Israël au bord d’une guerre civile : le mythe sioniste s’épuise devant le fait colonial
Une contribution d’Ali Akika – Apartheid, pogrom, partis fascistes, ces mots sont entrés successivement dans la presse mondiale, dans les documents de l’ONU, dans les propos du général israélien commandant la région de Houwara, village palestinien incendié par une meute de colons. Et dans les rues de Tel-Aviv des centaines de milliers de manifestants enragent de voir leur «démocratie» dont ils se disaient être si fiers. La majorité de ces foules ne se doutent pas que cet enterrement est dû à l’épuisement du mythe sioniste qui se confronte aujourd’hui à un adversaire coriace, le peuple palestinien qui ne se laisse pas bercer par le romantisme des mythes. Car un mythe religieux a servi de support idéologique à un fait colonial, à l’instar de la colonisation occidentale qui a brandi le cache-sexe de la «civilisation». Et le mythe sioniste qui a bénéficié par une certaine culpabilité, a rencontré sur son chemin le binôme histoire/politique à qui on ne raconte pas fleurette. Bref, l’Etat d’Israël est entré, selon une myriade de généraux de l’armée, du Mossad et des réservistes de l’élite de l’aviation de guerre, dans une phase potentielle de guerre civile…
Mais avant de cerner le fait colonial à l’origine, entre autres, du volcan interne qui ébranle l’Etat d’Israël, une petite clarification à propos de la notion d’Etat s’impose. Un Etat est une construction politique d’institutions chargé de gérer politiquement et administrativement un pays et ses populations. Il n’a pas forcément un lien historique et politique avec le pays et les populations qui l’habitent. C’est le cas des territoires colonisés où les habitants subissent les lois d’un Etat dont la capitale est située généralement ailleurs. Et Israël a déclaré Jérusalem comme sa capitale non reconnue par les populations autochtones et par le droit international. Ce genre de «bizarrerie» est imposé par la force mais finit par être effacé avec le temps qui passe.
Ainsi, dans l’Antiquité, nous avons plusieurs Etats-villes au milieu d’un même territoire habité par des populations parlant la même langue. Il a existé en Grèce, les villes rivales de Sparte et d’Athènes, en Italie Venise, Gènes et aujourd’hui le Vatican en plein Rome, capitale de toute l’Italie. De nos jours, il y a des Etats unitaire ou fédéral, monarchistes ou républicain, etc. Notons au passage que l’Etat d’Israël ne bénéficie pas du qualificatif de monarchie ou de République ou tout autre qualificatif du lexique de la science politique. Il n’est pas non plus doté d’une constitution et n’a pas de frontières définies, sinon celle de la mythologie du retour à Sion, du Nil à l’Euphrate.
Je cite ces caractéristiques de l’Etat d’Israël car elles sont, en creux, le terreau de la féroce guerre idéologique entre les deux camps actuels qui se disputent le pouvoir. Il y a, d’un côté, les partisans du mythe biblique de la terre promise et ceux du sionisme politique, les juifs fortement influencés par la culture politique et idéologique des pays européens dont ils sont originaires. Voilà pourquoi la nature coloniale de l’Etat d’Israël, la période historique de sa création et les bouleversements qu’il connait de nos jours, expliquent l’impasse dans laquelle il se débat actuellement. J’avais, dans un article dans Algeriepatriotique «Israël de la guerre, des colons et des rapines», analysé l’impasse de cet Etat en me basant sur ses contradictions internes sur le plan économique, politique et démographique.
Dans le présent article, je veux aborder le mythe, la «sacralité» du message idéologique qui a animé le projet sioniste et débouché sur la création de l’Etat d’Israël. L’idée de cet Etat a muri dans la tête de Théodore Herzl, un juif de l’Europe de l’Est ayant été choqué et révolté par les pogroms que subissaient les juifs. Il écrivit un essai, L’Etat juif, et défendit l’idée d’un Etat juif au Congrès de Bale en 1897.
La Déclaration de Balfour (novembre 1926) de la Grande-Bretagne, colonisatrice de la Palestine, qui promit un foyer juif en Palestine, fut une aide considérable offerte au mouvement sioniste qui se mit à organiser l’installation des juifs en Palestine. Le mythe religieux du retour à Sion qui va s’ajouter aux massacres et la déportation des juifs lors de la Seconde Guerre mondiale, favorisa la création de l’Etat d’Israël en 1948. Cet Etat, par des guerres successives avec le fort soutien de l’Occident, voulait se faire admettre et se banaliser au milieu d’une région dont les peuples, jusqu’à aujourd’hui, soutiennent le peuple palestinien. Israël sait que sa reconnaisse par les Etats féodaux ne suffira pas à l’intégrer dans la région en raison de l’opposition des peuples. Il faut donc avoir à l’esprit ce survol, certes, rapide mais utile pour comprendre la situation inédite actuelle. Celle-ci connait une brèche dans la muraille constituée par des murs réels qui entourent et traversent les villes de Palestine et fait appel à l’armada des forces militaires en alerte permanente pour protéger cet Etat.
