Comme deux camusiens coincés dans «L’Etranger»

Emmanuel Macron et Kamel Daoud. D. R.

Une contribution de Saadeddine Kouidri – Répondant à la question d’un journaliste à Alger le 12 décembre 2017, Emmanuel Macron affirme : «C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes.» Il sera élu président de la France au second tour, le 7 mai 2017.

De son «exclusif» publié par le magazine Le Point du 11 janvier 2023, des propos d’Emmanuel Macron nous allons nous arrêter, si vous voulez bien, à deux ou trois choses qui touchent l’histoire universelle. Le titre est «Je ne demande pas pardon à l’Algérie et j’explique pourquoi». Le titre est-il à mettre sur la recherche du buzz par le magazine ? Non, car à la page 30, on retrouve ces propos, répétés : «Je n’ai pas à demander pardon, ce n’est pas le sujet, le mot romprait tous les liens… Je ne demande pas pardon à l’Algérie et j’explique pourquoi… Le seul pardon collectif que j’ai demandé, c’est aux harkis.» On sort de l’histoire universelle qui condamne le colonialisme et on suit les propos d’un camusien et son compère, qui font semblant d’ignorer que harki est synonyme de collaborateur et en sus le journaliste, remet le «kituki» à l’ordre du jour. Il n’est pas le seul en ce 11 janvier 2023 puisque, même Mediapart publie un article qui a pour titre «31 ans après le coup d’Etat algérien, […]» où François Gèze de Algérie Watch écrit : «Les crimes coloniaux sont d’abord et fondamentalement une question franco-française.»  Tous leurs dénis visent l’histoire de notre Algérie moderne, fille de trois grandes victoires sur la barbarie. En premier, sur le colonialisme de peuplement. En second, sur l’Algérie française et pour clore avec tout l’héritage de cette barbarie étrangère, sur le terrorisme islamiste.

La France ferait mieux de garder ses troupes armées chez elle, puisque, ailleurs, elles ne sont que facteurs d’insécurité et d’injustices et, surtout, garder ses chars car l’armée russe, cette héritière de l’Armée rouge, a promis de les brûler sur le champ de bataille ukrainien. Rappelons que l’Armée rouge reste invaincue avec un trophée des plus nobles, celui de sa victoire sur la barbarie nazie qui a sauvé toute l’Europe de l’esclavagisme. Une façon d’économiser votre argent qui vous aidera à acheter le gaz, sans attendre que notre Président vous fasse un prix préférentiel, comme le suggère votre amour pour l’Algérie ou à fixer la retraite à 60 ans.

Non, la France veut continuer à dominer, comme dans le passé, parce qu’elle n’admet toujours pas que les véritables héros de la France sont nos frères français, ces héros que nous avons en commun, qui ont contribué à libérer l’Algérie de la colonisation, sans pour autant vous reprocher de prendre bien soin de vos harkis, grand bien vous fasse.

«La demande d’excuses à la France sert parfois à se dérober à la vérité et arbitre faussement l’Histoire», affirme Macron. Qui a demandé des excuses de la France ? Seuls les faits arbitrent l’histoire à ce que je sache. Il faut rappeler que le soulèvement du peuple le 11 décembre 1960 suite au discours du général De Gaulle aurait fait la fierté du Belcourtois. Malheureusement, il est mort accidentellement en janvier 1960. A ce sujet, j’invite le lecteur à lire mon article «Albert Camus l’Algérien n’est pas français». Faut-il rappeler aux amnésiques que l’éclatante victoire, armée, politique et diplomatique, sous la direction du FLN/ALN le 19 mars 1962 est le résultat d’une des plus longues épopées de l’histoire ? Contrairement aux Amérindiens, nous n’avons pas seulement survécu à la colonisation de peuplement, synonyme de génocide mais que nous l’avons vaincu à plate couture et le monde à l’ONU en est le témoin officiel.

Macron parle d’une «histoire d’amour entre l’Algérie et la France. Pas entre colonisés et colonisateurs», précise-t-il. Comment parler d’amour avec un colonisateur qui persévère dans sa colonisation de la Guyane, de la Guadeloupe, de la Réunion, de la Martinique, de la Polynésie française, de Mayotte, de Wallis et Futuna, de Saint-Pierre et Miquelon et de la Nouvelle-Calédonie ?

Comme tous les colonisateurs, vous méprisez les peuples, y compris le vôtre. Nous l’avons constaté lors des manifestations des Gilets jaunes. Comment osez-vous dans ce cas parler d’amour entre l’Algérie et la France ? Sachez que nous n’avons jamais fait la guerre au peuple français mais à la colonisation française. La colonisation française, c’est vous qui l’incarnez encore aujourd’hui et, en tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, vous n’appliquez pas les lois de la décolonisation et vous allez à l’encontre des résolutions qui vont dans ce sens. Il faut que vous sachiez que nous sommes encore ennemis tant que toutes les colonies ne sont pas libérées.

Vous colonisez toujours plusieurs pays, étrangers à votre continent. Comment peut-on oser parler d’amour dans ce cas ? Il vous est demandé de vous conformer aux lois internationales sur la colonisation, en libérant les peuples qui sont toujours sous votre joug et, en tant que membre influent à l’ONU, d’user de vos prérogatives pour appliquer la loi d’autodétermination partout où cela est nécessaire en commençant par le Sahara Occidental au lieu de prêter mainforte au roi du Maroc. De dénoncer l’occupation de la Palestine au lieu de chercher les poux sur la tête de Poutine.

A la page 35, Macron ose s’adresser à ses homologues africains avec : «Vous ne pouvez pas soutenir la Russie ou être ambigus sur cette invasion, parce qu’ontologiquement c’est ce que vous combattez depuis toujours.»

Ma réponse à François Gèze que je reprends pour les camusiens et consorts : «Vous persistez à écrire la suite de votre roman pour en faire une histoire qui aboutirait à votre affirmation saugrenue : les crimes coloniaux sont d’abord et fondamentalement une question franco-française. Le déni de la victoire de la Révolution armée algérienne sur le colonialisme par les historiens français vous permet de tisser vos élucubrations jusqu’à faire du terrorisme islamiste une victime de notre Armée nationale. Votre déni de la victoire du peuple algérien sur le terrorisme islamiste est adossé à celui de vos récits. Vous êtes incapable de voir les faits, et votre roman n’alimente que l’extrême-droite des deux rives. Le Pen en est la preuve.»

A la page 49, l’avant-dernière page de cet «exclusif», Macron affirme que «la France a été nourrie par les mouvements islamistes, parce que l’islam politique voit dans la France son pire ennemi compte tenu de l’universalisme qu’elle porte et la laïcité qui va avec». Oui, mais c’est en qualifiant l’indigène de Français musulman au lendemain de la «Seconde Guerre mondiale» que la France a encouragé l’islamisme politique, qui a ressurgi trois décennies après l’indépendance algérienne avec la bénédiction de François Mitterrand et ses acolytes. Le pire, c’est qu’elle a marqué certains de nos dirigeants à jamais. Il faut aussi rappeler que les idéologies n’ont pas de limite géographique ou historique absolue et la preuve est que la Révolution de 1789 a été une des références de la Révolution algérienne de 1954. Malheureusement, si toutes les révolutions ont à ce jour échoué, toutes laissent des acquis à l’humanité que les bourgeoisies ont détournée.

S. K.