Bureaucratie et virage numérique (I)

bureaucratie Alg
La bureaucratie a longtemps gangréné les institutions algériennes. D. R.

Une contribution de Férid Racim Chikhi(*) – Dans cette réflexion, en deux parties, j’expose succinctement une problématique de la numérisation (d’autres diraient la digitalisation) comme remède à la bureaucratie, telle que décidée par le président de la République. Je parcours en quelques notes ma perception de la définition algérienne de la bureaucratie ; j’aborde la question de la valorisation du capital expérience et je m’interroge si la numérisation est vraiment le remède aux maux observés : la panacée ? Dans la seconde partie, je propose le résumé d’un échange avec des analystes seniors ; je formule la nécessité d’un bon diagnostic et je conclus.

Henri Bergson a dit que «tout problème bien posé est à moitié résolu» et Albert Einstein, comme pour le compléter, souligne qu’un «problème sans solution est un problème mal posé». Le premier écueil dont il faut se méfier consiste à poser les problèmes sous la forme d’une alternative indépassable. Mieux encore, notre ami Albert nous explique en quelques mots qu’«aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l’a engendré».

Mise en contexte

Au mois de juin dernier, le président de la République avait déclaré que la lutte contre la bureaucratie ferait l’objet d’une attention particulière. Alors, je me suis questionné : quelle est la définition qu’il donne à ce fléau qui gangrène les institutions algériennes ? J’ai cherché et j’en suis arrivé à la conclusion que ce n’est pas celle de Max Weber et des autres théoriciens des organisations.

Par le biais de la problématique que je propose, je formule des hypothèses ainsi qu’un questionnement pour tenter de définir le virage numérique attendu (parce qu’il s’agit bien d’un virage numérique) afin de lutter contre la bureaucratie. Basé sur quelques faits vécus par des personnes qui ont toujours été favorables à l’amélioration des performances non seulement des individus mais aussi des structures, de la gouvernance mais aussi des pratiques héritées d’une histoire managériale qui, à l’évidence, avait bien débuté mais qui a suivi les courants imposés par des interférences détestables avec des résultats catastrophiques, je me suis demandé, sachant le potentiel informatique de l’Algérie depuis des décennies (CNI/CERI etc.), si un diagnostic professionnel avait été élaboré par les spécialistes qui sont à l’origine de ce virage numérique. Je n’en ai vu aucun. Pourquoi je pose cette question ? Parce qu’au cours de mes études et de mes expériences professionnelles, quelques-uns de mes «patrons éclairés» me demandaient toujours un exposé des motifs ou un état des lieux ou, mieux encore, un diagnostic. Ils demandaient que soient mis en évidence quatre paramètres : la description résumée de la structure, le profil des employés, les impacts sur les autres structures et la gestion du temps (échéancier). Finalement, il fallait mettre le focus sur la faisabilité du changement que nous voulions opérer.

Le président de la République a certainement eu entre les mains cet exposé des motifs parce j’ai quelques questions auxquelles, peut-être, le temps répondra : Que fait l’Etat avec la fuite des informaticiens ? Que fera-t-il avec les ordinateurs, dans la quasi-majorité sont obsolètes ? Seront-ils rénovés (donc, création de nouveaux emplois en informatique) et offerts à quelques pays amis démunis ? Avec quel équipement de remplacement ce virage sera effectué ? Quel sera le fournisseur principal ? Sera-t-il chinois, japonais, américain, etc. ? Quel système a-t-on retenu, celui de Microsoft, d’Apple ou d’un autre constructeur ? Où trouvera-t-on les informaticiens nécessaires et suffisants pour ce changement majeur ? Quel système de sécurité a-t-on prévu pour, à la fois, les institutions et l’information sans omettre les facteurs humains et organisationnels ? Fera-t-on appel à des partenaires étrangers ou cela se fera-t-il par des compatriotes ? Par ailleurs, même si l’on puise dans la caisse des 65 milliards de dollars de réserves de change, quel sera le budget pour cette transformation ? Sans omettre la partie éducation et enseignement ? Il est clair que bien d’autres questions me viennent à l’esprit, mais revenons encore une fois à la problématique.

