Interview – Jacques Marie Bourget : «L’Algérie joue un rôle courageux !» (II)
Algeriepatriotique : On est à plus de neuf mois de tueries tous azimuts contre les populations de la Bande de Gaza et de Cisjordanie. Comment décririez-vous la situation sur le terrain ?
Jacques Marie Bourget : Une certitude, jamais un responsable israélien (s’il en existe) n’aurait imaginé qu’après neuf mois de guerre absolue, utilisant contre les Palestiniens les armes les plus cruelles et puissantes, la situation sur le terrain soit aussi humiliante et médiocre pour eux. Pourtant, sauvés lors de la guerre du Kippour par l’aide américaine, puis défaits par le Hezbollah en 2006, les Israéliens auraient eu une bonne idée en tirant une leçon de leurs revers : négocier et tenter de trouver la paix. Ils n’ont pas fait cela étant sûrs que, quoi qu’il arrive, ils resteraient les maîtres sur le terrain. L’objectif étant d’anesthésier les mouvements nationalistes palestiniens puis, à long terme, de les chasser de leur terre par l’expansion des colonies. Pas un stratège de la théocratie sioniste n’avait imaginé une telle révolte, un tel courage.
Tragique à Gaza, la situation l’est aussi en Cisjordanie où, chaque jour, les colonisateurs interviennent et assassinent avec comme prétexte «la lutte contre le terrorisme». En effet, pas un seul leader israélien depuis 1948 a sincèrement envisagé un partage des biens et des terres, et les Accords d’Oslo étaient un leurre. Comme à Gaza, le projet est de rendre aux Palestiniens la vie intenable afin qu’ils meurent ou qu’ils partent. L’idée qu’il existe une «gauche» israélienne est une farce, un masque pour cacher les fusils. Pour les Palestiniens, c’est «la valise ou le cercueil».
Nous avons donc des troupes israéliennes sans vrai commandement ou plan précis qui errent dans Gaza et tuent une moyenne de 50 Palestiniens par jour, y compris de très jeunes enfants («de futurs terroristes»). Le fameux réseau de tunnels est intact, les prisonniers le sont toujours et le Hamas n’est pas mort. A sa façon, le peuple résiste en s’accrochant à sa langue de sable dans des conditions imposées par la barbarie.
Avec les nombreuses condamnations à l’international et la reconnaissance de l’Etat de Palestine par plusieurs Etats européens, Israël semble avoir un plan qui vise à faire durer le conflit. Quel est le but inavoué de Netanyahou, son gouvernement et ses chefs de guerre ?
Je le répète, le but de Netanyahou est de sauver sa liberté, puisqu’il est menacé de prison, de sauver son immense fortune, qui se compterait en millions de dollars, et de répondre aux rêves tragiques d’une des plus vieilles sectes juives : tuer tout ce qui n’est pas juif ne compte pas et n’est jamais un crime. Cette doctrine est très bien décrite dans le livre d’Israël Shahak Histoire juive, religion juive. Netanyahou est un fou sanguinaire entouré de criminels contre l’humanité. Lui-même ignore où il va. Sauf que la situation de son économie est si déplorable que le parrain américain va se lasser de verser des milliards au budget après les milliards donnés à l’armée.
S’il commet l’erreur funeste d’attaquer le Liban, nous allons vers une conflagration générale de la région. Vont débarquer au Liban des Iraniens, des Irakiens, des Syriens, des Russes du Caucase, des Yéménites. A ce point, les Etats-Unis devront intervenir. La suite, on en ignore la gravité.
L’Etat apartheid d’Israël a toujours réussi à transformer le conflit palestino-sioniste en une guerre de religion faisant oublier sa nature coloniale. Après le 7 octobre 2023, le ressentiment contre Israël est en train de s’amplifier. Qu’en pensez-vous ?
Avec sa guerre d’écrasement, Israël a commis l’un des plus grands crimes depuis la Seconde Guerre mondiale. Je ne parle pas du nombre de morts puisque les guerres impérialistes d’Irak, de Serbie, de Syrie et de la Libye ont causé plus de trois millions de victimes. Je parle ici d’une guerre aussi violente sur un territoire minuscule où il est impossible de s’abriter ou de fuir.
