Un autre ressortissant algérien assassiné en France : sa mère témoigne
L’assassinat d’un autre Algérien est passé sous les radars des médias français aux ordres, comme l’aurait sans doute été le meurtre du jeune Naël si un témoin de la scène n’avait pas filmé le crime en direct. Rayane Lemmouchi n’était pas un «délinquant» des banlieues. Originaire de Skikda, dans l’est du pays, il était un brillant élève qui a fini chirurgien-dentiste avant d’être agressé et poignardé à mort. Sa mère raconte les circonstances de sa mort tragique. Nous livrons son récit intégralement.
«Je suis Kheira Lemmouchi, maman de Rayane Lemmouchi, assassiné dans la nuit du 20 au 21 mai dernier. Rayane a travaillé sa journée du samedi et le soir comme tous les week-ends, il mange chez sa tante. Cette nuit-là, après manger, il est sorti avec ses deux jeunes cousins pour prendre l’air. Ils étaient assis à discuter, rue de L’égalité. Ils ont été surpris par un groupe d’individus, une dizaine, paraît-il. Ils les auraient encerclés et sans aucun mot, ils ont poignardé mon fils. Nous sommes de Toulouse, Rayane est né dans la ville d’Agen du Lot-et-Garonne. Il a passé son enfance là-bas, puis on est partis nous installer à Toulouse. Il a eu son bac et a fait des études de chirurgie dentaire. Il venait juste d’être diplômé. Au moment du drame, j’étais, en compagnie de mon mari, en Algérie. Deux jours après notre arrivée à Skikda, nous recevons un coup de fil de mon frère lequel était en pleurs et disait : Rayane, Rayane ! Qu’est-ce qu’il a Rayane ? je demandais. Rayane est mort ! me répond-il. Est-ce la moto ? Mon frère me dit non. Il a été assassiné. On avait du mal à y croire. Comme si on était aspirés dans un gouffre. Comme si on se noyait, comme s’il fallait digérer quelque chose non digérable. Pourquoi Rayane a été assassiné ? Il ne sait jamais battu de sa vie. Il n’a jamais été mêlé à des bagarres ou autres. Rayane ne pouvait être assassiné car il ne pouvait être mêlé à une rixe ou autre chose. Ce n’était pas lui. Ce n’est pas sa personnalité, ni sa façon de régler les conflits.
Je pense que ces gens-là avaient parfaitement l’intention de le tuer. Parce que le coup porté à l’artère fémorale n’est pas un coup porté pour faire peur. Quand on sectionne l’artère fémorale, cela veut dire qu’on a l’intention de vider l’individu de son sang en quelques secondes. Il aurait subi la même agression dans un bloc opératoire, il serait mort quand même. Car le but est de vider la personne de son sang, le plus vite possible. Ils ont poignardé Rayane. Il s’est écroulé en quelques secondes. Et ils ont tenté, également, de poignarder le jeune cousin, qui est en terminale, à peine dix-huit ans. Il a pu être sauvé et je ne sais de quelle manière. Dans tous les cas, mon neveu, aussi, a été blessé.
Selon les dires de mes neveux, les assassins ont surgi de nulle part. Ils ont été surpris. Il n’y a pas eu de mot échangé. Cela s’est passé très rapidement et mes neveux, et sans doute mon fils, n’ont pas eu le temps de réagir, ni de comprendre ce qu’il leur arrive. Je n’ai aucune information sur l’enquête. Du coup, nous attendons comme tout le monde. On attend qu’il y ait des arrestations pour qu’on puisse avoir, par le biais de notre avocat, des informations.
Ce que j’attends de la justice ? C’est déjà d’arrêter les assassins, de les condamner et surtout de comprendre pourquoi.
Nous avons eu la mauvaise nouvelle, le samedi soir, on était toujours en Algérie, on n’a pas trouvé de vol le dimanche, du coup, on a dû prendre un vol de Constantine jusqu’à Lyon et de Lyon à Paris. Arrivée à Paris, il était 17h, nous n’avons pas pu voir le corps de notre fils. Nous l’avons vu le lendemain. Nous l’avons vu mort derrière une vitre.
Des rixes inter-quartiers avant ce drame, j’en avais entendu parler. Mais on était à des années lumières. Mon fils a grandi avec deux parents médecins, donc un milieu aisé. Nous habitions toujours dans des maisons spacieuses avec jardins et jamais dans des immeubles. Petit, il a pratiqué différents sports, l’équitation, des arts martiaux. On était loin de ça (des rixes de quartiers, ndlr).
Si vous deviez rencontrer ces gens, que leur diriez-vous ? Je leur dirai pourquoi ? La logique voudrait que, quand on est agressé, on rend le coup à celui qui nous agresse, s’ils ont été agressés par un groupe quelconque. Pourquoi s’en prendre à mon fils et à mes neveux qui étaient à des années lumières de cela ? Ma sœur est chirurgien-dentiste. Son mari, également, est dans le domaine de la santé. Ils ont acheté une maison dans ce quartier en prenant en compte le critère sécuritaire.
Je dirai à leurs parents ce que vous avez fait, ou ce que vous n’avez pas fait, qu’est-ce qui vous a empêché de faire pour donner à la société des individus aussi malfaisants ? Je suis incapable de désigner le responsable de cette violence. Mon esprit est embrouillé par le chagrin et le deuil. Je pose la question plusieurs fois par jour, Rayane ne va pas appeler un moment donné ? (Elle éclate en sanglots).
