La Chine, le pape, Volodymyr Zelensky et l’arlésienne(*) contre-offensive…
Une contribution d’Ali Akika – Souvenons-nous de l’hystérie verbale des premiers jours de la guerre où n’importe quel petit soldat de la fabrique du mensonge allait de son jugement sur la victoire certaine des Ukrainiens, de la défaite de la Russie, engendrant la chute du «régime de Poutine» que l’on verra bientôt assis sur un banc du tribunal international. Hier, Zelensky, chef de guerre adulé par «le monde entier», quémande aujourd’hui un entretien téléphonique avec Xi Jinping, concurrent et cible de ses amis américains. Quittons le monde des illusions et des délires et revenons sur terre…
Le président ukrainien jette ses dernières forces dans l’offensive qui ressemble de plus en plus à une Arlésienne. Mais personne ne semble croire en une victoire de l’armée ukrainienne. Du reste, le ministre ukrainien des Affaires étrangères a averti ses compatriotes de ne pas trop demander à cette offensive. Le point de vue de ministre est partagé par la majorité des stratèges et analystes militaires. Je traiterai plus loin de l’aspect militaire de cette offensive. Pour l’heure, des pays comme la Chine et le Brésil semblent suggérer, à travers leurs prises de position publiques, au président ukrainien de regarder du côté d’une solution politique par la négociation. Aura-t-il un sens politique aigu et la capacité de résister aux Anglo-saxons qui ont déjà fait capoter à Minsk et à Istanbul les négociations en mars 2022 quand les Russes étaient aux portes de Kiev ? Car le grand «frère» américain a son propre agenda et ses intérêts !
Aujourd’hui, d’autres faits politiques perturbent le jeu américain. Le président Biden, à l’approche des élections en 2024, va faire de plus en plus de pression sur Zelensky pour restreindre les ambitions de son protégé. Et Biden et plus généralement son parti démocrate savent que Trump attend impatiemment et goulûment sa revanche. Un parti démocrate américain qui n’a à lui opposer seulement et uniquement Joe Biden, un vieux monsieur pas seulement fatigué par son âge mais usé aussi par quarante ans de vie politique. L’élection de 2024 est donc capitale pour la politique de soutien à l’Ukraine. On sait que Trump est un isolationniste dont la politique consiste à se concentrer sur les affaires de l’Amérique. Les antagonismes entre les deux Amériques de Biden et Trump sont tels qu’ils ont failli plonger les Etats-Unis dans la guerre civile à la suite de l’invasion du Congrès américain en 2020.
A tous ces problèmes, il faut y ajouter le risque de s’embourber en Ukraine, et pour financer la guerre, il lui faudrait accélérer le rythme de la planche à billets de dollars, moment mal venu alors que le dieu dollar est «victime» d’attaques de la dédollarisation. Et comme par un hasard qui n’en est pas un, cette sacrée Chine snobe l’utilisation du dollar dans son commerce international avec ses partenaires des BRICS. Par un effet purement mécanique, tous ces pays participent indirectement à l’affaiblissement du dollar. «Harcelés» par tant de problèmes, l’Oncle Sam cherche à se désengager à bas bruit de l’Ukraine pour s’occuper de ses intérêts dans le Pacifique. Et paradoxe des paradoxes, les Etats-Unis, entrés en guerre contre la Russie par le biais de l’Ukraine, se retrouvent face à la Chine sans avoir pu «régler les comptes» avec la Russie, bien au contraire. L’Oncle Sam comptait sur la «déroute» des Russes en Ukraine qui servirait de «leçon» à la Chine face à Taïwan. Patatras, c’est l’inverse qui se produit, la Chine, qui, jusqu’ici voulait récupérer pacifiquement Taïwan, survole dorénavant cette île et fait des manœuvres militaires dans la mer de Chine.
Ah ! Cette Chine n’en finit pas de perturber le sommeil des Américains ! Avec son potentiel économique en passe de la classer première puissance du monde, la voilà qu’elle affiche ses liens économiques et militaires avec la Russie. Elle est devenue un pôle où se traitent les problèmes politiques du monde. Siège de l’organisation de Shangaï, de forums des BRICS, ses propositions pour un monde multipolaire, la Chine a émis son désir de contribuer à la paix en Ukraine en publiant un «plan» en dix points… Soucieuse d’éviter une guerre qui transformerait la terre en une planète lunaire et glaciaire, elle manifeste son attachement à la paix et sa forte opposition à l’utilisation de l’arme nucléaire. L’intérêt de la Chine pour l’arrêt de la guerre en Ukraine fut saisi au vol par le président Zelensky, pourtant occupé à organiser sa contre-offensive. Il émet publiquement son désir de parler au président Xi Jinping. Ce dernier ne ferma pas la porte à une discussion téléphonique, en disant qu’elle aura lieu quand il y aura des choses sérieuses à discuter. Il faut croire que ces choses sérieuses sont en train de murir puisque le président ukrainien a décroché son téléphone pour appeler son homologue chinois. Sur le contenu de son entretien téléphonique, Zelensky informe le monde que leur discussion fut longue et rationnelle. On peut conclure que ces deux qualificatifs répondent aux choses sérieuses que Xi Jinping avez posés comme une sorte de préalable.
