Complicité de génocide à Gaza : du fascisme de masse au fascisme d’élites
Une contribution de Youcef Benzatat – «Le droit international est bafoué, les infrastructures civiles sont bombardées, des armes explosives sont utilisées dans des zones densément peuplées et les travailleurs humanitaires sont pris pour cible. Le droit de la guerre n’est pas optionnel. La protection des civils et des infrastructures civiles n’est pas négociable. Ceux qui trahissent ces règles devront rendre des comptes devant la justice internationale […]. Le droit international humanitaire est cette ligne qui sépare la barbarie de notre humanité commune […]. Il est urgent que soit garantie la mise en œuvre sans entrave de l’aide européenne à destination de la population.»
Ne nous leurrons pas, il ne s’agit pas de Gaza. Cette indignation et ces graves accusations sont la réaction spontanée du président français, Emmanuel Macron, au largage de deux bombes «superpuissantes» sur Marioupol, lors du premier Forum humanitaire européen, organisé à Bruxelles, à l’occasion de l’opération spéciale russe contre les néonazis ukrainiens, le 22 mars 2022. Sitôt dit, sitôt fait. Vladimir Poutine fut condamné par la «justice» internationale et l’aide de toute sorte à l’Ukraine, y compris militaire, s’est mise à affluer et à se déverser en masse sur ce pays, dont les autorités s’étaient pourtant rendu coupables de crimes de guerre contre les populations russophones du Donbass depuis 2014, qui sont passés sous silence, aussi bien par les chancelleries occidentales que par leurs médias.
Alors qu’Israël a largué depuis le 7 octobre à ce jour plus de bombes sur Gaza que n’a reçu Berlin et Dresde réunies pendant la Seconde Guerre mondiale. Des bombes plus puissantes encore que celles qui ont été larguées sur Marioupol. Pire, il s’agit, parmi elles, de bombes au phosphore, interdites pourtant par le droit international en ses conventions de la guerre. Des bombardements qui ont fait près de 15 000 morts, dont près de 5 000 enfants et 4 000 femmes, et près de 35 000 blessés. Ces bombes sont accouplées à une artillerie lourde, aussi bien de terre que de mer, dans un flux ininterrompu, de jour comme de nuit.
Encore qu’il ne s’agit pas seulement d’une zone densément peuplée, mais de la zone la plus densément peuplée au monde, où sont incarcérés deux millions et demi de personnes dans une prison à ciel ouvert, depuis dix-sept ans. Une zone qui a été coupée du monde et de tout moyen de subsistance, électricité, nourriture, eau, communication, où les travailleurs humanitaires et les rares journalistes qui s’y sont aventurés sont pris pour cible. Les hôpitaux, les écoles, les lieux de culte et tout édifice debout est pilonné systématiquement par les bombardements. Rendant impossible à préciser le décompte des morts et des blessés, du fait que de très nombreux cadavres sont inaccessibles sous les décombres.
Pas seulement que ce génocide – car il s’agit bien d’un génocide au regard du droit international et de toute personne sincère et douée d’une moindre sensibilité humaine, mais l’un des génocides les plus cruels que l’humanité avait subi – n’ait été accompagné d’une indignation ni d’une quelconque accusation, comme ce fut le cas pour l’Ukraine, le comble est que les chancelleries occidentales avaient spontanément offert leurs services d’aide militaire et d’expertise de la guerre aux génocidaires eux-mêmes, en l’occurrence l’Etat criminel et terroriste d’Israël. Cette attitude fascisante des chancelleries occidentales fut aussitôt accompagnée d’une inversion sémantique, pour justifier l’absence d’indignation et d’accusation des auteurs de ce génocide, en qualifiant la victime, c’est-à-dire la résistance palestinienne à l’occupation coloniale israélienne, de terrorisme et en accordant au coupable, l’Etat d’Israël, la posture de victime, en légitimant ainsi l’accomplissement de son acte génocidaire comme un droit à se défendre.
Mais cette rhétorique des chancelleries occidentales a été rejetée à l’unanimité par leurs propres populations, qui ont exigé le cessez-le-feu immédiatement et la traduction des génocidaires devant la justice internationale. Malgré leur propagande intempestive sous ce signe de l’inversion sémantique par des médias sous pression financière, l’indignation de leurs populations devant ce cruel génocide a été inconsolable, atteignant par endroits la rupture, qui pourrait basculer dans la violence à terme. Quant aux médias, plus personne ne les croit, allant jusqu’à les ridiculiser dans des publications sur les réseaux sociaux, y compris sur des pancartes brandies lors des manifestations de dénonciation de ce génocide.
Sous la pression de leurs populations, les chancelleries occidentales, qui ont, dans un premier temps, été tentés par la répression, en interdisant les manifestations et en sévissant contre les journalistes, les artistes et les sportifs récalcitrants, ont été contraintes de modérer leur position et d’appeler, conventionnellement, à un cessez-le-feu, sans état d’âme ni conviction. C’est dire que leur solidarité inconditionnelle avec les génocidaires est restée inébranlable malgré la pression populaire et se mesure à leur fuite en avant dans leur conception fascisante du droit international.
Nous sommes face à une mutation du fascisme. Contrairement aux mouvements fascistes d’entre les deux guerres, qui recueillaient l’adhésion des masses populaires, comme ce fut le cas en Allemagne, le fascisme d’aujourd’hui est propre aux élites occidentales contre l’opinion de leurs propres peuples, qui rejettent leurs dérives du droit humanitaire et leur violation effrontée du droit international. Cette situation était déjà en gestation pendant la guerre du Vietnam. Elle s’affirme aujourd’hui avec force et conviction, par la dénonciation de ce nouveau fascisme des élites qui menace leur propre quiétude et celui de l’humanité entière.
Cette mutation du fascisme de masse au fascisme des élites crée une situation critique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. C’est un véritable bras de fer qui s’est engagé entre les masses populaires occidentales et leurs élites. L’impasse de la crise structurelle, économique et sociale, qui affecte les pays occidentaux depuis quelques décennies, s’est traduite conséquemment par une crise des valeurs humanitaires, poussant les élites à toutes sortes de transgressions des valeurs civilisationnelles qui les caractérisent, pour atténuer la crise et maintenir un certain équilibre de la paix sociale. Allant jusqu’à détruire des pays entiers et assassiner leurs représentants – Libye, Irak et Syrie.
Avec la prise de conscience des masses populaires occidentales de cette dérive, une crise de confiance entre les peuples occidentaux et leurs élites s’est installée durablement. La bataille du «Déluge d’Al-Aqsa» en était le catalyseur et de son issue dépendra la stabilité du monde ou l’entrée dans une période de troubles, dont il est incertain de prédire l’issue.
Y. B.
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