Les conséquences du retour de l’Algérie sur le devant de la scène internationale
Une contribution de Ben Youcef Bedouani(*) – «Il faut des négociations et un travail collectif pour trouver l’équilibre réaliste des intérêts sur lequel seulement peut se fonder une paix solide.» (Mikhaïl Gorbatchev.) L’Algérie dérange apparemment certains cercles de lobbyistes américains. Après la lettre du sénateur Marco Rubio, c’est au tour d’un groupe de congressistes américains d’évoquer le CAATSA pour imposer des sanctions contre l’Algérie, invoquant des préoccupations sur les liens stratégiques entre l’Algérie et la Russie. Les Etats-Unis ont toujours eu une relation complexe avec l’Algérie postcoloniale, hormis Kennedy qui a soutenu les démarches pour l’indépendance de l’Algérie malgré la résistance féroce des irréductibles de l’armée française. Une indépendance arrachée par mon pays en payant le prix fort en vies humaines. Les Etats-Unis, toutes administrations confondues, semblent ambivalents dans leur relation avec l’Algérie. La nouvelle Algérie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, entre son retour en force sur la scène internationale, la force avérée de son armée populaire, son développement économique en marche et ses principes fondamentaux ; elle doit juguler entre les menaces, le réalisme et les conséquences de ce nouveau statut.
«Nous vous écrivons aujourd’hui pour exprimer notre préoccupation devant le développement des liens entre la Fédération de Russie et la République algérienne démocratique et populaire.» (Rep. Lisa McClain.)
Les Etats-Unis semblent aujourd’hui peu enclins à être un facteur utile dans la quête des reformes politiques de l’Algérie. D’une part, ils appellent à une Algérie stable et démocratique, jouant un rôle dans le maintien de la paix régionale et, d’autre part, fustigent l’armée populaire algérienne pour son lien stratégique avec la Russie qu’ils disent en même temps comprendre. L’Algérie entretient une relation stratégique avec la Russie, tout comme avec la Chine, avant même d’arracher son indépendance après une guerre fratricide. Mais, en même temps, le pays a toujours entretenu une relation étroite de travail avec Washington.
Doté d’un immense territoire, riche en matières premières et une position géographique privilégiée et des principes fondamentaux, l’Algérie dérange et est souvent visée. Le pays entretient pourtant depuis longtemps de bonnes relations avec l’Occident, la Russie, la Chine et d’autres pays en développement, tout en évitant assidûment de tomber complètement dans une seule orbite. Cet équilibre reste le leitmotiv du refus d’Alger de condamner la Russie dans son conflit avec l’Ukraine aux Nations unies. Une position souveraine qui dérange à Washington, car après la lettre du sénateur Marco Rubio (1), c’est au tour d’un groupe de congressistes américains (2) d’évoquer le CAATSA (3) pour imposer des sanctions contre l’Algérie invoquant des préoccupations sur les liens stratégiques entre l’Algérie et la Russie. Un appel sans échos qui s’apparente à un lobbying de couloir qui ne trouve pas échos aux yeux de la majorité des politiciens américains qui voient plutôt leur pays promouvoir l’assise d’une Algérie stable, dotée d’un gouvernement plus ouvert, transparent et à base élargie. C’est l’Algérie nouvelle d’après l’avènement du Hirak et l’accession du président Abdelmadjid Tebboune à la présidence. Les tergiversations de ces congressistes-lobbyistes égratignant l’Armée nationale populaire algérienne, seule garante de l’intégrité territoriale du pays, est un non-évènement tel que commenté par des sources informées à Alger (4) «l’Algérie est libre d’acheter ses armes auprès des fournisseurs de son choix» et qu’«aucune puissance, fut-elle les Etats-Unis, ne peut interférer dans ses choix souverains».
Depuis son élection, le président Tebboune travaille à la naissance d’une Algérie nouvelle, stable et démocratique, devenant un puissant symbole de réformes et d’élections libres, de même qu’un acteur majeur dans la promotion de la paix et de la stabilité régionale. L’Armée populaire algérienne n’est ni autocratique, ni oligarchique, ni monarchique, et sa doctrine est dictée par son appartenance au peuple algérien. Son renforcement et sa modernisation sont un fait qui permet de protéger le pays de tout acte de déstabilisation, intérieur et/ou extérieur, annihilant tout scénario de type Libye, Irak ou Syrie. Son intégrité territoriale est non négociable et c’est la raison du renforcement militaire de l’Armée algérienne. Les achats par l’Armée algérienne d’armes russes, en majorité, est la logique d’une doctrine longtemps protégée avant l’indépendance du pays. La sophistication de l’armement algérien est primordiale pour sa stabilité et sa défense dans un monde en perpétuelles agitations. Il reste ultimement destiné à la défense des intérêts suprêmes du pays, sa stabilité, sa souveraineté et son développement socio-économique.
Sans trop s’attarder sur les esquives de ce lobbying acerbe du petit cercle insignifiant de congressistes-lobbyistes américains, les Etats-Unis ont intérêt à voir cette nouvelle Algérie stable, démocratique et développée afin de renforcer son rôle prépondérant pour la paix et la stabilité régionale. Oui, l’Algérie s’arme de la Russie, de la Chine, mais aussi de l’Allemagne et aspire à développer son industrie militaire dans le seul but de défendre son intégrité territoriale. L’Algérie renforce aussi ses relations économiques avec les pays occidentaux, Italie, Etats-Unis, Allemagne, les pays arabes, de même que la Russie, la Turquie et la Chine. Le pays prône une position d’équilibre et aspire à jouer un rôle de médiateur dans les conflits régionaux et mondiaux.
