Pourquoi une alliance Maroc-Mali et pays du Sahel ne peut pas être crédible
Une contribution de M. Boumaza – Il est bien curieux que, de tous les pays africains de la région, notamment bordant le littoral atlantique, le choix du partenaire malien se soit arrêté sur le Maroc, qui plus est ne partage de frontière avec aucun Etat du Sahel. Le Sahara Occidental, rappelons-le, est un territoire en cours de décolonisation et est inscrit en tant que tel dans les instances onusiennes. Par ailleurs, la Cour internationale de justice (CIJ) a statué formellement que ce dernier est un territoire distinct du Maroc, préfigurant tôt ou tard l’indépendance de ce pays, dernière colonie d’Afrique, en guerre actuellement contre l’occupant.
Ceci étant dit, quels atouts, avantages ou encore caractéristiques doit présenter un Etat pour jouer un quelconque rôle sur la scène internationale ou régionale ? A l’évidence, il doit avant tout être indépendant politiquement et donc diplomatiquement, économiquement et financièrement.
Nous ne nous attarderons par sur l’aspect financier, la dette extérieure du royaume ayant atteint des seuils alarmants, celui-ci vivant du reste de la charité, pour ne pas dire plus, des institutions internationales et des pays tiers, en premier chef du Golfe – Emirats arabes Unis, notamment.
Pour ce qui est de l’économie du royaume, prenons l’exemple de Maroc Télécom qui n’a de marocain que le nom car l’actionnaire majoritaire est émirati après avoir été celui de Vivendi ; la plupart des banques sont sous le contrôle d’actionnaires étrangers – France notamment, Grande-Bretagne, pétromonarchies du Golfe, etc. ; quant à l’OCP, qui a été créé par l’occupation française, nous émettons de fortes réserves sur le véritable propriétaire de cette entreprise, dont l’Etat (c’est-à-dire le roi) serait l’actionnaire majoritaire. Il nous semble en effet peu probable que la France consente à céder son bien sans y avoir été obligée au prix d’une lutte armée.
Mais ce qui nous importe en tant qu’Africains (panafricains notamment) et qui est bien plus grave, c’est qu’au plan politique, le royaume est en réalité lié à la France par les accords de La Celle-Saint-Cloud du 6 novembre 1955 – soit un an presque jour pour jour après le déclenchement de la guerre d’Algérie –, qui prévoyait l’accession du Maroc au «statut d’Etat indépendant, uni à la France par les liens permanents d’une interdépendance librement consentie et définie.» Ce qui signifie, en langage clair, que le royaume est et restera le vassal de la France ad vitam aeternam.
Or, les accords et traités entre Etats sont au-dessus de toutes les lois et règlements des pays concernés et, par conséquent, intouchables, pour ne pas dire «chose sacrée», car elles garantissent la pérennité et la stabilité dans les relations internationales.
Aussi les autorités maliennes démontrent un certain amateurisme en décrétant unilatéralement se retirer des Accords d’Alger, considérant que ces derniers ont été signés «dans un moment de faiblesse».
Tout d’abord, il ne nous semble pas que le gouvernement algérien ait exercé un quelconque chantage ou pression pour amener manu militari les parties au conflit autour de la table de négociations. Ensuite, comme leur nom ne l’indique pas, ces accords ont été signés sous l’égide des Nations unies, ce qui leur confère un caractère international et engage donc toute la communauté internationale.
En outre, que deviendraient les relations internationales si les Etats qui se sentiraient, à tort ou à raison, lésés par des accords ou traités qu’ils ont d’une manière ou d’une autre signés ? L’Allemagne, pourrait par exemple revenir sur les traités qui l’ont amputée de l’Alsace et de la Lorraine, autrefois territoires allemands, ou encore la France sur les Accords d’Evian, etc.
Qu’est-ce que tout cela indique ? Il y a toutes les apparences que les jeunes autorités maliennes ont été l’objet de jeux d’influences et en cela ont fait preuve d’une grave et impardonnable naïveté, les éloignant de l’esprit des accords d’Alger, c’est-à-dire ramener la paix, une paix totale, pérenne et définitive entre toutes parties au sein de la grande famille malienne.
Ou encore – mais nous n’osons y croire –, les autorités maliennes préparent un rapprochement détourné vers l’ancienne puissance coloniale, car comment expliquer cette «alliance» avec l’éternel vassal et le Tchad, agent régional de la Françafrique, pays comptant les bases et le contingents étrangers les plus importants de tout le Sahel ? Ainsi, l’action du Mali aura pour effet d’enfermer les pays du Sahel entre deux sous-traitants de l’impérialisme occidental à l’est et à l’ouest, et de faire ainsi entrer le loup dans la bergerie.
D’ailleurs, ce brusque retournement a surpris, voire choqué la majorité des Algériens qui n’y voient, comme nous l’avons rapporté dans une précédente contribution, qu’une autre trahison après celle des anciennes autorités.
