Interview – Jacob Cohen : «Israël a signé des paix illusoires avec les Arabes»
Le penseur antisioniste Jacob Cohen est convaincu qu’«avec le messianisme qui se développe, on ne voit pas comment Israël pourra se maintenir sans des conflagrations internes qui mèneront à son éclatement». Il relève, dans cette interview à notre site, que les pays occidentaux «ont une peur bleue» de l’entité sioniste et que, par ailleurs, en France, «avec Macron, c’est la veulerie et la soumission à tous les étages».
Algeriepatriotique : Que faut-il retenir de la situation chaotique qui prévaut au Proche-Orient actuellement ?
Jacob Cohen : Qu’il n’y a pas de possibilité de coexistence pacifique avec le régime sioniste. L’alternative c’est le vaincre ou se soumettre. L’ADN de ce régime c’est le racisme, l’apartheid, la tromperie, la domination. Les dernières normalisations avec quelques monarchies arabes se sont faites sur la base d’une acceptation de fait des territoires conquis et annexés dont Al-Qods et le Golan, et de l’abandon d’un Etat palestinien viable. Même si l’Arabie Saoudite devait aboutir à un accord avec Israël, ce sera sur ces bases-là. C’est la mise en œuvre d’une «pax israelana» aux conditions du vainqueur.
Que signifie la valse des principaux chefs d’Etat américain, allemand, britannique, etc., en Israël ? Est-ce vraiment pour apporter leur soutien au régime de Tel-Aviv comme le disent les médias occidentaux, ou pour demander à Netanyahou en off de mettre fin à sa «contre-offensive» sanglante à Gaza, selon vous ?
Ces pays sont allés en Israël pour exprimer leur soutien total, absolu, inconditionnel, au régime de Tel-Aviv, et pour lui donner un blanc-seing pour toutes les actions qu’il juge utile de mener, même des bombardements massifs, des coupures d’eau et d’électricité, des privations de nourriture et de médicaments. S’agissant du régime sioniste, toutes les lois internationales sont mises entre parenthèses. Il n’y a plus de droit de la guerre, de convention de Genève, de crimes contre l’humanité. C’est open bar. Aucun de ces dirigeants n’aurait osé affronter la sainte colère d’un régime qui crie vengeance.
Une propagande de guerre s’est mise en place dès après l’attaque du Hamas sur Israël. Pouvez-vous nous décrire la situation réelle qui prévaut au Proche-Orient actuellement ?
Le plan israélien de bombardements ininterrompus avec blocus total sur la nourriture, l’eau, les médicaments et, in fine, un nettoyage ethnique de la ville de Gaza et de ses environs avant un assaut terrestre nécessairement définitif, ce plan semble avoir du plomb dans l’aile. Le blocus n’est plus hermétique. Des pays européens comme l’Espagne ne tolèrent plus ce carnage. Et l’envahissement terrestre tarde à venir. Difficile de faire un pronostic, et dans le Nord les échanges avec le Hezbollah sont durs, mais à un niveau restreint. On peut se demander pour quelle raison les Américains ont envoyé une flotte de guerre considérable dans la région. Seraient-ils tentés par une guerre préventive avec l’Iran ? Il n’y a rien de rationnel dans tout ça, et c’est ce qui fait peur.
Quelle lecture faites-vous de l’attaque d’envergure menée par les résistants palestiniens, une première depuis la guerre d’octobre en 1973 ?
Aucun observateur ne l’aurait imaginé, et encore moins les Israéliens. Tant d’audace, de timing, des cibles, du renseignement préalable, du secret dans la préparation. C’est un coup très dur porté au sentiment de sécurité et d’invincibilité des Israéliens. C’est aussi un mythe bien ancré chez eux des aspects primaire et anarchique chez les Arabes qui tombe à l’eau. Ils n’auraient jamais imaginé que les Arabes oseraient les attaquer dans leur citadelle. Eh bien ils ont osé, et on a vu dans quel état de panique ils se sont retrouvés. Je crois que cela les marquera à l’avenir, malheureusement dans le sens où ils vont se défouler comme ils le font à Gaza.
Israël a-t-il été surpris par l’offensive du Hamas ou a-t-il, comme le disent certains, laissé faire pour justifier une invasion terrestre et une occupation de Gaza ?
Un fait est établi, en tout cas. Ils ont mis volontairement cinq heures pour réagir. Il pourrait s’agir d’une grossière erreur d’appréciation. Pour un esprit israélien, habitué à mépriser les Arabes et à leur taper dessus selon son caprice, c’était tout simplement inconcevable. Si on suit ce raisonnement, l’establishment sioniste aurait laissé faire plus pour ressouder le front intérieur – on se dirigeait quasiment vers la guerre civile – que pour envahir Gaza. Israël a eu maintes occasions pour le faire auparavant. Mais la découverte de gisements de gaz au large de Gaza et leur exploitation commune par l’Egypte, l’Autorité palestinienne et Israël aurait pu modifier les plans israéliens.
