Fièvre complotiste
Par Khider Mesloub – A l’ère du désenchantement de la bourgeoisie française provoqué par le déclassement de son économie et le délitement de ses institutions, les journalistes organiques de l’Hexagone sont également désemparés devant la récurrence des révoltes insurrectionnelles, qui reviennent en boucle aussi bien en Métropole que dans les colonies : Mayotte, Guadeloupe, Nouvelle-Calédonie.
Dopés aux séries policières très en vogue ces dernières décennies, les journalistes tricolores et leurs commanditaires, les gouvernants français, confrontés à l’énième révolte urbaine en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, sont réduits à dégainer leur fumeuse théorie du complot pour rendre compte de ce mouvement insurrectionnel. Les insurgés kanaks sont accusés par le gouvernement français d’être manipulés par des puissances étrangères, notamment l’Azerbaïdjan, la Russie et la Chine. Les étudiants de Science Po, soulevés pour dénoncer le génocide des Palestiniens, sont également accusés d’être manœuvrés par l’Iran.
La France décadente vient de nous offrir l’exemple du traitement différentiel de l’actualité saisie de manière policière par l’ensemble des médias mainstream et par le régime aux abois de la macronie. L’arme de la théorie du complot a été de nouveau abondamment déployée en guise d’explication de la révolte insurrectionnelle des Kanaks et du mouvement de contestation estudiantin contre le génocide des Palestiniens. Ainsi, les médias officiels français participent à leur manière à la propagation de la théorie complotiste, du complotisme.
Or, le complotisme se niche dans les instances gouvernementales, au sein des classes dirigeantes et des différentes fractions du capital, habituées aux tractations opaques et à la diplomatie secrète. En effet, le complot, le secret, le manque de transparence en vue du renforcement du pouvoir font partie du mode de vie des classes dominantes depuis la division de la société en classes. Aussi se livrent-elles à des projections quand elles brandissent cette arme contre le peuple prolétarien ou estudiantin en lutte. Jeter l’opprobre sur le peuple à l’offensive est l’apanage des classes régnantes en sursis.
Appréhender l’information au moindre effort réflexif et stigmatiser sournoisement les protestataires en lutte sont devenus les occupations principales des journalistes stipendiés français en perte de crédibilité et de légitimité. Chaussés de leurs lunettes médiatiques à courtes vues, ces journalistes, affublés de leur narration gouvernementale affabulatrice, nous livrent dorénavant leurs fictions gouvernementales en guise d’information. Ou leurs mixtions informationnelles sionistes en manière de journalisme.
Ces dernières années, mus par une paresse intellectuelle constamment en activité, les journalistes organiques français à la pauvreté analytique abyssale usent et abusent de leur arme favorite conspirationniste pour relater l’actualité.
Ces journalistes de terrain servant avec entrain la loi d’airain du capital occidental, embusqués derrière leur écran d’ordinateur comme des espions en service commandé, se cantonnent et se contentent de scruter l’actualité avec leurs libérales lunettes aux verres déformants, formant une vision tronquée et truquée du monde.
A leurs yeux candides et leur esprit perfide, le peuple prolétarien ou estudiantin, perçu comme une masse moutonnière, ne s’éveille à la conscience politique que sous l’instigation de quelque gourou meneur de foules. Ou de quelques professionnels spécialistes de la manipulation politique œuvrant au service d’occultes puissances étrangères.
Ainsi, dès lors que les masses populaires laborieuses ou estudiantines investissent spontanément la rue ou les campus pour revendiquer leurs droits à la vie et au bonheur, réclament l’amélioration de leurs conditions de travail et la revalorisation de leurs salaires, œuvrent à l’instauration d’une société démocratique et égalitaire, dénoncent la guerre et la perpétuation d’un génocide, elles sont aussitôt taxées d’être à la solde de pays étrangers. D’être manipulées par des forces obscures.
Etrangement, ces médias mainstream et la classe dirigeante n’accusent jamais la main invisible étrangère d’être responsable de l’habituelle résignation de ces mêmes masses laborieuses et estudiantines. De leur longue soumission. De leur effacement de l’histoire. Au contraire, ils applaudissent leur résignation, leur soumission, signe de leur ferveur citoyenne et démocratique. De leur fidélité au pouvoir dominant, notamment sioniste.
Tant qu’elles demeurent silencieuses, oublieuses de leurs droits politiques et sociaux, les masses laborieuses et estudiantines sont acclamées pour leur apathie. Leur sympathie. Mais dès lors qu’elles se réveillent de leur léthargie pour se lancer dans une synergie de luttes collectives, ces masses populaires ou estudiantines deviennent aussitôt objet de calomnies. Elles sont couvertes d’ignominies. Vouées aux gémonies. Clouées au pilori. Traitées comme des bandits. Pire, accusées de complicité de terrorisme, voire traitées comme des ennemis.
En France, le conspirationnisme est devenu l’expression idéologique d’un Etat français en déconfiture, la caisse de résonance mortifère d’une classe dirigeante tricolore sans futur.
Le conspirationnisme, c’est chercher à voir le mal systématiquement. Seule une classe dominante, illégitime par essence, condamnée par l’histoire, soupçonne le mal parmi ses «sujets» désireux devenir maîtres de leur destin. Le complotisme revient à voir le «diable» – vision religieuse par excellence – partout.
C’est avec ce genre de pensées délirantes et décadentes que naît le fascisme. Le fascisme fait appel aux instincts, jamais à la raison. L’adepte individuel ou institutionnel de la religion du complot fonctionne sur la même matrice psychologique soupçonneuse et archétype obsidional.
Le complotisme étatique et médiatique conduit systématiquement aux dérives totalitaires matérialisées par la gouvernance par la peur et le règne de la terreur, les deux mamelles du fascisme.
K. M.
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