Corruption au Parlement européen : le Maroc dans le viseur de la justice belge
De Paris, Mrizek Sahraoui – L’enquête sur les soupçons de «corruption» et de «blanchiment d’argent» au niveau du Parlement européen se poursuit. Après le Qatar, c’est le Maroc qui est visé, selon un rapport des services de renseignement relayé, ce mercredi, par deux quotidiens belges De Morgen et De Standaard.
Dans cette nouvelles affaire, est-il indiqué dans le document rendu public par les deux quotidiens, c’est un ancien député italien, Pier Antonio Panzeri, qui est suspecté d’avoir reçu de nombreux «cadeaux» des mains du diplomate Abderrahim Atmoun, actuel ambassadeur du Maroc en Pologne, dont les liens et l’amitié avec le parlementaire italien remontent à plusieurs années. Liens et amitié indéfectibles durant, notamment, l’année 2015 où Pier Antonio Panzeri était à la tête de la Commission Union européenne-Maroc.
La RTBF a rappelé que les premières perquisitions lancées vendredi, au terme desquelles la vice-présidente du Parlement, Eva Kaili, a été inculpée puis écrouée, ont permis la saisie de 600 000 euros trouvés dans le domicile de Pier Antonio Panzeri, «le cerveau de l’organisation criminelle présumée», financée par le Qatar, selon la police belge.
Cette somme colossale fait-elle partie des «cadeaux» offerts par le diplomate marocain, a-t-elle été mobilisée par le Maroc afin d’influencer un quelconque positionnement du Parlement européen au sujet de la question du Sahara Occidental ou, tout aussi probable, de pousser des collègues à mener des actions hostiles à l’Algérie ? L’enquête devra répondre à toutes ces questions, même si tout cela tombe sous le sens.
Par ailleurs, selon le quotidien De Morgen, la justice belge a réclamé à l’Italie la femme et la fille de l’eurodéputé, soupçonnées, elles aussi, de complicité dans ce nouveau scandale impliquant directement le Maroc, à travers des échanges de messagerie.
C’est presque dans l’ordre des choses et une suite logique au scandale qui a secoué, vendredi dernier, le Parlement européen, mais pas vraiment une surprise. Depuis longtemps, de nombreux eurodéputés, notamment ceux issus des partis socialistes européens, ont été suspectés d’œuvrer en coulisses en faveur du royaume de l’ouest, à l’instar de Gilles Pargneaux, parlementaire socialiste français et ancien président du groupe d’amitié UE-Maroc.
Cette affaire qui éclabousse et met sérieusement à mal la diplomatie marocaine n’est qu’au stade d’enquête qui, dans les prochains jours sans doute, devra donner l’ampleur de la corruption mise en place dans les institutions européennes, le degré d’implication du Maroc et de la toile tissée au fil du temps par des députés européens prétendument amis du peuple marocain, mais finalement ripoux jusqu’à la moelle.
Philippe Lamberts tirait la sonnette d’alarme en 2018 déjà
En novembre 2018, le président du Parlement européen, Antonio Tajani, avait été officiellement invité à enquêter sur une possible violation du code de conduite par les députés européens en matière de lobbying, surtout en faveur du Makhzen. La demande avait été envoyée par le coprésident du groupe des Verts, Philippe Lamberts. Dans sa lettre, celui-ci demandait à Antonio Tajani de porter l’affaire devant un conseil de surveillance interne appelé «Comité consultatif sur la conduite des membres».
Philippe Lamberts avait déclaré que les informations révélées par l’article d’EUobserver intitulé «Exposé : comment le Maroc fait pression sur l’UE pour sa revendication sur le Sahara Occidental», justifiaient des mesures exceptionnelles à l’encontre de plusieurs députés, compte tenu de leurs liens étroits avec des hommes politiques marocains. Plus explicitement, l’article en question montrait comment les eurodéputés avaient créé une fondation avec d’anciens ministres marocains dans le cabinet de lobbying Hill Knowlton Strategies, situé à environ 150 mètres du Parlement européen. Les mêmes eurodéputés travaillaient également à entériner un accord commercial controversé entre l’UE et le Maroc, qui devait être voté en plénière en janvier 2019. Trois des députés européens de la fondation étaient même allés jusqu’à déposer collectivement un amendement au pacte. Autre problème : ils activaient dans une fondation connue sous le nom d’EuroMedA, qui ne figure pas dans le registre des lobbyistes de l’UE.
Le socialiste français Gilles Pargneaux, la libérale française Patricia Lalonde, le centre-droit roumain Romona Manescu et la libérale belge Frédérique Ries faisaient partie du groupe de députés impliqués dans cette scabreuse affaire.
M. S. (avec S. S.)
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