Comment voyez-vous la suite des événements ? Allons-nous vers l’escalade ou les deux parties l’éviteront-elle dans les jours à venir, selon vous ?
A moins de réussir à faire le vide à Gaza, on reviendrait au statu quo ante. Il ne faut pas oublier que le Hamas est à Gaza par la volonté d’Israël et sert objectivement ses intérêts. D’abord, ce qui reste de la Palestine est divisé en deux parties antagonistes. Ensuite, c’est un épouvantail agité devant l’Autorité palestinienne : si elle ne compose pas, on laissera le Hamas la renverser. Et, enfin, le régime sioniste, qui vit sur le pied de guerre et veut maintenir sa population dans un état de tension tel que la paix lui semble irréalisable, a besoin de cet ennemi irréductible et implacable. On laissera alors le Hamas se refaire une santé jusqu’à la prochaine confrontation.
Comment jugez-vous l’alignement zélé de l’Occident sur les thèses israéliennes ?
L’Occident a toujours protégé Israël, depuis sa création. Sentiment de culpabilité d’une part et rôle de chien de garde de l’autre. Jamais, au grand jamais, Israël n’a été menacé de sanctions, quoi qu’il fasse. A la différence de la Russie tout de même. Tous les discours sur la solution à deux Etats ou sur l’illégalité de l’occupation et de la colonisation sont de la poudre aux yeux destinés aux Arabes en général et aux Palestiniens en particulier. L’Occident a peut-être aussi une peur bleue devant cet Etat voyou qui fait balader une centaine d’ogives nucléaires dans ses sous-marins et qui serait capable de les envoyer si on mettait sa suprématie en cause.
Comme vous l’avez rappelé, les Etats-Unis ont envoyé un porte-avions vers l’est de la Méditerranée. Jusqu’où ira Washington dans son appui politique et logistique au régime de Tel-Aviv, d’après vous ?
Les Etats-Unis iront jusqu’au bout dans leur appui tous azimuts au régime sioniste. Mais ce dernier en aura-t-il réellement besoin si on reste à un conflit limité à ses deux bêtes noires : le Hamas et le Hezbollah ? Il est difficile d’imaginer que les Etats-Unis et Israël tenteront le grand saut dans l’inconnu en provoquant l’Iran. Ce qui aurait justifié cette présence navale impressionnante en Méditerranée. On peut raisonnablement penser que c’est une gesticulation, comme le voyage de Biden en Israël. Mais on peut aussi penser que les Occidentaux ont vu leur protégé réellement vaciller de l’intérieur et se précipiter pour le rassurer et se rassurer soi-même.
Si d’aventure nous utilisions le mot «résistants» en France pour décrire les combattants palestiniens, nous serions passibles de prison. Comment expliquez-vous cette frilosité du pouvoir français ?
Depuis Sarkozy, la France s’est dépouillée de ce qu’il lui restait de particularisme, d’indépendance, d’impertinence. Avec Macron, c’est la veulerie et la soumission à tous les étages. Il a bradé à ses maîtres américains ce qui restait de fleurons industriels français. Rien n’est trop beau pour défendre Israël et pourchasser ceux qui oseraient le critiquer. Au mépris de toutes les règles de droit acquises depuis des siècles. Manifester est devenu interdit. Le ministre de l’Intérieur avertit que toucher à un juif conduirait à de terribles représailles. Et les principes de laïcité et d’égalité ? Une sénatrice a demandé que Karim Benzema soit déchu de sa nationalité française pour avoir exprimé sa sollicitude avec les femmes et les enfants bombardés à Gaza. C’est un signe de plus que la France a perdu la tête. C’est un pays qui va à la dérive.
Des rabbins comme David Weiser et des penseurs juifs prédisent une fin proche d’Israël. Qu’en pensez-vous ?
J’ai souvent pensé qu’Israël est un colosse aux pieds d’argile. D’abord, c’est un pays qui ne peut pas vivre en paix – une vraie paix comme entre la France et l’Allemagne – avec ses voisins. Il contient le militarisme et le suprémacisme dans son ADN. Même les paix qu’il a signées sont illusoires. Demandez aux Egyptiens et aux Jordaniens. Jusqu’à quand cet Etat pourra se maintenir dans une région qui le vomit ? Ensuite, il y a les paramètres internes. Israël est un puzzle de six ou sept communautés viscéralement différentes et antagonistes. On en a vu une illustration politique. Mais il y a deux semaines, il y avait une fête religieuse et pour la première fois des laïcs ont empêché manu militari des religieux de prier à Tel-Aviv. Il y aurait aujourd’hui des milices type SA nazis qui traquent, non seulement les Palestiniens et les Arabes israéliens, mais les juifs qui penseraient mal. Et avec le messianisme qui se développe, on ne voit pas comment ce pays pourra se maintenir sans des conflagrations internes qui mèneront à son éclatement.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et Karim B.
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