet.org/article166549.html
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