Sept axes pour l’Algérie en direction de l’Europe face aux tensions énergétiques

Europe sept axes
Les Européens craignent un hiver rigoureux et sans chauffage. D. R.

Une contribution d’Abderrahmane Mebtoul – Au sein de la région méditerranéenne et africaine, l’Algérie est un acteur stratégique en matière sécuritaire et énergétique étant actuellement courtisée face à la crise énergétique qui frappe l’Europe, expliquant la visite en Algérie de Charles Michel du président du Conseil européen, début septembre 2022, et selon certaines informations non officielles d’autres responsables européens prochainement dont Kadri Simson, la commissaire européenne à l’Energie de l’Union européenne, et Mme Elisabeth Borne, Premier ministre français .

La coopération Algérie-Europe dans sa démarche d’évaluation réclamée ne vise nullement à remettre en cause l’Accord d’association mais à l’utiliser pleinement dans le sens d’une interprétation positive de ses dispositions permettant un rééquilibrage des liens de coopération, l’objectif étant de favoriser un partenariat gagnant-gagnant, l’Europe ne devant plus considérer l’Algérie du point de vue d’un marché, étant liée par de accords stratégiques également avec d’autres pays, notamment la Russie et la Chine.

L’Algérie, pays pivot de la région méditerranéenne et africaine entend accroître ses exportations de gaz vers l’Europe à moyen terme sous réserve de plusieurs conditions dont un investissement massif des partenaires européens dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant car à, court terme, ses capacités sont limitées.

Dans quatre à cinq années environ, les exportations de gaz en direction de l’Europe pourraient passer de 11% à 22-25%, sous réserve de revoir sa politique énergétique dans le cadre d’une planification stratégique autour de sept axes.

Le premier axe est d’améliorer l’efficacité énergétique car comment peut-on programmer 2 millions de logements selon les anciennes normes de construction exigeant de fortes consommations d’énergie alors que les techniques modernes économisent 40 à 50% de la consommation ? Cela renvoie à une nouvelle politique des prix (prix de cession du gaz sur le marché intérieur, environ 10-20% du prix international), occasionnant un gaspillage des ressources, renvoyant à une nouvelle politique des subventions ciblées.

Le deuxième axe est l’investissement à l’amont car seulement 43% du territoire sont exploités, restant 57% pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures traditionnels. Parallèlement , la lutte contre le torchage peut accroître la production, les réserves étant estimées en 2021 à 10 milliards de barils de pétrole et à 20 500 milliards de mètres cubes gazeux de gaz devant préciser pour les non-initiés que le calcul des réserves est fonction de l’évolution du vecteur prix international et du coût d’exploitation, plus les prix sont élevés et les coûts bas, plus les réserves marginales deviennent rentables, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables , Sonatrach s’étant engagée à rejoindre l’initiative mondiale Zero Routine Flering by 2030.

Selon l’ONU, chaque année, elle est à l’origine du brûlage d’approximativement 140 milliards de mètres cubes de gaz naturel, dans des milliers de champs pétrolifères correspondant à l’émission de plus de 300 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit l’équivalent des émissions produites par quelque 77 millions de voitures. Cela nécessite d’attirer les investisseurs étrangers afin de mobiliser plus de 70 milliards de dollars pour les cinq prochaines années alors que les réserves de change sont estimées à fin 2021 à 44 milliards de dollars malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production et accéléré le processus inflationniste du fait que 85% des matières premières des entreprises publiques et privées sont importées en devises.

Le troisième axe est le développement des énergies renouvelables devant combiner la thermique et le photovoltaïque dont le coût de production mondial a diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir.

Or, avec plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire, ou presque, pouvant devenir un grand fournisseur pour l’Europe à travers des interconnexions. Mais le soleil tout seul ne suffit pas, devant maîtriser la technologie pour transformer ce don du ciel en énergie électrique. La production à grande échelle permettrait de réduire substantiellement les coûts tout en favorisant à l’aval une multitude de PMI-PME, renforçant le tissu industriel à partir des énergies propres (industries écologiques).

