Jacob Cohen : «Le vieil antisémitisme est un carburant pour les sionistes !»
Algeriepatriotique : Des appels au boycott du groupe audiovisuel français TF1 ont été lancés, ce jeudi, pour apologie du génocide à Gaza suite à l’interview avec le criminel de guerre israélien Benjamin Netanyahou sur la chaîne LCI. Quelle a été votre réaction à l’annonce de l’interview ?
Jacob Cohen : J’ai eu cette expression lors d’un échange à chaud. C’est «la cerise sur le gâteau». Après plus de sept mois de propagande ininterrompue en faveur d’Israël, de minimisation des crimes sionistes, de tromperies sur les responsabilités, de harcèlements judiciaire et policier contre toute expression de solidarité en faveur des victimes palestiniennes, on croyait avoir atteint le fond. Mais non, alors que la CPI ouvrait le dossier sur les crimes de guerre perpétrés par Netanyahou, on invite ce dernier sur la chaîne la plus regardée, et à une heure de grande écoute, privilège réservé aux personnages politiques français les plus importants, à dérouler sa propagande, face à un journaliste complaisant, qui n’a jamais caché sa sympathie pour l’Occident, en général, et Israël en particulier. C’est le scandale de trop.
Pourriez-vous nous donner votre analyse de cette interview contestée du Premier ministre israélien ?
Je n’ai pas eu le courage de la regarder. Il ne faut pas trop m’en demander. Je suppose qu’il s’est présenté comme l’agneau pur qui fait face aux plus cruels terroristes de l’humanité, que le 7 octobre a été la plus grande Shoah des juifs depuis l’Holocauste, et qu’il fait tout pour épargner les civils de Gaza et pour leur apporter l’aide humanitaire nécessaire. Il y a cependant deux éléments qui ont attiré mon attention. Il a présenté une carte du monde arabe, reprenant l’antienne du «David contre Goliath». Regardez ! nous sommes un tout petit pays qui ne demande qu’un bout de terre pour vivre pacifiquement, entouré de centaines de millions d’Arabes qui veulent nous détruire. Nous sommes constamment en état de légitime défense. L’autre élément est la reprise à son compte du slogan «zemmourien» qui est en vogue en ce moment en France. Israël représenterait la civilisation judéo-chrétienne qui combat le danger islamiste. Il a dit : «La victoire d’Israël sera aussi la victoire de la France et des Français.» Et tout cela apparemment en français. Malheureusement, dans l’hystérie islamophobe qui règne aujourd’hui en France, entretenue par le lobby judéo-sioniste, ces affirmations trouvent un large écho.
Avec les nombreuses condamnations à l’international et la reconnaissance de l’Etat de Palestine par plusieurs Etats européens, d’aucuns estiment que Benjamin Netanyahou a senti le vent de l’opinion internationale se tourner, ce qui l’a poussé à se justifier lors de cette interview. Qu’en pensez-vous ?
Le régime sioniste s’est toujours appuyé sur l’opinion publique mondiale pour apparaître comme un Etat démocratique en butte à l’hostilité permanente et irrationnelle d’un monde arabe totalitaire. Et grâce au contrôle des médias et autres secteurs stratégiques comme la finance et le cinéma, cela avait plutôt bien fonctionné. Et lorsqu’il y a eu un problème ponctuel, comme Sabra et Chatila, le lobby sioniste a su retourner la situation après un délai raisonnable. Là, on est à plus de sept mois de tueries tous azimuts, quasiment en direct sur les téléphones de chacun. Et malgré les tentatives de répression des autorités policières, notamment dans les universités, le ressentiment contre Israël est en train de s’amplifier. La nouvelle élite occidentale tournera le dos à Israël. Cela prendra peut-être quelque temps avant que cela n’atteigne la classe politique, mais le processus est enclenché, et semble irréversible. Le régime sioniste en a ressenti le danger et l’urgence. D’où la nécessité pour Netanyahou de colmater les brèches.
Les appels au boycott ont-ils eu de l’effet ?
Certainement. C’est d’ailleurs le talon d’Achille d’Israël. Devenir l’Etat paria du monde. Le mouvement BDS avait fait passer un frisson d’effroi au sein du sionisme. D’autant qu’il était populaire et légitime. Et cela aurait pu devenir un raz-de-marée emportant l’entité sioniste. Malheureusement, le rapport de force a fait que ce mouvement a été combattu par les gouvernements occidentaux. Au point que, dans la plupart des Etats américains, des lois l’interdisent. De même en Europe, le boycott d’Israël est pratiquement illégal ; on peut boycotter n’importe quel pays, surtout la Russie, plutôt deux fois qu’une, mais pas l’Etat juif. C’est ce qui me rend un peu pessimiste sur l’issue des mouvements de boycott, notamment l’appel au désinvestissement des universités américaines, des fonds liés à Israël, tant que le rapport de force est encore favorable à ce pays.
