Yasmina Khadra a préféré sacrifier sa «mère» contrairement à Albert Camus
Une contribution de Youcef Benzatat – Si Albert Camus a préféré sa «mère» patrie, la France coloniale, à la «justice», le camp du combat pour la libération de l’Algérie, bien que ce soit son droit de défendre sa patrie, sa «mère» pouvait être comprise, dans le contexte de l’époque, comme étant aussi bien la défense de son statut de nobélisé et la préservation du capital sympathie que lui vouent ses mécènes, ses compatriotes et sa communauté de pieds noirs. Alors que Yasmina Khadra a choisi, quant à lui, dans une récente déclaration publique, de sacrifier sa «mère» patrie pour préserver le capital clientèle de ses livres et l’estime que lui vouent ses mécènes et ses admirateurs, souvent hostiles à sa «mère», consciemment ou inconsciemment.
En effet, la posture des deux hommes est troublante de similitudes. Albert Camus a toujours eu de l’aversion pour la colonisation de l’Algérie et beaucoup de sympathie pour les «indigènes» algériens, bien que ses déclarations ou ses écrits eussent été souvent entachés de beaucoup d’ambigüités à ce sujet. Ce n’est qu’au moment de vérité, lorsqu’il fut nobélisé, qu’il devait trancher sur sa position politique sur la colonisation, le couteau sous la gorge. Sans hésiter, il choisira sa «mère» à la «justice». On est en droit d’estimer que Yasmina Khadra est en train de vivre la même mésaventure, en étant confronté à l’offensive en cours contre l’Algérie, pour son démembrement et la division de l’unité de son peuple et de son territoire, où il est contraint de trancher sur sa position à ce sujet. A ce propos, Yasmina Khadra a toujours critiqué le mouvement séparatiste en Algérie, en se gardant de faire l’amalgame avec tous les habitants de la région concernée. Allant jusqu’à déclarer fermement, dans un entretien à un média tunisien, il y a quelques années, refuser de dédicacer ses romans à tous ceux qui se présentent en tant que Kabyles.
C’était donc, il y a quelques années, mais voilà que cet entretien surgit soudainement aujourd’hui sur la place publique, véhiculé comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux et provoquant une polémique nationale, dont les échos ont traversé bruyamment nos frontières.
A se demander par quel hasard cette polémique a été concoctée, quels en sont les auteurs et pour quel agenda elle a été propagée, contraignant l’auteur des propos à l’origine de cette polémique, considérés comme étant racistes et haineux envers les habitants de cette région, de clarifier sa position politique à ce sujet, le couteau sous la gorge, comme ce fut le cas pour Albert Camus. Yasmina Khadra ne pouvait rester indifférent et devait trancher devant ses accusateurs. Car les enjeux sont de taille, principalement sa réputation d’écrivain à succès et tous les intérêts qui vont avec. Comme ses accusateurs n’aiment pas trop sa «mère», il a préféré la sacrifier pour sauver son capital.
Car, en déclarant, dans un premier temps, qu’il ne dédicacerait pas ses livres à quiconque se présenterait en tant que Kabyle, pour ensuite se rebiffer, en faisant son mea culpa et présenter ses excuses, avouant qu’«il arrive, parfois, qu’un trop-plein de passion fourche la langue», il avoue implicitement son désintérêt pour l’engagement à la préservation de l’unité nationale, privilégiant ses intérêts domestiques. «Au diable ma mère, si cela devrait me coûter l’édifice littéraire que je me suis construit», semble-t-il avoir tranché. Comme pour ceux qui critiquent le sionisme, colonisateur et criminel, sitôt accusés d’antisémitisme et sitôt se rebiffent pour préserver leur vie et leur quiétude, déversant des tonnes d’excuses pour se faire réhabiliter.
Pour s’être rebellé contre l’imposture de la sémantique du mot «kabyle» dans un premier temps, pour ensuite s’en excuser, Yasmina Khadra perd toute crédibilité dans le débat public. Car le mot «kabyle» est une fabrication coloniale dont l’objectif était et demeure une arme pour empêcher dans un premier temps l’unité du peuple algérien pour la résistance à la colonisation et, plus tard, pour empêcher l’émergence d’une nation algérienne puissante sur la scène internationale et notamment dans le pourtour méditerranéen. A y regarder de près, le mot «kabyle» n’est ni tamazight, ni arabe et encore moins un mot de la langue algérienne dominante, la derja (arabe dialectal). Ce mot résulte d’une double transcription, d’abord de l’arabe, qbayli, de qabyla, tribu, ensuite sa transcription dans la langue de l’ancien colonisateur français par le mot «kabyle», attribué aux habitants algériens qui vivent dans la région des montagnes du Djurdjura. Car, à l’arrivée des Arabes au VIIe siècle de notre ère, ils avaient buté sur la résistance farouche des tribus de cette région montagneuse et les en ont empêchés de s’y établir. C’est ainsi qu’ils avaient nommé cette région «bilad el-qabayel», que les Français avaient transcrit à leur tour par le mot «Kabylie».
Yasmina Khadra a raté l’occasion, par manque de courage, de s’affirmer en tant qu’écrivain d’avant-garde, en contribuant à la déconstruction des obstacles qui se dressent devant l’édification du socle de la nation algérienne, par sa retenue sur le déni du mythique peuple kabyle et l’imposture de la qualification de région de Kabylie en se reniant malgré ses convictions contraires. Car il n’y a en Algérie que des Algériens vivant sur leur terre l’Algérie.
Y. B.
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