Makhzen : de charognard des terres coloniales reconquises à celui de l’art
Une contribution de Youcef Benzatat – Le Makhzen, pour ne pas généraliser au peuple marocain, lui-même assujetti à l’irrationalité et à l’arbitraire de ce régime cynique, après s’être rué en charognard sur les terres coloniales reconquises du Sahara Occidental, arrachées aux occupants espagnols dans la foulée du mouvement de décolonisation de l’Afrique pendant les trois premiers quarts du XXe siècle, le voilà de nouveau se ruant en charognard d’un genre nouveau, celui de vouloir s’approprier les fondements esthétiques de l’art de la civilisation islamique.
La contestation à l’Algérie par le Makhzen de lui avoir subtilisé «son» esthétique de l’art de la céramique, en l’incrustant sur le maillot d’échauffement de son équipe nationale de football, allant jusqu’à déposer plainte auprès de l’équipementier Adidas, producteur de ce maillot, devenue une polémique virale sur les réseaux sociaux et les médias internationaux, ne constitue pas moins une nouvelle dérive caractérisée, en se ruant de nouveau en charognard récidiviste, par une tentative insolente à vouloir s’approprier cette fois-ci l’esthétique de l’art de la céramique qui figure parmi les fondements de l’esthétique de l’art de la civilisation islamique.
Dans l’art musulman, l’architecture était un art surtout en complément de sa surface de céramique, par la fascination et les stimulations esthétiques qui en découlent du décor non figuratif de l’arabesque. La technique du revêtement par la céramique, elle-même enrichie par la calligraphie et par tout l’art de l’arabesque, viendra transformer les édifices en immenses surfaces peintes, enluminées et calligraphiées. On peut distinguer une similitude des effets obtenus de la sorte avec la décoration des pages de titres enluminés et calligraphiés des livres luxueux. Alors qu’au début les calligraphes étaient plus estimés que les peintres, parce qu’ils matérialisaient de la manière la plus belle le verbe de Dieu. Mais au cours des siècles, les peintres vont ravir progressivement l’estime de leur art aux calligraphes. En atteste la nomination, au début du XVIe siècle, du peintre Behzâd comme directeur de la bibliothèque royale du monde iranien.
Dans l’art de l’islam, l’organisation de l’espace autonome vise à construire un microcosme de l’œuvre, selon le macrocosme de l’univers que Dieu a construit ; par les cercles des sept cieux qui se rétrécissent jusqu’à la terre, et dont le mouvement continu qui va du cercle le plus large jusqu’à la terre et à l’Homme, dessine la forme d’une spirale. Cette conception de l’espace autonome de l’œuvre, que l’artiste musulman va adopter partout dans l’espace civilisationnel islamique, sera combinée à une autre image cosmogonique, celle du paradis cette fois-ci. Considérée par les musulmans comme étant «l’image des images» devant le nombre particulièrement élevé d’images eschatologiques que la cosmogonie musulmane nous offre pour la description détaillée et imagée de la seconde vie qui attend le musulman.
Près de trois cents versets et une centaine de hadiths viennent alimenter cette description de la vie future. Le paradis dont les huit portes d’or incrustées d’émeraudes, de diamants et de rubis s’ouvriront aux gens de bien pour les accueillir, ils seront répartis en groupes, et chaque groupe pénétrera par une porte qui lui sera réservée. Les huit portes mènent aux huit domaines du paradis. De ces huit portes découle l’abstraction du polygone étoilé comme fondement de l’esthétique de l’art islamique. Le monde des spirales, des arabesques, ou des polygones étoilés que les artistes musulmans vont créer, ils vont l’appliquer en des variations infinies à l’architecture et à tous les arts «mineurs», mais aussi à l’enluminure, à la céramique, etc.
