Monsieur le Président, réactivez l’Algérie volontariste de naguère !
Une tribune de Khider Mesloub – A l’occasion de l’élection présidentielle, je soumets mes doléances écrites au président de la République algérienne qui brigue un second mandat. L’Algérie, ce pays embryonnaire, tout juste enfantée dans la douleur par l’Histoire, arrachée du ventre dévorant du colonialisme au moyen d’une opération militaire qui n’eut rien de chirurgical, tant les dommages sanglants et collatéraux occasionnés par l’ennemi ont été particulièrement meurtriers, a entamé, dès son indépendance, son évolution, son accroissement. Certes, avec un retard manifeste sur de nombreux pays. Mais ce qui est tout à fait normal, ayant subi longtemps des occupations étrangères. Quoiqu’avec difficulté, lentement, mais sûrement, l’Algérie a su se dresser sur ses pieds pour marcher à pas forcés vers le progrès.
Après une fulgurante enfance, menée dans la réjouissance de la liberté recouvrée, l’Algérie s’est retrouvée propulsée en quelques années en une nation prodige, admirée par le monde entier. Elle est devenue la Mecque des révolutionnaires. La Sorbonne de l’Afrique. Elle forçait ainsi l’admiration de nombreux pays, particulièrement pour sa glorieuse victoire sur le colonialisme.
En effet, animée par un esprit de sacrifice et armée d’un courage exemplaire, elle a su vaincre la plus grande puissance coloniale. Sortie victorieuse de cette guerre pourtant militairement inégale, elle a aussitôt entrepris de construire le pays avec le même état d’esprit révolutionnaire. Et dans un esprit démocratique et égalitaire, du moins pour une grande partie de la population.
A peine dressée sur ses pieds, l’Algérie a chaussé les souliers des connaissances pour courir ardemment vers le progrès. La tête résolument tournée vers l’avenir, elle a pris d’assaut les savoirs dans un élan brûlant d’énergie pour effacer l’ignorance orchestrée et propagée par la France coloniale. Détentrice de ce butin de guerre symbole révolu de l’occupation séculaire, l’Algérie s’est attelée à fructifier ce trésor linguistique français pour bâtir des têtes pensantes et les propulser, telles des fusées, vers le firmament du savoir. Le résultat ne s’est pas fait attendre.
En quelques années, une prestigieuse génération est apparue sur la scène publique dotée d’une prodigieuse instruction à faire pâlir de jalousie l’ancienne puissance coloniale. Ses nouveaux bagages intellectuels en tête, cette florissante génération, toute ragaillardie par ses connaissances, a entrepris de grimper dans le wagon de l’Histoire du progrès pour rattraper le train de la civilisation moderne.
Mais, à peine les fruits du développement économique, surgis sur l’arbre de l’Algérie en phase de croissance, récoltés, obtenus grâce à l’ensemencement des graines du savoir déversées par cette brillante et entreprenante génération animée d’une volonté de réalisation extraordinaire que les pouvoirs politiques ont contrarié la pérennisation de cette germination prometteuse.
Obnubilée par le pouvoir et résolue à s’y accrocher, une oligarchie s’est lancée, en effet, dans une politique policière répressive fondée sur une économie rentière d’où elle puisait sa richesse et sa domination.
Cette économie, basée sur le sable du Sahara, a transformé rapidement l’Algérie en désert industriel. Les puits de pétrole ont vidé toute l’énergie intellectuelle et manuelle du pays. La jeunesse a été réduite à une existence végétative. Plus l’extraction de l’or noir augmentait, plus l’activité productive du pays reculait. Plus l’étendue des champs pétrolifères s’élargissait, plus la surface allouée à l’agriculture s’amenuisait. Plus la population se multipliait, plus l’activité professionnelle se raréfiait. Plus la richesse obtenue grâce au pétrole grandissait, plus la pauvreté s’accentuait. Plus la culture des raffineries s’érigeait dans le désert algérien, plus le raffinement culturel urbain des Algériens se désagrégeait pour finir par les déserter. Plus l’éducation arabisée à outrance se massifiait, plus la masse d’ignorances outrageait l’Algérie d’antan. Plus les lieux de culture se tarissaient, plus les lieux de culte croissaient. Au même moment où les minarets sur l’ensemble du pays pullulaient, dans le même temps les écoles algériennes polluaient. Au point où le délabrement du système éducatif algérien a fini par favoriser l’emballement et l’embrasement de l’islamisme. Cela pour aboutir à ce saccage et carnage des années noires de l’islamisme terroriste, où la mort rôdait à chaque coin de rue.
Au final, acculés par la dégradation des conditions économiques et le climat du terrorisme sanguinaire de la décennie noire, des millions d’Algériens, parmi lesquels une majorité d’intellectuels, ont plié bagage, au cours de ces dernières années, pour s’exiler à l’étranger, laissant un pays en friche culturelle, intellectuelle, industrielle et même spirituelle (car, contrairement à l’opinion répandue, la religion, et surtout la religion musulmane actuelle, ne recèle aucune spiritualité).
Le reste de la population, demeurée malgré elle au pays, n’a eu d’autre choix que de continuer à vivre dans une Algérie kaboulisée, dévorée par une économie parasitaire. Ainsi, à l’Algérie volontariste a succédé une Algérie fataliste, défaitiste.
Monsieur le président de la République, vous devez diligemment remédier à ce grave problème de fuite des cerveaux et des forces vives de la nation. On ne peut continuer de laisser ces intelligences algériennes accaparées par les pays étrangers. Il est de l’honneur de notre pays de rapatrier ces prestigieuses têtes pensantes exploitées par d’autres pays. Il est de notre devoir de récupérer ces cerveaux algériens qui seront plus utiles à notre économie.
Autre doléance primordiale, Monsieur le Président, déployez tous les moyens en votre pouvoir pour nous restituer (ressusciter) les nobles têtes couronnant les altiers corps des Algériennes et des Algériens de jadis.
Aujourd’hui, en effet, même leur corps s’est rabougri, leur allure gauchie, leur tête vidée, leur âme anémiée, leur fierté ravalée, leur échine baissée, leur croyance religieuse pervertie, leur conscience politique atrophiée, leur humeur aigrie, leur humour évanoui, leurs sentiments desséchés, leurs émotions gelées, leurs larmes taries, leurs amours avilies, leur honneur déshonoré, leur morale dépravée, leurs valeurs mercantilisées, leur dignité monnayée, leurs espérances désespérées, leur éducation assassinée, leur civisme massacré, leur politesse étranglée, leur élocution appauvrie, leur regard éteint, leur sourire crispé, leur rire noirci, leur intelligence viciée, leur culture islamisée, leur islam déculturé, leur algérianité orientalisée, leur amazighité politisée, leur combativité volatilisée, leur personnalité infantilisée.
Monsieur le Président, si vous deviez accomplir quelque geste salutaire pour le bien de l’Algérie, accédez à mes doléances : exaucez mes vœux, rendez-nous la noble et volontariste Algérie de naguère !
K. M
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