Nous sommes à un mois de son assassinat et c’est encore confus dans ma tête de mère. J’essaie d’accepter cette absence. D’accepter qu’il n’appellera plus, de ne plus recevoir ses photos, ses films. Rayane était tout le temps connecté avec nous, avec moi, en particulier. A 13h, quand il prenait sa pause, il m’appelait pour qu’on mange ensemble via la cam. Je prenais ma pause, également. Lui depuis Paris, et moi de mon cabinet à Toulouse. Je suis toujours dans l’attente que le téléphone sonne et que ce soit lui au bout du fil.
J’ai fermé mon cabinet pour une durée indéterminée. Je suis psychiatre. Travailler le deuil des autres alors que moi-même je suis engloutie dedans. C’est impossible pour moi. Le père de Rayane est urgentiste. Avec le déficit qu’il y a, mon mari est incapable de reprendre son travail. Notre vie est figée. Elle s’est arrêtée cette nuit-là. On fait ce qu’on peut parce que nous avons d’autres enfants mais aussi pour rester en surface et ne pas sombrer dans la dépression. On s’accroche avec tous les moyens que nous avons, toutes les ressources spirituelles, psychiques et mentales, tout ce qu’on peut saisir comme aide et soutien pour rester à la surface. Mais ce n’est pas une vie ou ce qu’on appelle vivre.
Mon fils est tombé, par ironie du sort ou parce qu’il a toujours été exceptionnel. Est-ce qu’il n’a pas voulu nous renvoyer un message, même à travers sa mort ? Je le reconnais bien, il était coquin et taquin, dans sa mort, il a choisi de mourir au pied de la plaque rue de L’égalité. Est-ce qu’il a essayé de nous renvoyer un message ou bien nous donner une mission à finir ou une correction de quelque chose qui, selon lui, n’allait pas ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, qu’il meurt juste là… Les traces de son sang étaient toujours là. Sous la plaque de la L’égalité et à 20 mètres de la base Vigipirate. A 200 mètres d’un commissariat. A quelques mètres de la maison de sa tante qui était pour lui un havre de paix, d’affection et de tendresse. Pour moi, cette rue ne peut plus s’appeler comme cela. Parce que Rayane n’a pas eu sa chance à cet endroit-là. Mourir de cette façon à cet endroit est comme une trahison à l’égalité des chances et l’égalité des individus.
Qu’est-ce qui m’aiderait à faire le deuil ? Un miracle de Dieu. Que Dieu Puisse me combler de patience et d’attente pour le revoir dans un meilleur monde. Je ne sais pas ce qui pourrait m’aider ; cela dit, je lutte tous les jours et je me sers de toutes mes ressources et de tout ce que j’ai pu dire à mes patients endeuillés.
Il a vécu 25 ans mais maintenant qu’il n’est plus là, je me nourris de son sourire, de ses photos, des petits films qu’il m’envoyait, de ses blagues et taquineries. Je me nourris de sa voix qui est dans ma tête, tous les jours. Rayane était un enfant chéri et adoré. Un enfant qui a reçu énormément d’affection et comme je l’ai dit lors de mon discours de la marche, c’est un gamin qui a accepté d’être aimé, qui s’est imprégné de cet amour et qu’il a su le donner. J’ai reçu des centaines de témoignages de personnes qui le connaissent et même et de ceux qui ne le connaissent pas. Nous avons eu des témoignages du Portugal, où il a fait ses études, de la Réunion. Et je crois que je n’exagère en rien en disant que nous avons perdu un enfant exceptionnel, la société a perdu un individu exceptionnel et que le corps des chirurgiens-dentistes a perdu un chirurgien-dentiste talentueux, humain et particulièrement exceptionnel. Au passage, je déplore que le corps des chirurgiens-dentistes national n’a même pas fait un communiqué ni adressé ses condoléances à moi ou à sa tante qui est elle-même chirurgien-dentiste depuis plus de vingt ans. Le décès de Rayane ne peut être un fait divers. Parce que Rayane n’a pris aucun risque, n’a jamais consommé de drogue, ne fume pas, était sportif et avait la maîtrise des arts martiaux. Il aurait pu cent fois, si c’était une bagarre à la loyale, se défendre ; seulement, il était à des années lumières de savoir qu’il puisse exister des gens aussi malfaisants.
Aucune famille, aujourd’hui, ne peut se sentir épargnée, ou loin du risque. Alors, pour tous les Rayane qui sont chez eux, autour de la table avec leurs parents, je dis aux parents de ne pas se sentir en sécurité ou loin de cette histoire. Je voudrais qu’ils s’impliquent davantage dans une prise de conscience collective et que cette violence ne peut pas durer.»
Les parents de Rayane attendent toujours que la lumière soit faite sur cet assassinat. Nous formulons, quant à nous, le vœu qu’ils ne subissent pas le sort des parents de la quinzaine d’Algériens originaires de Khenchela, tués à Marseille et dont nous n’avons toujours pas eu les informations promises par l’ancien ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, lors de son déplacement à Alger, sur les tenants et les aboutissants de ce feuilleton macabre.
AP
Comment (32)