Et ladite situation actuelle, outre les problèmes économiques et sociaux classiques déjà cités dans mon article dans Algeriepatriotique, est caractérisée par deux dangers qui n’ont pas été rentrés dans le logiciel de la stratégie d’Israël. Ces deux dangers, et ce n’est pas un hasard, c’est le rendez-vous donné par les Palestiniens à l’Etat d’Israël sur le champ de bataille. Israël était assuré de s’imposer aux Palestiniens par la panoplie de ses ressources, la force brute et brutale de son armée, le soutien de l’Occident et la collaboration et la traîtrise d’Etats féodaux-monarchistes. Il n’a pas vu venir le vent et les ruses de l’histoire qui allaient le dégarnir du manteau qui masquait sa «démocratie» dont bénéficient les seuls Israéliens juifs. Les Palestiniens sont «relogés» sous d’autres enseignes qui deviennent des cauchemars qui empêchent cet Etat de dormir tranquillement. Les sionistes croyaient que le mythe religieux transposé sur le terrain de la politique était fait de taille à assurer éternellement la sécurité à la maison commune de tous les juifs.
Pourquoi le fait colonial et le mythe de la terre promise vont-ils se briser sur les puissantes vagues des tempêtes qui bousculent ici et ailleurs, d’ores et déjà des forteresses supposées imprenables ? Le fait colonial en Afrique et en Asie a grosso modo été enterré pendant le siècle dernier. Les guerres et les révoltions ont eu la peau de cette parenthèse que les ignorants et les imbéciles pensaient qu’elle faisait partie de l’éternité des choses. Seuls de nos jours deux Etats persistent dans cette croyance infantile, Israël et le Maroc. Laissons de côté le Maroc qui, naturellement, n’a pas les mêmes cartouches politiques et économiques qu’Israël. En revanche, Israël et l’Occident pratiquent la colonisation sans rougir comme le docteur de Molière parlait en prose sans le savoir. Bizarre, cette manie de passer par pertes et profits l’Irak, la Libye, la Syrie, la Palestine. Une tâche impossible pour Israël s’agissant de la Palestine !
Car comment effacer ou faire oublier le fait colonial en Palestine avec des millions de Palestiniens qui vivent sur leurs terres et que l’on côtoie tous les jours. On a bien essayé de les faire oublier en les chassant de la vue du colon, vers les frontières des pays voisins. On leur a promis de les installer dans des pays qui font rêver, Canada, Australie et la grande Amérique. Ceux qui sont restés à l’intérieur d’Israël, on a fini par leur «accorder» la citoyenneté et même des postes dans l’appareil d’Etat.
En dépit de ces efforts, le fait colonial demeure car le peuple palestinien n’est pas une construction d’hier mais plonge ses racines dans cette terre depuis la nuit des temps. Et la dernière hypothèse, celle des deux Etats que l’ONU et les grandes puissances sont prêtes à aider et cautionner ne sied pas à cet Israël prisonnier et formaté par la mythologie «du Nil à l’Euphrate».
Après le fait colonial, voyons ce que ça donne avec le mythe de la Terre promise. J’avais parlé plus haut du «romantisme» des mythes. Sauf que les mythes, bien qu’ils soient des constructions poético-intellectuelles liées à de grandes aventures historiques, religieuse ou autres, nourrissent l’imaginaire de l’homme mais demeure un simple repère historique d’une époque ou d’une civilisation. Mais dès qu’on enferme un mythe dans un repaire, le «chosifier» en quelque sorte. Aussi se sent-il à l’étroit, il perd alors de son pouvoir de séduction et se hérisse d’être mêlé à la banalité et l’âpreté de la réalité à des fins mercantiles. C’est ce qui est en train de se passer en Israël où les partis religieux utilisent le mythe biblique pour recevoir des subventions, ne pas faire le service militaire et enfin accéder au pouvoir. Après ce survol du fait colonial et du mythe sioniste de la terre promise, voyons quels facteurs politiques trouvent-ils sur leur chemin.
