Le détecteur de mensonges médiatiques
Une contribution de Julie Jauffrineau – Dans ce contexte d’aggravation des crises mondiales, le conflit israélo-palestinien cristallise les tensions. Alors que dans le monde entier des manifestations et des soulèvements populaires élèvent la voix et les drapeaux pour montrer la solidarité envers le peuple palestinien, nombre d’hommes politiques et de médias occidentaux mettent en exergue le droit d’Israël à se défendre. Les efforts déployés pour orienter l’opinion publique peinent toutefois à gagner les foules, de plus en plus résolues à se réunir dans la rue. La propagande médiatique occidentale n’en est que plus vile et marquée.
Dès le 7 octobre, les médias dominants ont réécrit l’histoire dans le but inavouable de légitimer les massacres à venir. Il semble à tout le moins osé d’appeler attaque ce qui constitue une riposte. Et d’appeler guerre de religion ce qui constitue une guerre coloniale. Après 75 ans de trahison, de dépossession, d’humiliation et de colonisation, les Palestiniens ont répondu par la lutte armée, consacrée par le droit international. Briser les chaînes passe par cette extrémité-là, à laquelle poussent les bourreaux.
Loin de remettre les événements dans leur contexte, les médias mainstream cherchent à diaboliser l’opprimé. L’objectif consiste, tout simplement, à faire de l’oppresseur un opprimé, et de l’opprimé un oppresseur, comme l’affirmait Malcom X dans sa critique des médias. A cette fin, les médias dominants nous présentent les groupes de résistance palestiniens comme des terroristes, des sauvages. Ils auraient décapité des bébés. Mis des bébés dans des fours. Violé des femmes enceintes.
Cela ne va pas sans rappeler l’affaire des couveuses au Koweït, qui aura permis aux Etats-Unis de légitimer la guerre en Irak. La stratégie du mensonge médiatique est épuisée. Nos médias restent dans la répétition des mêmes ignominies, déconstruites par le temps, afin de permettre le bain de sang, lui-même destiné à asseoir une stratégie de domination.
Pourtant, le recours aux faux témoignages reste encore à l’honneur dans nos médias dominants. Il aura fallu six mois au journal Le Monde pour revenir sur l’ensemble de ces mensonges. La vérité avait été mise en lumière dans les jours et semaines qui ont suivi le 7 octobre, par les médias israéliens. Qu’est-ce qui justifie ce délai ? De même, le journal israélien Haaretz a révélé, témoignages à l’appui, l’importante implication de l’armée israélienne dans la mort de civils israéliens, le 7 octobre. Depuis les airs, l’armée tirait à l’aveugle sur tout ce qui bougeait. Qu’est-ce qui justifie, en France, ce silence ?
Le silence est dicté par une poignée d’oligarques, aux commandes de nos médias. Quelle liberté de la presse peut-il y avoir lorsqu’une seule et même personne détient toute une série de médias ? Quel peut être le discours ? Les journalistes iront-ils à l’encontre des idéologies de leur chef de file ?
Intéressons-nous justement à Patrick Drahi. Jusqu’en mars 2024, il détenait, entre autres, BFMTV, chaîne politique dite de droite, Libération, hebdomadaire considéré de gauche, et i24 News, média télévisé israélien. Comment pourrions-nous croire en la diversité des contenus et points de vue délivrés dans ces trois médias sur les questions internationales ? L’information donnée est déterminée par le propriétaire de ces médias, suivant des intérêts privés. Car que gagne-t-on à financer un média, si ce n’est du pouvoir sur l’opinion publique ?
Il suffit d’observer la différence de traitement des différents intervenants, dans les interviews, pour se rendre compte de la supercherie médiatique et de la propagande à laquelle nous sommes soumis. Les «journalistes» de ces médias laissent la parole libre à toute personne légitimant le massacre des Palestiniens par l’armée israélienne. Meyer Habib continue à pleurer les bébés décapités, bien que cela ait été démenti. Autre exemple, celui du président du CRIF, le Conseil représentatif des institutions juives de France, Yonathan Arfi. Lorsque celui-ci affirme qu’«il n’y a pas d’équivalence morale entre les victimes collatérales civiles et des victimes du terrorisme», il n’est qu’à peine repris sur France Inter. Ses propos sont pourtant aberrants au regard du nombre de victimes palestiniennes depuis le 7 octobre : plus de 36 000 morts palestiniens officiels, dont plus de 12 300 enfants entre octobre 2023 et février 2024. Déjà en mars dernier, le chef de l’UNRWA disait : «En quatre mois, le nombre d’enfants tués dans la bande de Gaza est plus élevé que le nombre d’enfants tués en quatre ans dans les conflits à travers le monde.»
Pour autant, Dominique de Villepin s’est fait taxer d’antisémite pour avoir dénoncé l’ampleur des massacres à Gaza. Rima Hassan, pour sa part, peine à s’exprimer sans être constamment interrompue par les journalistes. Les notions de droit sur lesquelles elle s’appuie sont constamment censurées, quand elles devraient être les seules notions à faire prévaloir.