Durant une période transitoire, la combinaison de 20% de gaz conventionnel et 80% de solaire me semble être un axe essentiel pour réduire les coûts et maîtriser la technologie. Le programme algérien consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22 000 MW dont 12 000 MW seront dédiés à couvrir la demande nationale de l’électricité et 10 000 MW à l’exportation. D’ici 2030, l’objectif de l’Algérie serait de produire 30 à 40% de ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables. Le montant de l’investissement public consacré par l’Algérie à la réalisation de son programme de développement des énergies renouvelables, à l’échéance 2030, selon le ministère de l’Energie, se situe entre 60 et 70 milliards de dollars. Le problème : l’Algérie aura-t-elle les capacités d’absorption, la maîtrise technologique pour éviter les surcoûts et la maîtrise du marché mondial ?

Le quatrième axe, selon la déclaration de plusieurs ministres de l’Energie entre 2013-2020, l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 à des fins pacifiques, pour faire face à une demande d’électricité galopante. Les réserves prouvées de l’Algérie en uranium avoisinent les 29 000 tonnes, de quoi faire fonctionner deux centrales nucléaires d’une capacité de 1 000 mégawatts chacune pour une durée de 60 ans.

Le cinquième axe, l’option du gaz de schiste, l’Algérie possédant le troisième réservoir mondial, environ 19 500 milliards de mètres cubes gazeux, selon des études américaines mais qui nécessite, outre un consensus social interne, de lourds investissements, la maîtrise des nouvelles technologies qui protègent l’environnement, et des partenariats avec des firmes de renom.

L’Algérie est un pays semi-aride, le problème de l’eau étant un enjeu stratégique, doit être opéré un arbitrage entre la protection de l’environnement et la consommation d’eau douce, un milliard de mètres cubes gazeux nécessitant 1 million de mètres cubes d’eau douce et devant forer plusieurs centaines de puits moyens pour un milliard de mètres cubes gazeux et devant tenir compte de la durée courte de la vie du puits, cinq années maximum, et la nécessaire entente avec des pays riverains se partageant ces nappes.

Le sixième axe est de redynamiser le projet Galsi, Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie, qui devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars, estimation de 2011, et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, qui devait approvisionner également la Corse. Projet gelé suite à l’offensive du géant russe Gazprom, étendant ses parts de marché, avec des pertes financières de Sonatrach ayant consacré d’importants montants en devises et dinars pour les études de faisabilité.

Le septième axe est d’accélérer la réalisation du Gazoduc Nigeria-Europe via l’Algérie. La faisabilité du projet du gazoduc Nigeria-Europe doit tenir compte des nouvelles mutations gazières mondiales pour évaluer sa rentabilité car les lettres d’intention ne sont pas des contrats définitifs. Comme le démontre une importante étude de l’IRIS du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, principal client qui doit se prononcer également sur ce projet, est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région. La rentabilité du projet Nigeria-Europe suppose trois conditions.

Premièrement, la mobilisation du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau relativement faible au 1er janvier 2021, pour l’Algérie de 44 milliards de dollars fin 2021 pour 45 millions d’habitants avec un niveau d’endettement extérieur faible, et le Nigeria 33 milliards de dollars pour 210 millions d’habitants avec un endettement élevé, ne devant pas compter sur le Niger pays très pauvre, devant impliquer des groupes financiers internationaux, l’Europe, principal client, et sans son accord et son apport financier, il sera difficile de lancer ce projet.

Deuxièmement, l’évolution du prix de cession du gaz, la faisabilité étant liée à une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet.

Troisièmement, la sécurité et les accords avec certains pays, le projet traverse plusieurs zones alors instables et qui mettent en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz. Il faudra impliquer les Etats traversés où il faudra négocier pour le droit de passage (paiement de royalties) donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire.

A. M.

Comment (12)

    Amin99
    23 septembre 2022 - 21 h 56 min

    Prof. Kazi Tani: Voilà pourquoi le potentiel minier hors pair de l’Algérie est resté en jachère
    https://youtu.be/A7p_F04iGY8

    Une interview très intéressante.
    Passionnant ce professeur de géologie, une grosse tête.

    Amin99
    15 septembre 2022 - 18 h 44 min

    Monsieur Mebtoul,
    Il y’a un axe hautement stratégique au quel les autorités Algériennes accordent un très grand intérêt mais nullement décrit dans votre article, il s’agit de l’exploitation minière et ses dérivés, un axe très important qui permettera à l’Algérie de faire un grand bon en avant en matière d’industrialisation et de diversification, il réduira par conséquence les importations des matières premières et dynamisera fortement notre économie.