Une position qui a ses propres conséquences
Longtemps isolée et impénétrable, l’Algérie est désormais sur le devant de la scène. Elle accueille les officiels occidentaux, russes, arabes, africains, chinois et du reste du monde. Ce ballet diplomatique remet le pays dans son rôle de leader des luttes anticoloniales et pilier du mouvement des Non-Alignés. Cette nouvelle donne n’a pas empêché le gouvernement Tebboune de focaliser principalement sur les préoccupations nationales. Les dirigeants ont pu alors commencer par le renforcement des programmes d’assurance sociale et les subventions sur les produits de base, l’annulation des augmentations d’impôts et à reconstituer les fonds de réserve du pays. La ruée vers des sources d’énergie alternatives à la suite de la crise russo-ukrainienne, le statut de l’Algérie en tant que producteur de pétrole et de gaz aux portes de l’Europe ont déclenché un flot d’intérêt international.
L’Algérie attribuerait cette nouvelle popularité à son positionnement stratégique avisé, car la crise énergétique actuelle en Europe est un moment historique pour l’Algérie qui aspire à se positionner sur le marché énergétique mondial. Le pays travail d’arrache-pied à augmenter sa production d’hydrocarbures, renégocier les prix et signer de nouveaux accords d’exportation, ce qui a entraîné des niveaux de production record, une manne financière majeure et une visibilité renouvelée du pays sur la scène internationale. Son ascension économique et la modernisation de son armée donnent évidemment le tournis à certains qui s’abreuvent de superflu pour menacer le pays, désormais un socle de la stabilité et de la paix régionales. L’accueil du prochain Sommet de la Ligue arabe, en novembre 2022, n’est certainement pas du goût de certains lobbys qui essaient de tourbillonner cet effort louable d’un pays qui garde son principe de l’autodétermination des peuples de par le monde. La crise avec le Maroc, l’Espagne et sa position vis-à-vis des conflits palestinien et sahraoui démontrent ce principe ô ! combien cher aux Algériens. Ses principes sont ancrés et les pseudo-menaces n’auront aucune incidence sur le pays tant que le peuple algérien restera uni derrière ses dirigeants et son Armée.
La portée au-devant de la scène internationale du pays a des conséquences et appelle à certains engagements qui seront désormais regardés de près par la communauté internationale. Aspirer à jouer un rôle prépondérant dans le concert des nations nécessite des engagements vis-à-vis de la société algérienne en termes de droit humain et de démocratie, et les pouvoirs publics doivent s’engager efficacement pour façonner les événements selon une vision saine, particulièrement en cette période de manne énergétique qui lui offre un effet de levier substantiel.
Un réveil économique en marche : réalisme et défis majeurs
Il est évident que beaucoup reste à faire pour sortir l’Algérie du marasme du sous-développement. La gangrène de la corruption de certains milieux, des services publics déficients, un système de santé encore en panne, un climat d’investissement lourd et une jeunesse encore désabusée mais le Président a montré son ambition de relever les défis, et beaucoup d’Algériens y croient. A mi-chemin de son mandat de cinq ans, le président Tebboune peut souligner certains succès récents, notamment de nouveaux accords et découvertes de pétrole et de gaz, un important accord d’extraction de phosphate avec la Chine, des plans renouvelés pour un gazoduc transsaharien, le lancement de Gara Djebilet et El-Hadjar, l’assainissement des services publics et la revalorisation de la loi sur l’investissement, entre autres. Avec l’optimisation de l’industrie énergétique algérienne, l’épine dorsale de l’économie du pays, il reste à réussir la transition vers une industrialisation hors hydrocarbures car les quarante-cinq millions d’Algériens restent aux prises avec des pénuries multiples, une inflation substantielle des prix et d’autres soucis quotidiens pour lesquels la rigueur des pouvoirs publics est de mise.
Une Algérie réaliste ne doit en aucun cas rater le virage de la nouvelle Algérie, la quête de sa dignité et le rêve de sa jeunesse. Une jeunesse longtemps restée sans espoirs d’avenir et, surtout, des frustrations qui l’ont fait descendre en masse dans la rue en 2019, défiant pacifiquement un ordre établi de longue date. Tant sur le fond que sur la présentation de ses relations extérieures, le pays doit impérativement saisir ce moment s’il veut réussir cette transition vers une Algérie nouvelle, démocratique et développée. Les attentes sont multiples et les défis énormes.
B.-Y. B.
(*) Analyste financier senior et économiste
1- Rubio Calls for Sanctions on Algerian Purchase of Russian Weapons – Press Releases – U.S. Senator for Florida, Marco Rubio (senate.gov)
2- Rep. Lisa McClain Leads Colleagues in Demanding Sanctions on Algeria for Purchase of Russian Weapons | Press Releases | Congresswoman Lisa McClain (house.gov)
3- CAATSA : Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (loi pour lutter contre les adversaires des États-Unis par les sanctions), adopté en 2017.
4- Nouvel appel à Blinken pour imposer des sanctions «immédiates» à l’Algérie – Algeriepatriotique (algeriepatriotique.com).
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