Polémique : faut-il octroyer la nationalité aux juifs d’origine algérienne ?
Une contribution de Hocine-Nasser Bouabsa – En guise de solidarité avec le peuple palestinien, les médias algériens ont toujours consacré une bonne partie de leurs publications à l’occupation sioniste et aux crimes que commet son armée et ses colons contre ce peuple terrorisé et spolié. Géographiquement, jusqu’à novembre 2020, Israël était un pays relativement lointain. Néanmoins, depuis la normalisation et les accords militaires du voisin marocain avec l’entité sioniste, la géographie a changé radicalement.
Ainsi, Israël n’est plus l’ennemi direct des Palestiniens seulement, mais il est devenu aussi celui des Algériens. Les déclarations belliqueuses et les menaces des responsables civils et militaires israéliens à Al-Qods ou en visite au Maroc ne laissent plus de place à l’indifférence et la crédulité : en s’alliant au Makhzen marocain, Israël s’est transformé en un protagoniste potentiel avec un pied à terre et des facilités logistiques stratégiques considérables à nos frontières. Les risques d’une confrontation militaire ont massivement augmenté. Les prémisses d’une guerre se multiplient et les dernières sorties des milieux pro-israéliens aux Etats-Unis suggèrent l’existence d’intentions belliqueuses. Celles-ci deviennent en particulier plus évidentes lorsqu’on prend en compte l’écho des tambours des va-t-en-guerre européens qui lorgnent les champs des hydrocarbures algériens et ont même appelé à les envahir.
C’est une évolution qui ne laisse pas indifférentes l’intelligentsia indépendante et l’élite structurée au sein des institutions algériennes, qui se posent des questions sur les moyens adéquats que la nation algérienne doit adapter pour se prémunir contre d’éventuels dangers ou agressions. Elle sait que la guerre commence généralement par les mots.
C’est sous cet angle que doit être interprétée ma présente contribution, qui se veut aussi une intercalation entre celles publiées dans Algeriepatriotique par Khaled Boulaziz et Khider Mesloub, il y a quelques jours, et qui traitaient du sionisme et du judaïsme. Deux sujets inséparables, mais qu’on doit scrupuleusement séparer malgré la complexité de leur relation. Leur thématisation objective et pertinente – loin du populisme abrutissant et du fanatisme aveugle – devrait faire partie des enjeux de la sécurité nationale algérienne. Car elle permet non seulement d’analyser et de comprendre les intentions et les objectifs des nouveaux alliés du Makhzen marocain – actuellement le plus grand danger pour l’Algérie dans la région –, mais aussi d’anticiper ses actions.
Ni Arabe ni juif, seulement Algérien
Dans sa contribution parue en date du 1er novembre, Kahled Boulaziz défendait la thèse qui classe les juifs d’origine algérienne comme les descendants de la diaspora juive qui s’est disséminée à travers les contrées méditerranéennes après la destruction du temple de Jérusalem en l’an 70. Pour lui, ces juifs étaient en quelque sorte des «réfugiés» et des «intrus» en Algérie et, donc à ce titre, ne pourraient en aucun cas prétendre à une quelconque revendication historique sur un petit millimètre du sol algérien. Khaled Boulaziz répond, sans les citer, à certains esprits belliqueux d’outre-mer qui ont commencé à sonder la réaction des Algériens sur ce sujet.
Bien que son intention soit louable, son argumentation l’est, à mes yeux, moins. Entre autres, ou peut lui reprocher de ne pas adapter les mêmes critères de sévérité et de fermeté – probablement parce qu’il ne considère pas l’arabisme comme un danger potentiel sur l’Algérie – vis-à-vis des Arabes venus, eux aussi comme les juifs, du Proche-Orient, dans le cadre de ce qu’on appelle en arabe les «foutouhâte» (conquêtes), ou plutôt asservissement. Cette approche sélective et subjective pourrait être assimilée par le lecteur averti et neutre à du racisme similaire à celui de l’extrême-droite européenne qui ouvre largement ses bras aux migrants européens blancs et les ferme hermétiquement – comme l’a fait la Pologne, il y a quelques mois – à tous ceux qui fuient la guerre, la famine et la misère en Afrique et au Proche-Orient.