Définition algérienne de la bureaucratie

Que ce soit Einstein, Bergson ou les penseurs du management, je confirme que si je m’en tiens aux apprentissages acquis auprès de quelques-uns parmi eux, la bureaucratie est un modèle qui repose sur une organisation avec un fonctionnement standardisé fondé sur une division du travail. Cette organisation est centrée sur les fonctions et les tâches, leur coordination et leur évaluation pour attester de leur bonne exécution. Elle vise la normalisation, la standardisation et la reproduction de comportements positifs. Ce qui n’est pas du tout le cas, en Algérie, son Etat et ses institutions. Bien entendu, d’aucuns pourront témoigner qu’au départ c’était ce qui avait été anticipé. Cependant, le temps, les ingérences et autres immixtions inconsidérées, le piston, le clientélisme, le népotisme et tous ces parasites exogènes dénoncés avec force vigueur lors de discussions de la Charte nationale (1976), le processus a dérivé au point d’en faire un monstre de blocage et de corruption nommé «péjorativement» bureaucratie. Celle-ci entraîne d’abord une perte d’engagement, des manques à gagner financiers dus, entre autres, à une assiduité fluctuante et à un absentéisme systémique, une productivité nulle et aux mauvais choix stratégiques, comme cela semble être le cas depuis fort longtemps. La précipitation faisant le bonheur de quelques incompétents qui se parent de l’habit des experts.

Mais peut-on dire que la bureaucratie est du simple fait des agents des institutions et autres administrations et entreprises, notamment publiques ? La réponse est, certes, «infirmée». Sachant que les deux parties : administration et individu ont, à la fois, une part de responsabilité et une part d’innocence couplée à de l’indécision. Néanmoins, les deux ont leur part de culpabilité. En fait, la mentalité du beylik, qui préexistait avant la colonisation et qui a perduré durant celle-ci, s’est transformée au point où la corruption, d’abord mentale ensuite systémique, ronge tous les rouages et les mécanismes de l’Etat. Hercule, qui est venu à bout de ses douze travaux en perdrait son grec.

Valorisation du capital expérience, mais…

Je me souviens qu’à la fin des années «1960» j’ai eu l’opportunité de faire mes premiers pas dans l’administration des impôts, puis dans celle de l’appareil central du parti unique – précisément au sein du département des études –, avant de me tourner vers les activités économiques, notamment portuaires et sidérurgiques. J’ai fini par atterrir sur le tarmac d’Air Algérie où j’ai découvert l’apport de l’informatique pour les besoins de la réservation et de la paye. Les ordinateurs étaient de fabrication Bull puis remplacés par IBM. De belles expériences, formatrices grâce à des agents économiques parmi lesquels beaucoup étaient autodidactes, sérieux, intègres et cultivant un professionnalisme fort apprécié par les jeunes recrues dont je faisais partie. Cette période qui va de la moitié des 1970 à la fin des 1980 a surtout été révélatrice des dérives, des culs-de-sac et des empoignades grotesques, par moments, des gens des clans ou carrément des clans des pouvoirs. Oui, je dis bien des clans des différents pouvoirs, parce que, selon ma vision et ma perception, il y a toujours eu dans la gouvernance de l’Algérie un régime, un système et plusieurs pouvoirs avec plusieurs clans – d’autres diraient des courants – générateurs du contournement des procédures administratives ; sous les vocables : el-maârifataânaoulid lebledh’bibnael-pisto, etc. Tant de concepts incrustés dans la mentalité du douar (selon la pensée d’Ibn Khaldoun et sans arrière-pensée négative) ; douars, aujourd’hui disparus du territoire national. Le tout est engendré par une idéologie non encore étudiée par nos sociologues. Au-dessus de cette idéologie est venue se plaquer une autre plus politique. Voir ci-après.

Au sujet desdits concepts. Quitte à me répéter, retenons que nul n’ignore que le régime algérien dans sa quintessence est formaté par un système de gouvernance regroupant plusieurs pouvoirs ; ceux-ci, selon quelques politologues, ont été engendrés par des courants qui infiltraient le parti unique. Donc, en plus de la pensée du douar, du clientélisme, du népotisme, du régionalisme tous systémiques et de la nouvelle bourgeoisie «comprador» intronisée sous le vocable «oligarchie», le tout était organisé autour des puissants du moment qui peuvent être des élus désignés, des fonctionnaires «intouchables», des militaires sortis des casernes et, de guetteurs, cette masse d’employés, notamment des institutions publiques qui font souvent la pluie et le beau temps, parce que la porte du chef leur est ouverte en tout temps. Le système avec un tel réseau de faiseurs et défaiseurs de «cadres» est hiérarchisé et «ces hiérarchies» ont comme talon d’Achille leur malléabilité.

La GPA ou gestion par affolement

Donc, au milieu des années 1980, j’étais employé à Air Algérie, nous étions en pleine application des fameux SGT et GSE. Un collègue (Mustapha B.), matheux de formation, avait énoncé sa propre analyse des procédures nouvelles pilotées par le ministère du Travail et qu’il fallait mettre en œuvre. Un jour il nous dit : «Nous sommes entrés dans une nouvelle ère où la GPA (Gestion par affolement) va faire sortir de leurs antres tous les incultes qui parasitent l’organisation et l’empêchent d’atteindre les résultats probants attendus d’elle.»

