Jacob Cohen formel : «Le Maroc sera bientôt isolé au sein du monde arabe»
Par Nabil D. – «Le Maroc a lié son destin à celui d’Israël, pour le meilleur ou pour le pire», a indiqué Jacob Cohen, en estimant qu’«il y a seulement deux ans, cela semblait un coup gagnant». «Mais les bouleversements géopolitiques entraînés par la guerre en Ukraine – dont le renforcement des BRICS auxquels l’Algérie veut adhérer –, les crises sociales et économiques en Europe, le désarroi des Américains face à la puissance russe et au soutien que reçoit la Russie, la perte d’influence de l’Occident en Afrique et au Moyen-Orient à la vitesse grand V, la déstabilisation de la société israélienne proche de la guerre civile montrent que cet engagement peut se révéler néfaste», a expliqué l’écrivain franco-marocain.
«Le Maroc est pris au piège d’une alliance qu’il voulait profonde et irréversible. Déjà, sous peu, il sera isolé au sein du monde arabe», a souligné le penseur antisioniste, selon lequel «un changement de cap [dans ses relations avec Israël, ndlr] serait catastrophique, une défaite humiliante pour le Palais». «D’où cette injonction menaçante contre le PJD [parti islamiste marocain, ndlr] qui s’est sagement mis en retrait», poursuit-il, en faisant remarquer que «le courroux royal au Maroc peut avoir des effets dévastateurs».
«Il est intéressant de constater que les Emirats arabes unis ont déjà commencé à prendre leurs distances avec le régime sioniste sur le plan des relations sécuritaires», a rappelé Jacob Cohen, dans un entretien à nos confrères d’Algérie54. «Les monarchies du Golfe n’avaient pu s’engager dans la coopération avec Israël qu’avec l’aval tacite de l’Arabie Saoudite. Maintenant que celle-ci semble avoir abandonné ce projet, il paraît évident que les petites monarchies vont calquer leur attitude sur la position saoudienne», a-t-il fait constater, en assurant, toutefois, que le Maroc continuera de s’astreindre aux Accords d’Abraham, «selon toute probabilité». «Le régime chérifien, développe l’écrivain établi en France, ne s’est pas seulement engagé dans une paix formelle avec Israël. Il en a fait son allié stratégique, son partenaire militaire, son complice en matière de renseignements et de tous les coups tordus dont le régime sioniste est coutumier.»
Interrogé sur la réconciliation entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, Jacob Cohen a répondu que «c’est un coup très dur porté à la diplomatie, patiemment élaborée depuis plus d’une décennie par l’axe américano-sioniste, Israël jouant le rôle du berger protégeant les brebis des monarchies du Golfe contre l’appétit machiavélique de l’Iran impérialiste». «Toute la propagande sioniste de ces dernières années jouait sur la menace chiite qui allait déferler et avaler ces monarchies sans défense», relève l’auteur du Printemps des sayanim. «On était même à un cheveu d’embarquer l’Arabie Saoudite dans la croisade sous la bannière de l’étoile de David», note-t-il. «Et puis, patatras», ironise l’écrivain engagé pour une Palestine libre et unie.
«On peut penser ce qu’on veut de MBS [Mohamed Ben Salman, ndlr], mais c’est un grand homme d’Etat doué d’un sens politique remarquable. Il a évité le piège dans lequel est tombé Saddam Hussein, en faisant une guerre meurtrière à l’Iran pour le compte de l’Amérique. Et on connaît sa fin. Il a renforcé son alliance avec Poutine sur le marché pétrolier, sachant bien que l’Amérique est un allié cynique, violent, menteur, voleur, etc. Il a reçu en grande pompe le dirigeant chinois. En 2/3 ans, il a retourné une alliance qui semblait historiquement indestructible. On peut presque dire que la page de l’Occident au Moyen-Orient se tourne sous nos yeux et on ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher», a-t-il conclu.
N. D.
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