Est-ce que cet événement téléphonique à lui seul peut enclencher une mécanique de la négociation jusqu’à inciter Zelensky à renoncer à sa contre-offensive ? Seuls les naïfs et les journaleux qui ont enterré mille fois l’armée russe peuvent croire à une issue aussi facile et rapide d’une guerre à caractère mondial. Tous les gens imbibés des leçons de la guerre comme celle du célèbre théoricien de la guerre Kar Von Clausewitz pour qui «la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens» savent que la guerre en Ukraine a encore de beaux jours devant elle.
Ouvrons le chapitre de cette contre-offensive pour évaluer d’abord si elle pouvait constituer un tournant de la guerre avec toutes les conséquences que cela impliquerait. Au vu de la situation sur le terrain, les demandes pressantes de l’armement de la part de Zelensky, les réticences de ses alliés à satisfaire ses exigences démesurées, le président ukrainien se satisferait d’une petite «victoire» pour pouvoir occuper un strapontin demain autour de la table de négociation. Outre les problèmes d’armement et la saignée en hommes que les Ukrainiens n’ont pas pu cacher à Bakhmout, les observateurs, dont des Américains bien renseignés, ne croient pas en une possibilité de reconquérir les territoires conquis par les Russes.
Les Ukrainiens donnent l’impression de s’être convertis à la fiction, des mots et des images, adossée à la machine occidentale de la désinformation. Or, l’art de la guerre ne repose pas sur des Zorro mais sur des moyens matériels guidés par une intelligence conceptuelle de la stratégie. Celle-ci implique des hommes formés à toutes les tactiques qu’offre le champ de bataille et la capacité des combattants à pratiquer l’art opératif, c’est-à-dire de livrer bataille qui affaiblisse l’ennemi et aide à la réalisation de l’objectif stratégique. Depuis plusieurs mois, la propagande ukrainienne, reliée par les médias occidentaux ayant perdu toute crédibilité, claironne l’imminence de la contre-offensive reportée chaque fois selon «la direction des vents» qui règne dans l’OTAN. Et ce n’est pas une bombe piégée qui fait dérailler un train ou un drone qui jette une bombe sur des citernes de pétrole provoquant des flammes et des nuages noires et spectaculaires qui vont changer la situation militaire sur le terrain. Que pèsent ces deux bombes quand, en face, l’adversaire balance des missiles sur tout le territoire pour détruire des nœuds de communication et des sièges de commandement des régions tout en livrant bataille à Bakhmout et les villes alentour pour épuiser l’ennemi.
Quelle est la réaction de l’armée russe ? Pendant que les services de propagande ukrainiens tentent de faire patienter leur opinion mais aussi les Etats fournisseurs de matériels de guerre, les Russes se taisent. Car, dans la guerre, la règle absolue c’est le silence radio et de travailler dans l’opacité totale pour désorienter et surprendre l’ennemi. Les observateurs ont remarqué que le travail des Russes ne laisse rien au hasard. Les 800 kilomètres de frontière naturelle du fleuve du Dniepr renforcée par la construction d’une muraille de Chine de notre époque dont les abords sont évidemment minés. Cet immense et futur champ de bataille est sous la protection de la nombreuse et renommée artillerie russe, sans oublier l’aviation qui peut bombarder à 50 km du champ de bataille pour échapper à la défense aérienne. Cette frontière qui traverse deux régions, Kherson et Zaporijjia, a été pensée dans les plans de guerre, et les Russes les ont conquises facilement, l’armée ukrainienne étant occupée à défendre Kiev la capitale fin février début mars 2022.
Et la conquête de ces deux régions n’est pas le fait du hasard. Elles font barrage en protégeant la Crimée. On connait le rêve de Zelensky d’aller se baigner dans la mer Noire et on devine facilement un rêve encore plus «délicieux», celui des Américains dont l’obsession est de chasser les Russes de cette mer qui ouvre les portes de l’Afrique et du Moyen-Orient. Et Zelensky, parlant de son rêve de se baigner dans la mer Noire, déclare à un journal finlandais qu’il va conquérir la Crimée en une seule manœuvre. Hélas, pour lui, la plupart des stratèges militaires pensent que l’armée ukrainienne va se faire tailler en pièces car, sans protection de l’aviation et loin de ses bases logistiques, elle pourrait peut-être faire une brèche dans le mur de défense russe mais n’a aucune chance de s’y maintenir en territoire désormais ennemi.