La GPA faisait son œuvre parce qu’il s’est avéré que les fameux incultes – non pas les bons autodidactes – occupaient des postes de haut niveau, sans qualifications et avec une expérience médiocre et souvent dépassée par l’apport des jeunes sortis tout frais de l’université. Pour venir à bout du changement organisationnel imposé par l’avènement du SGT et de la GSE, l’outil informatique s’était avéré indispensable et nécessaire. Malgré des avancées gigantesques, Air Algérie était tributaire des gros équipements d’IBM et de quelques microordinateurs que seuls les informaticiens manipulaient avec une certaine efficacité. Nous, les administratifs et autres gestionnaires de bureau, nous en dépendions. Nous commencions à peine nos premiers apprentissages et nous savions que nous ne pouvions avancer sans leur soutien. Pour ce faire, il fallait user de tact et de diplomatie. Une équipe multifonctions s’était constituée. Il fallait de longues négociations pour que nos demandes soient comprises par nos amis techniciens. Malgré quelques handicaps et quelques blessures, tout baignait dans l’huile. Cependant, si l’informatisation était l’outil par lequel tous les planqués «intouchables» allaient être débusqués, ils bénéficiaient du soutien avéré de leurs parrains. La bouffée d’air qu’apportait l’informatique et les quelques micros reçus dans nos bureaux, connectés au centre de calcul situé à Kouba, ont mis à nu leurs insuffisances professionnelles et ils ont été poussés soit à s’y mettre (apprendre les bases de l’informatique de gestion), soit à partir, souvent appelés à d’autres fonctions, avec une promotion ou pour les plus chanceux affectés dans une délégation ou représentation à l’étranger… Il faut souligner que la même problématique était observée dans tout le secteur des transports (SNTF, CNAN, HYPROC, SNTV, SNTR, ENESA, ONM, etc.).

F.-R. C.

(Suivra)

(*) Analyste sénior Groupe d’études et de réflexion Méditerranée-Amérique du Nord (German)

Comment (4)

    Samir Achoubi
    18 avril 2023 - 12 h 24 min

    Excellente approche de la part d’une personne à l’évidence expérimentée.
    Le problème est posée dans son entièreté!

    Si Taeb
    17 avril 2023 - 13 h 03 min

    Un petit détour de l’insuffisance et la médiocrité installées dans l’administration algérienne :
    – Le manque de formation chez les officiers de l’état civil, presque toutes les administrations territoriales en souffrent.
    – Le manque de coordination dans la chaîne hiérarchique.
    – Un niveau lamentable dans l’interprétation des circulaires, des décrets et des lois au niveau local.
    – Le manque de personnes qualifiées dans le recrutement.
    – le laisser-aller dans la gestion administrative.
    – bureaucraties et paperasseries à un point d’en dégoûter le citoyen.
    Une liste non exhaustive des problèmes qui rongent l’administration algérienne.

    Un système administratif qui a besoin d’être réformé, il a besoin d’une grande transformation. Un grand chantier !

    Bien à vous

    Belveder
    17 avril 2023 - 11 h 08 min

    Prenons un cas concret
    L aspect financier
    on peut mettre tout le matériél et tout la logistique voulue la PAIEMENT éléctronique ne décolle pas en ALGERIE pour la simple raison que les commercants ne veulent pas étre Tracé par les services des impots
    Ailleurs meme les caisses peuvent étre verifié par les services du fisc (Ticket fond de caisse)..
    derniére CHOSE TANS que la convertibilité du DINAR ALGERIEN n est pas résolue c est des coups d épée dans l eau……

      Anonyme
      17 avril 2023 - 23 h 24 min

      Une bonne révolution culturelle,
      sur la  » méthodologique  » du
      travail, de la productivité,
      l’organisation scientifique du
      travail, de la production,
      avec objectif de résultats
      chiffrés, mesurables. Avec des
      amendes, par retenu sur salaire.
      Après 3 amendes, licenciement
      avec effet immédiat, pour fautes
      graves. Avec 3 mois de salaires
      comme indemnités de
      licenciements .
      Interdiction d’exercice pendant
      5 ans dans l’administration.

      Cela doit passer par un bain de
      sang social pour les saboteurs
      et les bras croisés, et les
      champions du presentiels.

      Rien de nouveau… C’est la
      méthode management
       » Bonzai  » pur jus… A la JAP

      C’est la fin des Brebis galeuses..

      La mort-vivante des tirs aux
      flancs.

      Résultats, une petite île, sans
      matières premières, et
      120 000 000 d’habitants, serrer
      comme des sardines.
      Toujours en tête du peleton
      de la performance mondiale.

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