Pour conforter sa thèse «raciale» sélective, Khaled Boulaziz affirme que nos aïeux berbères auraient migré de la Péninsule arabe pour s’installer en Afrique du Nord. Pour cela, il fait appel à l’interprète militaire de l’armée coloniale Alphonse Meyer qui, dans son livre L’Origine des Kabyles selon la tradition orale et les connaissances locales, aurait recueilli «les témoignages des aînés respectés de la région qui affirmèrent avoir la conviction d’être d’origine arabe, à l’exception de la tribu des Fraoussen qui serait d’origine perse». Or, cette théorie, qui sonne comme un conte pour enfants, est complètement rejetée par les spécialistes de la génétique – qui est, grâce aux nouvelles techniques, en mesure de tracer les courants migratoires depuis des milliers d’années –, lesquels spécialistes ont conclu que le gêne des Imazighen est spécifique à la région nord-africaine et que l’apport du gêne «arabe» y est minime. Ces études ont, par ailleurs, prouvé qu’en dehors de leur proximité linguistique déjà reconnue, les Arabes et les juifs de lignée proche-orientale sont génétiquement plus proches les uns des autres qu’elles le sont vis-à-vis d’autres peuples, dont les Berbères. En termes crus, l’Arabe est génétiquement plus proche du juif de lignée moyen-orientale que du berbère nord-africain.
Kabyle, Chaoui, Mozabite, Targui ou Arabe, l’Algérien a donc son propre gêne spécifique. Il peut et doit le revendiquer haut et dort : il n’est ni arabe, ni juif, ni autre, mais seulement algérien. Le développement et l’échange humain inter-ethnique postcolonial depuis l’indépendance de l’Algérie, il y a soixante ans, a contribué massivement à homogénéiser ce gène et, par-dessus tout, à forger une conscience collective nationale mature et indéfectible.
La nation algérienne avec son histoire millénaire et sa diversité culturelle, consciente de l’extrême solidité de ses fondements qui n’ont rien à envier à ceux des grandes nations multi-ethniques, comme la Russie, les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde avec leurs centaines de millions de citoyens, doit une fois pour toutes clôturer le débat ethnique pour focaliser ses énergies et ses ressources intelligentes sur la défense de ses territoires et sur le développement.
Celui qui trahit l’Algérie perd son algérianité
Que les juifs d’origine algérienne seraient issus de migrants venus des terres de Canaan, comme le soutient Khaled Boulaziz, ou qu’ils soient issus des tribus berbères autochtones converties au judaïsme, comme je le crois et comme l’affirme Khider Mesloub – dans sa contribution publiée dans Algeriepatriotique le 4 novembre 2002, en réponse aux thèses du premier cité – en quoi ceci peut changer quelque chose lorsqu’on sait que leur écrasante majorité a quitté volontairement l’Algérie en 1962 pour s’installer massivement en France, et très peu en Israël, sachant qu’ils étaient citoyens français à part entière depuis le décret Crémieux de 1870 ?
Pour rappel, ces ex-Algériens ont trahi leur pays et celui de leurs aïeux. Un tel acte de trahison assumé ôte tout droit à son auteur pour une éventuelle réintégration de la nationalité algérienne. Mais, en dépit de cela, Khider Mesloub propose de le faire afin, dit-il, de les extirper de l’influence du mouvement sioniste. Son soutien et celui de Shlomo Sand pour les Palestiniens est très louable, mais cette proposition est non seulement très problématique pour la cohésion nationale entre Algériens, mais ne fera pas avancer la cause palestinienne.
Ce sujet sera traité dans la seconde partie de la présente contribution.
H.-N. B.
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