En vérité, les Ukrainiens ont monté eux-mêmes les enchères avec cette contre-offensive comme ils ont mal calculé leurs coups à Bakhmout pour finir par sacrifier des milliers d’hommes et subir l’amertume de la défaite. A l’évidence, ils n’ont pas les moyens militaires de se lancer dans pareille aventure. Ils sont à l’heure actuelle coincés entre l’abandon de la contre-offensive ou bien l’entreprendre et, quelques jours après, battre en retraite.
Si le terrain de la guerre se dérobe peu à peu sous les pieds du président Zelensky et que le président Biden tient à sa réélection pour éviter le retour de Trump, alors la guerre entre dans une nouvelle phase. D’ores et déjà, le chef d’état-major américain déclare que ni les Etats-Unis ni la Russie ne veulent d’un conflit nucléaire. Les Etats-Unis, on le sait depuis toujours, ne vont pas mourir pour un autre pays, fut-il européen. En tout cas, quelle que soit l’issue de cette contre-offensive que l’on présentait comme foudroyante, on peut constater déjà les effets de ce premier épisode de guerre en Ukraine.
Il y a les sanctions prises par l’Occident contre la Russie. L’économie russe ne s’est pas effondrée ; mieux, elle a incité le pays à fabriquer des produits qu’il importait. Les sanctions de 2014 lui ont offert de développer son agriculture et le hisser aux premiers rangs des exportateurs de céréales et d’engrais. En revanche, le riche Occident connaît une inflation, des usines ferment à cause du prix de l’énergie, des banques américaines, s’il vous plait, sont en faillite. Mais il y a d’autres faillites invisibles, celles-là parce qu’elles relèvent de la vision philosophique du monde et des relations internationales. Enonçons ces faillites parce qu’on les constate sans toujours connaître les mécanismes et l’histoire desdites faillites.
L’Occident découvre la primauté de l’économie réelle sur la technique de la finance. La maîtrise du fonctionnement économique du capitalisme lui échappe avec la mondialisation. Il découvre avec la guerre que les industries privées ne répondent pas aux besoins des armées en guerre alors que les pays qui n’ont pas dévêtu leur Etat de la primauté du politique répondent mieux, et vite, aux besoins de leurs armées. Les agents économiques privés ou étatiques ne font plus confiance aux banques dominées par les Américains. Elles préfèrent déplacer leurs capitaux ailleurs, ce qui se traduit par une baisse de l’utilisation du dollar, d’où le processus de la dédollarisation constaté par le FMI et le fameux Elon Musk, qui ne sait pas quoi faire de ses dollars.
Sur le plan des relations internationales, l’Occident découvre que la guerre en Ukraine n’a pas déclenché d’hystérie chez les trois quarts des populations du monde et qu’il paie cher sa politique des deux poids, deux mesures. J’arrête ici la liste des choses à découvrir. Tous les effets que découvre et qui surprend une catégorie de couches sociales en Occident sont le résultat d’un long processus consistant à détourner le sens des mots pour masquer l’essence des choses, c’est-à-dire la vérité de chaque chose ainsi mal nommée. Et l’effet de ces effets a fait rentrer un type de société dans la logique infernale de pousse-toi pour que je m’y mette, je prends mais je ne veux pas payer. Dit autrement, l’Occident a le droit de faire ce qu’il veut mais trouve choquant, aberrant qu’on imite son comportement. Mais toute chose a une fin comme on dit, alors il est temps de mettre fin à ce monde des illusions que Balzac, grand écrivain français, a décrit d’une façon magistrale. Son roman sur la société du XIXe siècle qu’il voyait émerger et se consolider, on retrouve aujourd’hui ses «fruits» sous la plume de Gramsci dans sa célèbre phrase, «le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres». Et ironie de l’histoire, c’est ce monde balzacien des illusions perdues qui fait appel à la Chine pour l’aider à survivre et à un vieux pape d’origine argentine. Pour information, la Chine était affublée jadis de la lamentable et raciste accusation de «péril jaune». Quant au pape François, il est issu de ces pays qui ont subi la politique insupportable des deux poids, deux mesures…
A. A.
(*) La future mariée qui se fait attendre à la cérémonie du plus beau jour de sa vie.
P.-S. : Au moment où je termine l’écriture de cet article, un communiqué du Kremlin tombe accusant l’Ukraine d’avoir tenté une opération de drone sur le siège de la présidence russe. Les médias qui, d’habitude, inventent des maladies à Poutine, des attentats, des complots en ne croyant pas à leurs propres mensonges, offrent aux téléspectateurs des visages inquiets à la nouvelle de cet attentat et l’engagement des Russes à répondre à cet acte. A l’heure actuelle, personne ne peut prouver ou affirmer les auteurs de pareil acte. C’est le spectacle affligeant et pathétique de ces petits soldats de la désinformation qui confirme qu’ils ne font pas honneur au métier de journaliste dont la fonction est d’aller à la chasse de la vérité et non la cacher et l’abîmer sous des tombereaux de mensonges.
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