Dans une de vos vidéos, vous avez indiqué que «la communauté internationale a laissé se créer un Frankenstein ivre de puissance, incapable de faire la paix, méprisant toutes les règles de droit et finalement incontrôlable». La communauté internationale en est-elle bien consciente ? Comment sortir de cette impasse dont les prolongements seront tout aussi dramatiques, selon vous ?
La communauté internationale en est tout à fait consciente. Des confidences faites par des diplomates ou des membres des services secrets ou des militaires indiquent leur désappointement devant les comportements d’un Etat voyou, insolent, arrogant, peu respectueux des règles admises entre alliés. Les exemples abondent : la destruction systématique des établissements publics construits avec l’argent de l’UE dans la zone C de Cisjordanie ou le refus d’accueillir des parlementaires européens en Cisjordanie ou l’obstination à rejeter toute négociation avec l’Autorité palestinienne ou le développement des implantations à un rythme effréné. Mais que faire face un enfant gâté à qui on a laissé passer tous ses caprices et devant qui on se sent coupable d’une vieille culpabilité vieille de quatre-vingts ans ? L’Union européenne n’est même pas capable de faire appliquer son propre règlement visant à empêcher l’étiquetage des produits des colonies israéliennes par «made in Israël». Il faudrait sanctionner cet Etat pour ses violations et ses manquements, mais personne n’ose le faire, et l’entité sioniste en profite. Regardez avec quelle impudence il mène ses massacres à Gaza, convaincu de son impunité !
La société israélienne va devenir de plus en plus fasciste et vous suggérez de l’aider à s’enfoncer encore dans cet extrémisme et sombrer dans sa folie meurtrière. En quoi cela pourrait aider les Palestiniens concrètement ?
Le drame du sionisme, c’est qu’il s’est présenté depuis sa création comme une idéologie progressiste, égalitaire, respectueuse d’un Etat de droit et de l’institution judiciaire. Ce qui n’était pas totalement faux. Je me souviens que dans les années 1970 on disait que l’occupation des territoires palestiniens n’avait rien à voir, par exemple, avec l’occupation nazie. Un parent me disait qu’une grande ville palestinienne n’était surveillée que par trois ou quatre Jeeps. Rappelez-vous les dizaines de milliers de jeunes Européens allant travailler dans les kibboutzim, à cette époque, pour vivre cette expérience unique. Or, tout cela occultait les transferts de population, la colonisation, les détentions administratives, etc. Aujourd’hui, on voit le vrai visage du sionisme, qu’il a toujours été en le dissimulant. Aujourd’hui, ce sont les appels au meurtre, les massacres d’enfants, les destructions systématiques des hôpitaux, des écoles, des bateaux de pêche, des magasins. La société israélienne va fièrement vers le fascisme et l’apartheid, sans complexe. Les Palestiniens, et j’espère les Arabes et au-delà tous les progressistes, comprendront que le sionisme est incompatible avec la paix et la justice, qu’il n’a pas sa place dans la région, qu’il faut l’éradiquer. Il faut oublier l’idée qu’on peut trouver un arrangement avec ce régime. Ce n’est pas un appel à la guerre. La guerre ne le fera pas disparaître. Mais il faut contester sa légitimité à se perpétuer.
L’amalgame qui fonctionne à l’avantage d’Israël jusqu’à aujourd’hui est le fait d’assimiler l’opposition à ses crimes à de l’antisémitisme. Le rejet d’une différenciation entre antisionisme et antisémitisme n’engendrera-t-il pas l’ancienne image négative des juifs au sein des populations occidentales ?
Je dirais presque que c’est le fantasme secret des sionistes. Herzl l’avait déjà souligné en lançant le projet sioniste. Le vieil antisémitisme est le meilleur carburant pour la machinerie sioniste. Est-ce que les agents du Mossad n’avaient pas perpétré des attentats contre les juifs dans les pays arabes, d’abord pour les faire partir et ensuite pour constater que, décidément, la coexistence judéo-musulmane était impossible ? Le lobby sioniste se frotte les mains actuellement lorsque la situation des juifs en Occident devient difficile. Il lance régulièrement des appels aux juifs de «rentrer à la maison» où ils seront en sécurité.
Interview réalisée par Kahina Bencheikh El Hocine
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