Car l’Algérie, dans ce dossier où elle a déployé toute son énergie et tout son arsenal diplomatique et où elle a engagé son nom et sa crédibilité, n’a fait autre chose qu’appliquer les solutions qu’elle s’était elle-même appliquées dans les mêmes conditions au moment où le terrorisme la terrassait dans l’indifférence totale de la communauté internationale, Mali compris. Ainsi, c’est en connaissance de cause et avec le recul de l’expérience qu’elle peut affirmer avec conviction et certitude, que nulle autre solution n’est possible en dehors de la réconciliation nationale.
De même, l’Algérie recommande vivement d’éviter de prolonger les périodes de transition politique, car des mouvements pro-impérialistes surferont sur les vagues de protestations, inévitables dans ces moments de difficultés, notamment économiques et donc sociales, comme cela s’est vu au Soudan, en Tunisie, etc.
D’ailleurs, la France, durant la période du Hirak algérien, demandait, c’est-à-dire exigeait, une période de transition, certainement pour se donner le temps de placer ses pions dans le prochain gouvernement, adoubé par ses soins pour l’occasion. Inutile de dire que nous avons, peuple et gouvernement, décliné l’offre et évité de suivre ce conseil. Nous nous sommes empressés d’organiser des élections pour consolider nos institutions et ainsi protéger la nation.
Une chose encore concernant le rôle de l’Algérie dans la région, qui doit être sue de tous et que le gouvernement algérien, tenu par sa tradition de discrétion, loin des effets de manche et autres fanfaronnades, et dont il ne consentira à se prévaloir et à parader – à l’instar de l’effacement de la dette sans contrepartie de nombreux pays africains : c’est l’Algérie et son action qui protège le Sahel de toute agression extérieure. Non, ce n’est pas la Russie, avec toute la considération que nous avons pour notre allié de toute heure, et encore moins la poignée de combattants de Wagner qui a contraint la France à partir du Mali, d’abord, puis du Niger.
Du reste, les deux alliés traditionnels sont sur la même ligne concernant le Sahel. Car par où pense-t-on que l’armement, de quelque origine qu’il soit, puisse passer, les pays limitrophes faisant partie de la CEDEAO et donc hostiles aux nouvelles autorités ?
Ce qui a contraint la France à quitter les pays limitrophes, c’est la fermeture de l’espace aérien aux avions militaires français, rendant les interventions sinon impossibles, du moins beaucoup trop coûteuses et intenables dans la durée, car devant contourner l’immense territoire algérien. Mais aussi les mises en garde, pour ne pas dire les menaces à peine voilées de l’Algérie contre toute intervention étrangère qui risquerait de nuire à la sécurité et la stabilité de la région, celles-ci impactant de facto la sienne.
Nous nous permettons de revenir sur les liens, évoqués dans la même contribution citée plus haut, entre les services secrets marocains et des groupes terroristes activant dans le Sahel. Or, à notre grande surprise, nous avons constaté que l’article pris en exemple n’est plus disponible sur le net. Il existe toutefois d’autres articles traitant du sujet qu’il sera loisible de consulter en tapant «Maroc Mujao», par exemple.
Quoiqu’il en soit, nos frères du Mali sont libres de choisir les alliés qui leur conviennent. L’Algérie n’a pas de tradition d’ingérence et n’a pas l’intention de déroger à cette position de principe immuable, quand bien même cette alliance se fait à son détriment, du moment qu’elle ne touche pas à sa sécurité.
D’ailleurs, nous comprenons que le Mali puisse rechercher d’autres partenaires, cela est dans son bon droit, même si nous pensons qu’il aurait pu mieux choisir qu’un allié inféodé à l’impérialisme. Le Mali aurait pu, par exemple, conclure un partenariat avec les autorités du Sahara Occidental, notamment pour un accès direct à l’Atlantique, d’autant que ce pays ne sera pas tenté d’exercer ensuite des chantages et des pressions, comme l’est accoutumé le royaume marocain.
Pour cela, le Mali, ainsi que les autres pays du Sahel, comme ceux de l’UA, devraient appuyer de tout leur poids pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination, devant aboutir à une indépendance pleine et entière du peuple sahraoui, seule solution acceptable. Car rien n’est plus misérable et méprisable que d’entendre parler de «solution mutuellement acceptable». La seule chose qui soit acceptable, c’est l’autodétermination et l’indépendance du peuple sahraoui.
Après s’être vu massacrés, spoliés, volés, violés, les Sahraoui(e)s, veut-on encore faire cohabiter ce peuple meurtri avec leurs violeurs, leurs tortionnaires sur des terres qui leur ont toujours appartenu ? Leur demander cela est absolument odieux.
Qu’on n’essaie pas de nous leurrer en arguant et en nous opposant les investissements du Makhzen au Sahara Occidental occupé. Des investissements dont les dividendes sont perçus par qui tout le monde sait et ne bénéficient pas même aux sujets du roi. Quant aux Sahraouis, pensez donc !
Du reste, avec ces richesses volées, les Sahraouis auraient sans doute fait mieux, beaucoup mieux, et cela leur aurait profité non seulement à eux mais à toute la région, voire tout le continent.
M. B.
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