Jacob Cohen à Algeriepatriotique : «Macron va en Algérie en demandeur»
La visite d’Emmanuel Macron en Algérie «ne donnera absolument rien de positif [car] Macron obéit à un agenda mondialiste dont le cerveau se trouve quelque part entre Washington, Bruxelles», observe l’écrivain antisioniste franco-marocain Jacob Cohen, pour lequel, par ailleurs, «le beau château de cartes construit par le régime marocain avec la normalisation et ses ambitions militaro-stratégiques est en train de craquer». Interview(*).
Algeriepatriotique : Emmanuel Macron entame une visite officielle en Algérie ce jeudi. Que vient chercher le président français dans le contexte actuel, selon vous ?
Jacob Cohen : Il est difficile de savoir ce que veut Macron, surtout sur le long terme, et pour un dossier aussi complexe. Le président français nous a habitués à des retournements de situation et à des volte-face. Il était venu à Alger pendant la campagne électorale française de 2017, a prononcé des paroles fortes, pour les oublier plus tard. Il avait fait la même chose avec Poutine lorsqu’il l’avait reçu chaleureusement à Brégançon, c’était du pipeau. Il est probable que les dirigeants algériens ne l’aient pas oublié, mais la diplomatie a ses nécessités.
Macron voudra certainement colmater les brèches causées par le retournement total du Mali, le sentiment antifrançais qui se répand dans la région et l’influence grandissante de la Russie et de la Chine. Il cherchera à consolider les livraisons de gaz et de pétrole après les sanctions désastreuses prises contre la Russie et qui se retournent contre les Européens. Il se fera le porte-parole de l’OTAN qui craint de voir l’Algérie rejoindre les BRICS. Il vient donc en demandeur et devra donner des gages qui iront dans l’intérêt de l’Algérie. Cela n’est pas dans sa nature, mais il devra faire preuve d’humilité.
Macron sera accompagné par le grand rabbin de France, ce qui a suscité de vives critiques sur les réseaux sociaux et dans les commentaires postés par nos lecteurs. Qu’est-ce qui justifie ce choix, d’après vous ? Quel message Macron cherche-t-il à faire passer à l’opinion publique algérienne, sachant que celle-ci reproche à Haïm Korsia son soutien à Israël ?
Il est coutumier pour un chef d’Etat en visite officielle de s’entourer de représentants de forces économiques, sociales et culturelles du pays. La présence du grand rabbin Haïm Korsia, qui bénéficie d’un statut officiel en France, n’est pas en soi surprenante. Il y aura d’ailleurs un représentant de la communauté musulmane. Cela dit, on ne peut pas attendre d’un tel personnage qu’il ne défende pas Israël, ni qu’il ne tente de stigmatiser l’antisionisme sous prétexte qu’il serait une forme d’antisémitisme. C’est un faux procès qu’on lui fait. Car dans la galaxie des leaders juifs français, il n’est pas le plus extrémiste. Et, après tout, Macron et ses principaux ministres sont aussi sionistes que lui, et j’ajouterai même islamophobes.
Je pencherai a priori pour une tentative de relancer le dialogue sur un plan plus spirituel, puisque le grand rabbin fait partie de cette communauté juive qui avait quitté l’Algérie en 1962. Et je ne vois pas en quoi il peut être déterminant pour orienter les discussions stratégiques franco-algériennes, et notamment sur un éventuel fléchissement de la politique algérienne sur la Palestine, un élément que la délégation française n’est absolument pas en mesure de demander.
La visite de Macron à Alger a provoqué un vent de colère à Rabat où il est dit que les relations avec Paris ne sont pas au beau fixe, un froid confirmé par Tahar Ben Jelloun dans une récente tribune parue dans les colonnes du magazine français Le Point. Pourquoi cette levée de boucliers chez nos voisins de l’Ouest ?
J’ai l’impression que le beau château de cartes construit par le régime marocain avec la normalisation et ses ambitions militaro-stratégiques est en train de craquer. Après un bras de fer diplomatique, l’Espagne avait semblé épouser la position marocaine sur le Sahara Occidental. Or, on vient d’apprendre qu’elle se conformera aux décisions de l’ONU. Même l’«allié» sioniste n’a pas franchi le pas de la reconnaissance de la marocanité du territoire sahraoui. Le régime marocain avait pensé encercler, isoler, harceler son grand voisin avant de lui donner le coup fatal et voilà que l’Algérie se découvre l’objet de toutes les attentions énergétiques, stratégiques, sécuritaires des grandes puissances.
Cette colère marocaine est un signe de nervosité de la part de Rabat car, après tout, on ne peut tout de même pas demander à la France d’ignorer un pays aussi important. Le réel vient frapper aux portes du pouvoir chérifien. Il y a un rapport de forces mondial qui est en train de basculer au détriment de l’Occident et il n’était pas tout à fait judicieux de s’engager à fond avec lui sans donner des gages à l’autre camp qui a le vent en poupe.
Qu’est-ce qui peut ressortir de concret de cette visite de Macron à Alger, d’après vous ? Y a-t-il des signes qui présagent un dégel et une entente sur les dossiers internationaux – Sahel, Libye, Syrie, Sahara Occidental, etc. – au sujet desquels Alger et Paris sont totalement opposés ?
Il pourrait ressortir de grandes choses de cette visite, en théorie. Si on fait preuve de réalisme et de bonne volonté. Or, Macron avait déjà montré, à propos des problèmes de la région, qu’il poursuivait d’autres objectifs que la sécurité et le partage équitable des responsabilités et des richesses. L’affaire ukrainienne montre à quel point il se fiche pas mal des intérêts de son peuple et des peuples européens. Ces derniers sont promis à une inflation et à une récession dévastatrices, à se geler les prochains hivers, à subir des coupures de courant, à voir les factures d’électricité multipliées par 2,5 ou 8. Tout cela pour obéir à un nouvel ordre mondial qui veut mettre la Russie en coupe réglée.
Je ne reprendrai pas ici les propos d’un psychiatre italien sur l’état mental de Macron et repris régulièrement par des observateurs français et étrangers. Sa visite à Alger ne donnera absolument rien de positif, si on entend par là la recherche de règlements équitables aux problèmes de la région. Macron obéit à un agenda mondialiste dont le cerveau se trouve quelque part entre Washington, Bruxelles, et tous les grands groupes financiers qu’il avait appris à servir lors de son passage chez Rothschild et à qui il a bradé les fleurons de l’industrie française.
Cette visite intervient au moment où la France perd du terrain en Afrique, le dernier soldat français vient de quitter le Mali et tout indique que d’autres pays du Sahel suivront l’exemple de Bamako. Quel deal Macron pourrait-il passer avec Tebboune pour sauver ce qui reste des intérêts français dans la région, bousculés par la Chine, la Russie et la Turquie ?
Pour «sauver ce qui reste des intérêts français dans la région», Macron devrait adhérer au «tiers-mondisme» et s’entendre avec l’un de ses représentants historiques. Or, il ne le fera pas. Retournons la question : le président Tebboune espère-t-il réellement un changement de cap radical de l’ancien colonisateur ? Ou a-t-il fait son deuil d’un axe franco-algérien qui apparaît de visite en visite comme une chimère ? Je crois que l’intérêt de l’Algérie pour les BRICS donne déjà une indication sur l’évolution de sa diplomatie et la défense de ses intérêts fondamentaux.
Interview réalisée par Karim B.
(*) Interview réalisée avant l’annonce de la défection du grand rabbin de France pour, officiellement, raison de santé.
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