Contre le fait colonial, on trouve évidemment la victime, tout un peuple qui a montré ses ressources et sa résistance depuis un siècle (Déclaration de Balfour en 1926). Son oppresseur a jusqu’ici, avec tous les moyens possibles et inimaginables, tenté de faire disparaître sa cause. Mais ce qui se passe, depuis la dernière guerre du 10 mai 2021 baptisée «Gardienne des murs», les Palestiniens ont refroidi les ardeurs de l’armée israélienne qui n’a pas pris le risque d’entrer dans Gaza pour arrêter les tirs de missiles d’abord sur Al-Qods (Jérusalem), ensuite sur tout Israël. Ça rappelle le Hezbollah en 2006 qui donna une leçon magistrale avec un art consommé de la guérilla qui a rendu le Liban interdit aux balades et «exploits» d’Israël.
Ainsi, depuis la bataille des missiles sur Al-Qods, la résistance se déploie à Jénine, Naplouse, Al-Qods et même au centre de Tel-Aviv. Ces séries d’attaques inquiètent énormément Israël et ne sont pas étrangères à la venue des partis religieux au pouvoir et les manifestations en Israël contestant un gouvernement composé de suprématistes racistes. Ces derniers sont arrivés au pouvoir sur un programme haineux contre les Palestiniens, obstacle à leur chimérique Israël, du Nil à l’Euphrate. On voit là le lien entre le fait colonial qui taraude Israël et les contradictions au sein de la société israélienne. Disons tout de suite que ni les suprématistes racistes ni les manifestants ne reconnaissent le fait colonial de l’Etat.
Les manifestations des Israéliens sont motivées par l’attaque des partis religieux contre la Cour suprême qui perdrait le droit de contredire les lois du Parlement. Et voilà cet Etat qui se définissait comme modèle de la «démocratie» deviendrait un Etat qui généraliserait et appliquerait des lois talmudiques qui existent déjà dans le domaine du mariage et autres interdits du Shabbat…
La réaction de l’establishment israélien, suivi d’une grande partie de la société, y voit un danger pour la «démocratie» et la dégradation de l’image d’Israël dans le monde. Voyons ce qui se cache derrière ces manifestations ? «C’est un fossé qui existe depuis le début du sionisme qui projeta de créer l’Etat d’Israël en Palestine. Comme la Palestine n’était pas un désert, on pensa à l’Ouganda vite abandonné.» On revint vers la Palestine pour concrétiser le mythe biblique du retour à Sion. L’arrivée des religieux au pouvoir est le produit d’un long processus avec le déclin continu des travaillistes («socialistes») qui cédèrent peu à peu du terrain aux catégories sociales travaillées par les religieux. Et ce déclin se traduisit par la disparition des «socialistes» et l’arrivée de la droite alliée aux religieux. Le cirque des élections, en deux à trois ans, s’est joué en cinq séquences pour accoucher du gouvernement actuel, composé d’une droite dure alliée à l’extrême droite.
Jusqu’ici, toutes les contradictions profondes ou catégorielles, guerres de conquête coloniale, crises économiques, crises politiques ont été surmontées en faisant appel à l’union sacrée contre les dangers extérieurs. Mais quand le danger vient de l’intérieur, que faire ? Les ex-généraux de l’armée et du Mossad se sont alarmés et reconnaissent leur impuissance devant une guerre civile. Car ce qui fait peur aux manifestants et qui ne le disent pas, c’est le mythe biblique qui s’ajoute au fait colonial qui produit un danger existentiel pour un Etat qui cultive le déni de son entreprise coloniale. L’Etablissement politico-militaire et la majorité de la société savent que ce n’est plus le mythe biblique qui est le moteur en Israël mais un mode de vie qui accepte de cohabiter avec les croyants dudit mythe mais n’entendent pas le subir.
L’équation à résoudre par l’Etat d’Israël a plusieurs inconnues, mythe biblique, entreprise coloniale, Etat situé en Orient mais se réclamant fièrement de l’Occident, traditions religieuses contre modernité occidentale. Et ce n’est pas une sixième élection qui va résoudre, par magie, une équation insoluble dans une région labourée par l’histoire. Et si on ajoute la présence des enjeux géostratégiques d’hier et d’aujourd’hui, tout observateur ne peut que déduire que la tempête que traverse Israël ne va pas se calmer avec les recettes habituelles de la force des armes et le soutien complice de l’Occident. Les glissements géostratégiques dans le Moyen-Orient débouchent sur le rapprochement Arabie Saoudite-Iran, Iran-Russie et le poids grandissant de la Chine dans la région vont changer la donne géopolitique.
J’y reviendrai dans un prochain article car ces grandes manœuvres diplomatiques et politiques vont couvrir les bruits et agitations des Accords d’Abraham. Pour la Palestine et les Palestiniens, ce sont de bonnes nouvelles. Et ceux qui rêvent d’enterrer leur cause seront une nouvelle fois déçus.
A. A.
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