L’opinion publique est cette fois accablée, et ne parle plus, sauf en France, toujours à la recherche d’une revanche sur la Guerre d’Algérie, ou «d’Arabes ou de musulmans» (ignorant que les Palestiniens ne sont pas arabes et comptent une minorité chrétienne). Non, l’émotion a été énorme dans le monde, même dans un lieu peu attendu comme les Etats-Unis. Je crois que cette émotion est durable et que le cliché, celui du petit Israël contre les méchants musulmans ne tient plus. Chacun a compris que Netanyahou n’est que le gouverneur d’un Etat américain et qu’Israël c’est l’Amérique.
Le carnage continue à Gaza et en Cisjordanie avec des milliers de morts et des survivants qui meurent de faim, tout cela, sous l’œil bienveillant des puissances occidentales. Qui peut arrêter la furie meurtrière de l’Etat hébreu, l’ONU étant devenue obsolète ?
De Gaulle a inventé le terme mais l’ONU est redevenue un «machin». Avec le droit de veto, sa paralysie est institutionnelle. Le seul qui peut tout stopper serait Biden, mais il est en triste état, et les hommes du cabinet noir qui gouvernent à sa place, amis des fabricants d’armes et totalement sionistes, poussent à la guerre. Et Trump est au bout du couloir prêt à bondir avec ses canons et sa folie. C’est lui qui a déplacé l’ambassade américaine à Jérusalem. Du fait des élections, la partie est neutralisée, et les Américains, tellement prêcheurs en matière de démocratie, laissent les massacres se poursuivre.
D’aucuns estiment que le sionisme est incompatible avec la justice et la paix, que la guerre ne le fera pas disparaître mais qu’il faut contester sa légitimité à se perpétuer. Etes-vous du même avis ?
Rappelons-nous que les premiers antisionistes ont été les juifs eux-mêmes. La création d’un Etat spécifique a été longtemps refusée jusqu’en 1930 et l’arrivée d’Hitler. Aujourd’hui encore, ces juifs antisionistes s’organisent et manifestent.
Je reviens au livre d’Israël Shahak, il décrit très bien cette idéologie qui peut gagner tout un pan du monde juif sur le thème «Nous sommes les seuls humains sur terre». Cela semble incroyable mais c’est ce qui occupe la tête des porte-flingues de Netanyahou.
Entre rhétorique propalestinienne et lâcheté et compromission, les Etats arabes ont définitivement révélé au monde leur trahison à la cause palestinienne. Comment expliquez-vous cette lâcheté, sachant qu’elle ne date pas d’aujourd’hui ?
Les Etats arabes sont en triste état. L’Irak a été rayé de la carte par Washington, de même que la Syrie et la Libye, l’Egypte est en faillite et la Jordanie sous tutelle américaine. Que peuvent-ils faire ? Rien puisque le nationalisme nassérien, qui a fait la force de ce monde n’existe plus, que le courage est aux abonnés absents et tous les téléphones sont branchés sur la Maison-Blanche. Reste le Maghreb mais la Tunisie est faible et menacée alors que le Maroc abrite l’armée israélienne. Reste l’Algérie qui joue un rôle diplomatique courageux. Dans ce domaine, un simple soutien est un grand pas quand on connaît la puissance de répression américaine.
Que changera cette guerre asymétrique qui a cours au Proche-Orient actuellement ?
Beaucoup de choses. La faiblesse confirmée d’Israël qui, sans son aviation, qui bombarde des hommes et des lieux sans défense, n’est plus une puissance sûre de la victoire. Les Hutis, hommes courageux et simples, ont réussi, avec leurs quelques gros pétards bien utilisés, à transformer le Détroit en zone de guerre. Les pétroliers liés à Israël ayant perdu 4 milliards en 8 mois. Israël ne fait plus peur.
Le monde vit une crise économique brutale avec la multiplication de conflits militaires de haute intensité. S’achemine-t-on vers une troisième guerre mondiale ?
La Seconde Guerre est arrivée car les capitalistes préféraient les dictateurs à des gouvernements démocratiques. En France, l’oligarchie a choisi Hitler plutôt que le Front Populaire. Que Chamberlain fasse une bêtise à Munich, croyant avoir signé la paix alors qu’il donnait le départ à la guerre. Il suffit d’un fou, et nous n’en manquons pas, et l’étincelle fait sauter notre monde dans le vide.
Entretien réalisé par Kahina Bencheikh El Hocine
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