Juifs d’Algérie : quand la mémoire dérape l’histoire s’égare
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Les juifs d’Algérie occupent une place singulière dans l’histoire coloniale, marquée par la coexistence, l’exil et l’effacement. Leur mémoire, souvent occultée ou déformée en France comme en Algérie, soulève des questions sur leur marginalisation dans les récits historiques dominants. Comment une communauté ayant traversé prospérité et persécutions se retrouve-t-elle écartée des discours officiels ? Pourquoi la mémoire dérape-t-elle et comment l’histoire s’égare-t-elle ?
Citoyens français dès 1870 grâce au décret Crémieux, les juifs d’Algérie ont été les «oubliés» de la colonisation. En France, ils étaient assimilés, mais toujours vus comme «différents». En Algérie, leur situation était encore plus complexe : avant la colonisation, ils étaient intégrés dans une société arabo-musulmane, traversant des périodes d’échanges mais aussi de tensions.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, sous le régime de Vichy, les juifs d’Algérie ont subi une persécution sévère, avec la révocation du décret Crémieux en 1940, les privant de leur citoyenneté française. Exclue de la société coloniale, cette communauté a trouvé refuge non pas auprès des colons européens, mais auprès des populations musulmanes. Beaucoup d’Algériens, souvent eux-mêmes soumis aux discriminations du régime colonial, ont protégé et aidé les juifs durant cette période, un aspect de l’histoire méconnu mais essentiel pour comprendre les solidarités locales qui ont existé en dépit du colonialisme.
En 1962, à l’indépendance de l’Algérie, les juifs sont perçus comme des «colons» et contraints de quitter une terre habitée depuis des siècles. Leur intégration en France, bien que citoyens depuis près d’un siècle, ne s’est pas faite sans heurts. Ils se retrouvent à la marge, tiraillés entre deux mondes.
En France, la mémoire coloniale reste un sujet brûlant, alimenté par des débats passionnés. Les juifs d’Algérie sont souvent réduits à une figure secondaire, coincés entre le colon européen et l’«autre». Cette simplification occulte leur expérience unique, notamment durant la Seconde Guerre mondiale, où ils furent persécutés par le régime de Vichy et abandonnés par les autorités coloniales. Leur mémoire «déraille», emportée par des récits nationaux simplifiés.
En Algérie, la mémoire coloniale privilégie le récit de la lutte héroïque contre l’occupant, laissant peu de place aux communautés non musulmanes. Les juifs, malgré les solidarités locales qui ont existé sous Vichy, sont largement effacés des récits officiels. Ce silence contribue à égarer leur histoire dans les méandres d’une mémoire nationale qui aspire à l’homogénéité.
Réhabiliter la mémoire des juifs d’Algérie est essentiel pour réintégrer leur parcours dans les récits nationaux. En France, cela passe par une révision de la manière dont la colonisation et ses conséquences sont enseignées et perçues. En Algérie, cela implique de reconnaître la diversité du tissu social avant la colonisation et d’accepter les réalités complexes de l’exil forcé. Il est également essentiel de se souvenir du rôle des Algériens autochtones qui, durant la période de Vichy, ont protégé les juifs persécutés, apportant ainsi une nuance importante à la relation entre ces deux communautés.
Réhabiliter la mémoire des juifs d’Algérie, c’est permettre à l’histoire de retrouver son chemin. En omettant cette communauté, nous nous privons d’une compréhension plus riche et inclusive de notre passé commun. Il est temps de remettre cette histoire sur les rails, de réintégrer cette mémoire pour éviter que l’histoire ne s’égare davantage, ni en France ni en Algérie.
A. B.
Comment (23)