L’artiste musulman ne vise nullement la catégorie esthétique du beau, ni celle du cadre et du point de vue, encore moins celle de l’épiphanie ou de la représentation en général, propre au christianisme, que l’esthétique réaliste occidentale en fera ses fondements et que, plus tard, l’art moderne en assumera la déconstruction. Ce que cherche l’artiste musulman, c’est plutôt la construction complexe de son espace autonome, en lui insufflant un rythme et une vie intérieure propre.
Dans l’art de la céramique, l’artiste musulman a, de tout temps, cherché à transformer la matière même qu’il façonne en une vibration de lumière. Ce qui l’a amené à l’emploi des reflets métalliques dans les productions céramiques dès la fin du VIIIe siècle de l’ère chrétienne. Les céramistes musulmans du début de l’époque abbasside mirent au point deux techniques : la faïence et le lustre métallique. Le lustre est dû à une mince pellicule de métal obtenue par la réduction au four d’un oxyde métallique déposé sur la pièce déjà glacée. La réduction des oxydes métalliques (cuivre et argent en particulier) forme une fine pellicule incorporée à la surface de la pièce au cours de la deuxième cuisson en atmosphère réductrice. Les effets de couleur sont produits par de l’encre ou des glaçures colorées posées en touche sur la pâte non glacée. De la faïence à reflets métalliques se détachent des motifs dont la couleur s’enrichit de reflets suivant l’incidence de la lumière.
Cette céramique à reflets métalliques sera pratiquée partout où l’islam sera adopté. L’Egypte a livré de nombreux tessons de techniques diverses, principalement des faïences à reflets métalliques. Le décor est très analogue à celui de Rakka, Samara ou Ragés. La céramique au mihrab de la grande mosquée de Kairouan est du même genre que la faïence à reflets métalliques de l’art des Abbasides. Les Fatimides de l’Afrique du Nord ont également produit de la faïence à reflets métalliques. La Qalâa des Beni Hammad a fourni, elle aussi, de très nombreux tessons. L’Ifriqiya (l’actuelle Tunisie) a également pratiqué l’art de la céramique à reflets métalliques dès le IXe siècle. La céramique persane des Xe, XIe et XIIe siècles de l’ère chrétienne apparaît pour une bonne part comme un prolongement de l’époque des Abbassides. La céramique andalouse présente des analogies certaines avec celle de l’Ifriqiya contemporaine, avec l’usage des revêtements de plaques de faïence qui fait son apparition. La céramique de revêtement prend une importance remarquable dans la décoration des édifices ottomans, qu’ils soient religieux ou civils.
Enfin, le XVIIIe siècle vit la décadence de cette céramique à reflets métalliques. Mais jusqu’à nos jours, on continue partout en Afrique du Nord d’user des techniques décoratives qui étaient familières à l’époque de l’âge d’or de la civilisation islamique. Ce genre de décor céramique a pris un développement que le Moyen Age ignorait. Non seulement on en tapisse les paysages, les lambris, les vasques des fontaines et le fond des niches qu’elles occupent, mais le fut des piliers cylindriques en est enveloppé ; cependant cette céramique a perdu le secret des reflets métalliques.
De nos jours, ce patrimoine de l’art de la céramique propre à l’esthétique de l’art de la civilisation islamique est exploité commercialement dans le monde entier sur des articles manufacturés, notamment sur des vêtements et des chaussures en tout genre, et enfin par son adoption par la Fédération algérienne de football (FAF), en collaboration avec la marque Adidas, qui en a confectionné le maillot d’échauffement d’avant-match au profit de l’équipe nationale algérienne de football.
Devant son comportement colonialiste à vouloir s’approprier par la force les terres du peuple sahraoui, en vain, le Makhzen ferait mieux de se défaire de ses conseillers et complices, sournois et ignorants à la fois, aussi bien du cours de l’histoire que des faits civilisationnels qui cimentent les peuples de la région, au lieu de persévérer dans sa fuite en avant par de perpétuelles provocations envers ses voisins.
Y. B.
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