    Les enjeux sont énormes tant la demande mondiale est grande et ne fait que croitre. Je dirai sans trop me tromper que l’Europe pour constituer ses réserves stratégiques et sécurisé son industrie est intressée beaucoup plus par nos minerais que par nos hydrocarbures notamment les terres rares.
    Je vous revois au dernier discours de Ursula Von der Layen.

    https://congovirtuel.com/information/lithium-terres-rares-lunion-europeenne-va-constituer-des-reserves-strategiques/?amp=1

    Algérien Pur Et Dur
    15 septembre 2022 - 15 h 47 min

    Je vais faire de la réflexion à voie haute. Notre “amie” la Chine a maîtrisé la production des panneaux solaires à un tel niveau qu’elle a literalement réussi à étouffer celle des USA sur le sol même des américains. Peut-être que notre “amie” la Chine serait assez généreuse et amicale à notre égard pour nous apprendre à les produire chez nous avec la même qualité et efficacité. En tant que pays que la nature a généreusement doté de soleil et lumiere, on pourrait peut être généraliser leur emploi en Algérie et degager ainsi beaucoup plus de gaz à l’exportation puisque il serait largement remplacé par le solaire et faire en même temps de l’écologie tres utile pour l’environnement parait il. On devrait aussi se méfier du gaz de schiste. Nos resources hydriques sont très limitées et la production de ce genre de gaz pourrait les poluer les rendant inutilisables pour les générations futures. C’est pas moi qui le dit mais les experts. Certains pourraient répondre que les etats unis pourtant s’en accomodent tres bien. Ce pays là à ma connaissance est très conscient du problème mais il est dur de combattre le pouvoir maléfique des intérêts spéciaux et lobbyistes. surtout dans les pays ultra capitalistes. Peut être que d’autres réflexions viendront plus tard. Il est temps de retourner au boulot.

    Amin99
    15 septembre 2022 - 12 h 39 min

    Depuis plusieurs decennies, notre économie subit des chocs et contreschocs violents et cycliques liés à la volatilité des prix du pétrole et du gaz, cela a eu des conséquences néfastes sur notre économie, notre pouvoir d’achat, nos réserves de change et la valeur de notre monnaie.

    L’Algérie doit sortir urgement de cette forte dépendance aux hydrocarbures en accélérant les réformes structurelles, en diversifiant son économie et en augmentant ses exportations hors hydrocarbures.

    C’est le moment de profiter de cette conjoncture exceptionnelle pour accélérer les réformes dont l’objectif principal est d’amortir les futurs chocs pétroliers qui pourront nuire à la stabilité économique, politique et sociale du pays.

    L’objectif, c’est d’augmenter fortement nos recettes hors hydrocarbures qui doivraient contribuer et pèser sur l’équilibre de notre balance commerciale.

    Plusieurs axes de développement sont à privilégier à savoir, l’agriculture et l’élevage, l’exploitation minière et ses dérivés, l’industrie lourde et légère, le batiment et travaux publics, le secteur tertiaire dont le commerce, le transport, le tourisme et services divers, la modernisation des services publics et la lutte contre la bureaucratie.

    La culture, le sport et les produits exportés sont nos meilleurs ambassadeurs à l’étranger, sans oublier notre diaspora à qui il faut tendre la main qui pourra jouer un plus grand rôle dans le développement du pays.

    Quant au Dinar, il n’est que le reflet de la santé économique du pays, une économie forte et stable produit une monnaie forte et stable à son tour.

    C’est à ces conditions que l’Algérie pourra décider sa convetibilité et pretendre rejoindre les grandes nations économiques telles que les BRICS.
    A bon entendeur

    Abou Stroff
    15 septembre 2022 - 7 h 49 min

    « Sept axes pour l’Algérie en direction de l’Europe face aux tensions énergétiques » titre le professeur mebtoul.
    désolé professeur, mais vos axes répondent beaucoup plus à la pérennisation du système basé sur la distribution de la rente et sur la prédation qui nous avilit et nous réduit à des infrahumains et aux intérêts des puissances européennes qu’aux intérêts bien compris de l’Algérie, en tant qu’Etat et Nation en devenir.

