L’Américain Christopher Ross dit sur les Marocains ce que «personne n’ose dire»
Par Nabil D. – Pendant qu’un club marocain continue d’évoluer impunément avec un maillot arborant une carte fictive rognant les territoires sahraouis, l’ancien envoyé spécial des Nations unies pour le Sahara Occidental, Christopher Ross, continue, lui, de faire des révélations sur le sabotage du processus onusien pour le règlement du dossier d’une des deux dernières colonies dans le monde. «Depuis 2007, lorsque le Maroc et le Polisario ont posé leurs propositions sur la table des négociations, les envoyés personnels avaient la tâche de faciliter les négociations directes. Mon prédécesseur, le Néerlandais Peter Van Walsum, a fait quatre sessions de face-à-face, j’en ai fait neuf, mon successeur allemand Horst Köhler en a fait deux et, maintenant, le successeur du successeur, Staffan de Mistura, est en train de voir ce qu’il peut faire», a énuméré le diplomate américain. «Quinze rounds, quinze sessions de face-à-face entre le Polisario et le Maroc sans résultat, aucun résultat», a-t-il déploré.
«Il est clair et évident, mais personne n’ose le dire et personne n’ose agir en fonction, que les Marocains ne veulent pas négocier», a asséné Christopher Ross, qui explique que le Makhzen est «beaucoup plus confortable avec le statut quo qui [lui] permet de créer des conditions sur le terrain et d’essayer de faire oublier le dossier au niveau de la communauté internationale». «Quelle a été leur [les Marocains] tactique tout au long de ces sessions de négociations ? Ils arrivent et tout de suite disent nous sommes là pour discuter de notre proposition d’autonomie, c’est ce qu’il y a sur la table ! Le Polisario leur dit non, il y a deux propositions sur la table, il y a la nôtre qui prévoit un référendum avec possibilité d’indépendance et la vôtre, alors discutons des deux propositions !», a-t-il dit, dans un entretien à la Télévision publique algérienne. Il a expliqué que la réponse du Maroc a toujours été négative et que ce pays a toujours fait du chantage en voulant imposer son plan d’autonomie. «A ce moment-là, le Polisario est obligé de dire qu’à ces conditions-là, on ne peut pas aller plus loin», a-t-il renchéri.
Christopher Ross a répondu aux Marocains dans une mise au point dans laquelle il a expliqué au régime monarchique de Rabat, sans s’embarrasser de circonlocutions, que son rôle de facilitateur lui imposait une «neutralité absolue». «Jamais une seule fois en huit ans je n’ai épousé une proposition spécifique malgré la forte pression du Maroc pour plaider en faveur de l’autonomie sous souveraineté marocaine», a écrit l’ancien envoyé spécial des Nations unies au Sahara Occidental. «J’ai plaidé en faveur d’une solution politique telle que prévue dans les résolutions du Conseil de sécurité», a précisé Christopher Ross, en expliquant qu’il n’a «jamais défini» la forme que devait prendre l’autodétermination et en défiant les «Marocains de citer une quelconque déclaration» qu’il aurait faite pendant huit ans en faveur d’un référendum. «Je croyais fermement que les modalités de l’autodétermination devraient être abordées dans les négociations entre les parties [au conflit]», a-t-il souligné.
«L’ambassadeur [Omar] Hilale m’a un jour publiquement qualifié de meilleur avocat que l’Algérie n’ait jamais eu. Dans votre dernier article […], vous l’avez surpassé non seulement en répétant son bon mot, mais aussi en me traitant d’affilié à la junte sans foi ni loi en Algérie et en me taxant d’être incroyablement hostile au Maroc», a réagi le diplomate américain, pour lequel «ces tentatives de diffamation méritent une réponse que l’éthique journalistique exige que vous publiiez».
«J’ai œuvré comme envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara Occidental pendant huit ans. Ma mission, telle que définie dans les résolutions successives du Conseil de sécurité, était de faciliter des négociations directes entre le Maroc et le Front Polisario en vue de parvenir à une solution politique mutuellement acceptable, qui pourvoie à l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental. A cette fin, les deux parties avaient présenté leurs propositions en avril 2007», a développé Christopher Ross.
«A chacune de mes visites en Algérie au cours de ces huit années, j’ai demandé au président Bouteflika de m’aider dans ma mission. Sa réponse était invariablement que l’Algérie soutiendrait toute décision du Polisario, mais que, selon lui, tout règlement impliquerait un référendum, comme cela a été le cas pour l’Algérie elle-même», a-t-il révélé, en ajoutant que «le Maroc était clairement déçu que l’Algérie ne puisse pas être amenée à faire davantage pour promouvoir un règlement à son goût». «En tant qu’Etat souverain, il a maintenu sa position», a-t-il soutenu, dans sa réponse.
«Ce fut le premier élément du mécontentement du Maroc à mon égard. Au fil des années et en me voyant répéter sans cesse ma déclaration de mission telle qu’elle était énoncée dans les résolutions du Conseil de sécurité, le Maroc a déploré que je n’abandonnerais jamais ma neutralité pour donner à sa proposition la prééminence qu’il recherchait», a fait remarquer Christopher Ross. «Il semble, a-t-il renchéri, que le Maroc a voulu appliquer le principe selon lequel, si je n’étais pas avec lui, je devais forcément être contre».
«Cela me peine que le gouvernement marocain et certains médias marocains me considèrent comme hostile parce que ma neutralité en tant que facilitateur m’a empêché de promouvoir la position du Maroc. Mais tant pis. C’est la vie», a conclu, ironique, l’ancien envoyé spécial de l’ONU au Sahara Occidental.
N. D.
Comment (13)