En dénonçant le risque de génocide en cours à Gaza, la Cour internationale de justice (CIJ) témoigne de la volonté génocidaire du gouvernement israélien. Rappelons-nous qu’on parle de génocide si les actes incriminés répondent à au moins un des cinq critères énoncés dans la Convention sur le génocide de l’ONU. Or, la Rapporteure spéciale des Nations unies en a listé trois : «Causer des dommages corporels ou mentaux graves aux membres du groupe, soumettre délibérément le groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique en tout ou en partie, et imposer des mesures destinées à empêcher les naissances au sein du groupe.» En outre, les mandats d’arrêt émis par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre de Benyamin Netanyahou et de son ministre de la Défense, Yoav Gallant, confirment l’illégitimité des actes d’Israël envers les Palestiniens, en dehors de tout droit international.
Pourquoi les médias dominants ne s’attardent-ils pas sur le rejet des décisions de la CJI et de la CPI par Israël et les Etats-Unis ? C’est-à-dire la non-reconnaissance par ces deux Etats du droit international ? Il faut croire que les pays occidentaux se détournent du droit international, au profit d’un monde régi par des règles favorables à l’hégémon américain. D’ailleurs, comme l’a affirmé le procureur de la CPI sur CNN, répétant ce que lui avait confié un haut responsable étasunien : «La CPI a été créée pour l’Afrique et des voyous comme Poutine», mais non pour les Occidentaux et leurs alliés.
En attendant, à force de vouloir aller dans le sens d’Israël, les médias légitiment les actions d’un gouvernement génocidaire. Qui ne dit rien consent. Appuyé par les gouvernements occidentaux et les médias de propagande, au-dessus de toutes les lois internationales et humanitaires, Israël s’octroie le droit de bombarder des camps de réfugiés à Rafah, dans les zones pourtant dites «sûres» et humanitaires. Les cadavres d’innocents continuent de s’accumuler dans le silence médiatique et grâce à la complicité médiatique.
Ce silence médiatique n’est jamais de mise quand il s’agit du sort des otages israéliens menacés par les bombes de leur propre armée. En revanche, on omet sans scrupule d’évoquer les plus de 10 000 prisonniers politiques palestiniens, enfermés sans jugement ni avocats dans les geôles israéliennes. Ne seraient-ils pas eux-mêmes otages des Israéliens, voire pire ?
Les conditions de détention ne respectent en rien le droit international : nus, les yeux bandés, frappés, violés, déshumanisés… L’horreur est sans fin. Vingt-sept détenus sont décédés depuis octobre, sans parler des nombreux amputés en raison des mauvais traitements. La torture semble y sévir plus monstrueusement encore que dans les tristement célèbres prisons de Guantanamo et Abu Ghraib.
A sa sortie de l’un de ces centres de torture, M. Al-Ran, médecin palestinien, a témoigné son calvaire et partagé à CNN le message laissé par son codétenu. Ce dernier le suppliait de retrouver dans Gaza sa femme et ses enfants : «Il m’a demandé de leur dire qu’il valait mieux pour eux être des martyrs. Il vaut mieux qu’ils meurent que d’être capturés et détenus ici.»
Finalement, le conflit israélo-palestinien dévoile au grand jour la propagande médiatique occidentale basée sur le mensonge, l’omission et la calomnie, à l’œuvre dans nos médias. La famine qui sévit à Gaza est sciemment ignorée, et les innombrables blessés, amputés sans anesthésie, sont invisibilisés, et toute voix dissidente étouffée.
Les stratégies mensongères des médias de propagande sont parfaitement maîtrisées et contrôlées. Mais si on a pu les observer au cœur du battage politico-médiatique du conflit israélo-palestinien, on peut penser que ces mêmes stratégies sont employées pour manipuler l’opinion publique dans le cadre d’autres conflits mondiaux.
En effet, parler du génocide à Gaza est inacceptable, mais parler du génocide ouïghour ne semble poser aucun problème. Pourquoi ? Ce dernier est-il reconnu par la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale ? Selon le défenseur des révolutions de couleur, Raphaël Glucksmann, le génocide ouïghour «a été reconnu par un tribunal». Vraiment ? Mais lequel ? Le tribunal ouïghour, apparemment. Mais quelle est la légitimité et, surtout, la légalité internationale d’un tel tribunal ?
De même, l’histoire nous a montré comment les médias dominants pouvaient créer de toute pièce des prétextes afin de légitimer des guerres illégitimes. Comment interpréter le «massacre» de Boutcha, en Ukraine ? Les faits restent flous : l’armée russe a quitté la ville de Boutcha le 30 mars 2022, et les images relatant les massacres datent du 3 avril 2022. Pourquoi toute cette attente ? Cela, sans parler du maire de Boutcha, retourné dans sa ville le 31 mars, qui ne fait aucune mention des massacres dans une interview télévisée. Une enquête internationale indépendante aurait été nécessaire pour mettre à jour la véracité des faits. Or, rien de tel n’a été réalisé. Pourquoi ? Serait-ce un énième mensonge médiatique ?
Ces derniers mois, sous couvert de démocratie et de liberté d’expression, le gouvernement français a décidé de censurer des médias et des réseaux sociaux. Dès lors, que signifie la liberté d’expression au pays des droits de l’Homme ? Que valent les droits de l’Homme sans prise en considération du droit international ? Que pèse la démocratie sans débat et sans confrontation d’idées ? Et qui est le véritable responsable de la désinformation et de la propagande ?
J. J.
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