    en effet, la majorité de vos axes tournent autour de l’essor du secteur des hydrocarbures. Or, plus ce secteur se développe et plus nous nous réduisons (ou plus nous sommes réduits) à un « ounboub » sans robinet d’arrêt au seul bénéfice des couches rentières au niveau interne et des puissances étrangères au niveau externe.

    en termes crus, dans le contexte actuel des rapports de force à l’échelle interne et à l’échelle externe, vos propositions ne feront que renforcer le système basé sur la distribution de la rente et sur la prédation qui nous avilit et nous réduit à des moins que rien et les puissances impérialistes dans leur quête continue de sources d’énergie à bon marché .

    ceci dit, il me semble qu’une politique judicieuse pour l’avenir de l’Algérie, en tant qu’Etat et Nation, devrait reposer sur le développement tout azimut des deux secteurs porteurs que sont l’industrie et l’agriculture (auxquels, on peut ajouter le tourisme).

    moralité de l’histoire: il n’y en a aucune à part le constat incontournable que l’avenir de l’Algérie se trouve dans sa sortie graduelle du marché mondial des hydrocarbures où, quoi qu’elle fasse, elle sera toujours considérée comme un ounboub sans robinet d’arrêt, par les puissances impérialistes qui feront tout pour qu’elle le demeure.

    Transfers TECHNOLOGIQUES et INDUSTRIELS
    14 septembre 2022 - 19 h 34 min

    A mon avis RIEN ne doit être Engagé sans un VOLET de Transfers TECHNOLOGIQUES et INDUSTRIELS

    Anonyme
    14 septembre 2022 - 16 h 24 min

    DESERTEC? que devient ce projet, pourtant porteur et quasi universel

      Souk-Ahras
      15 septembre 2022 - 11 h 53 min

      Anonyme, 14 septembre 2022 – 16 h 24 min

      Bonjour,

      En quelques mots :
      En 2010 déjà, acheminer 2 GW d’électricité solaire sur une distance de 1000 Km coûtait environ 500 millions d’euros à cause de l’importance de la chute de tension sur une telle distance. Ce coût relativement élevé est dû à la nécessité de mettre en place le long des lignes de transport, des « stations » de relevage de la tension qui utilisent du matériel très coûteux. Un peu comme les stations de compression d’un pipe-line installées tous les 150 km approximativement.
      À propos de la chute de tension (calcul complexe), pour donner un ordre d’idée de sa valeur : pour une ligne triphasée en 220 V, sur une distance de seulement 18 m, la chute est de 3,82 V !!!

      Desertec, imaginé par les européens et pour les européens en premier, cachait dans son élaboration originelle beaucoup de desseins pénalisants pour les populations et l’économie, locales, en plus de l’énorme coût imposé par le consortium à l’Algérie soit environ 450 milliars US$ !

      Le sujet est vaste, confus et pervers. Abdelmajid Attar, ex ministre de l’énergie, coupait court en disant en 2020 : « Projet Desertec ? Dépassé ! À oublier ! »

    Brahms
    14 septembre 2022 - 15 h 33 min

    MA FACTURE DE GAZ en France :

    Du 23/10/2021 au 04/08/2022 : Abonnements = 79.34 €
    Consommations = 296.91 €
    Contributions et taxes : 35.93 €

    Total à payer : 412.18 € et cela représente juste la consommation d’un chauffe – eau pour la salle de bains ou la cuisine. Voilà la réalité.

    anonyme
    14 septembre 2022 - 10 h 00 min

    Si je comprends bien, Monsieur Abderrahmane Mebtoul, l’Algérie doit se plier aux besoins énergétiques de l’Europe … Contre quoi exactement ? Des partenariats gagnant-gagnant ? Cela n’existe pas un partenariat gagnant-gagnant quand on traite avec un supérieur ! Développons l’agriculture et l’industrie et nous irons mieux. Les ressources minérales sont là pour nous aider à cela. En les vendant, nous nous dépouillons pour … rien !

      Elephant Man
      14 septembre 2022 - 21 h 45 min

      @Anonyme
      Excellent commentaire juste un bémol pour « avec un supérieur » je dirais plutôt des néocolonialistes à l’orgueil démesurée et imbus d’eux-mêmes.
      Les BRICS.
      Enfin, le GAZ ET LE PÉTROLE VOUS BANQUEZ.

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