Maîtres numériques

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L'humanité est sous l'emprise du numérique. D. R.

Par A. Boumezrag – Il fut un temps où les hommes traversaient le désert avec un turban sur la tête, non seulement pour se protéger des rigueurs du climat, mais aussi comme un rappel silencieux de leur condition éphémère. Ce morceau de tissu, enroulé autour du crâne, symbolisait à la fois la fragilité de l’existence et la soumission au destin. Dans la tradition islamique, ce turban servait presque de linceul anticipé, marquant la conscience d’une fin inévitable et d’un retour à Dieu, le Maître des Univers.

Mais aujourd’hui, quelque chose a changé. Si, autrefois, le turban incarnait une humilité face à la vie et à la mort, il semble que ce symbole ait cédé sa place à un nouvel artefact : le smartphone. A la place de l’étoffe sacrée qui entourait les têtes, ce sont désormais nos mains, accrochées à des écrans lumineux, qui dirigent notre quotidien. Nos doigts, toujours en mouvement sur ces dispositifs numériques, agissent comme des médiateurs entre nous et le monde, déterminant la route à suivre, l’heure d’un rendez-vous et, même, dans certains cas, les décisions de vie et de mort.

Ce basculement des symboles marque plus qu’un simple changement technologique. Il témoigne d’une transformation profonde dans notre manière de concevoir l’existence, le savoir et le pouvoir. Le turban rappelait aux hommes que leur vie était entre les mains d’une force supérieure, d’un destin imprévisible. Le smartphone, lui, semble offrir l’illusion d’un contrôle total sur cette même existence. Nous avons troqué la soumission au mystère pour une foi presque aveugle dans les octets, ces fragments de savoir numérique qui promettent de dissiper l’incertitude.

Autrefois, la sagesse était dans l’acceptation de l’inconnu. La spiritualité offre une réponse humble à la finitude de l’homme. En portant leur turban, les hommes des déserts ont la conscience que la mort, inévitable, venait en son temps. Le Maître des Univers, dans Sa Grandeur, détenait la clé de ces mystères, et les hommes réussissaient en paix avec cette idée.

Aujourd’hui, cependant, nous avons tendance à voir la science et la technologie comme les nouveaux maîtres de notre destin. Les «maîtres numériques», ces réseaux complexes d’informations, d’algorithmes et d’intelligences artificielles, nous donnent l’impression de pouvoir tout prédire, tout contrôler. Pourtant, malgré cette illusion de puissance, les questions fondamentales demeurent : sommes-nous vraiment maîtres de notre propre vie ? La technologie peut-elle réellement nous protéger de l’inconnu, ou nous conduit-elle simplement à une nouvelle forme d’asservissement, celui de l’illusion de maîtrise.

Le smartphone, symbole de cette nouvelle ère, semble être la clé de tous nos mystères. Il nous permet de nous orienter, de calculer, de prévoir, et même de se rapprocher de l’autre, où qu’il se trouve dans le monde. Cependant, en nous offrant cette capacité de contrôle et d’information immédiate, il nous éloigne peut-être de quelque chose d’essentiel : la reconnaissance de notre propre vulnérabilité face aux forces plus grandes que nous.

Nous avons troqué le linceul spirituel pour une nouvelle enveloppe numérique, croyant qu’elle pourrait nous prémunir contre l’inconnu. Mais le paradoxe est que, dans cette quête de contrôle, nous devenons nous-mêmes de plus en plus dépendants de ces systèmes technologiques. Les «maîtres numériques» que nous avons créés ne sont pas seulement des outils ; ils influencent, façonnent et parfois même dictent nos décisions. Ils déforment notre rapport au temps, à l’espace et à notre propre existence.

Alors que nous avançons de plus en plus dans ce monde numérique, il est peut-être temps de revenir à une forme d’humilité. Tout comme le turban rappelait aux hommes que leur destin était entre les mains du divin, nous devons reconnaître que, malgré la puissance des technologies, certaines forces échappent encore à notre contrôle. Le destin, la mort, et même le sens de la vie ne se plient pas aux algorithmes.

En cherchant à tout maîtriser, nous risquons d’oublier ce qui rend l’existence véritablement humaine : la capacité à accepter l’imprévu, à vivre avec l’inconnu et à embrasser, en fin de compte, notre propre finitude. Il est temps de redécouvrir cette sagesse ancienne, celle qui nous enseigne que la vraie force réside dans l’acceptation de nos limites, et non dans l’illusion de leur dépassement.

En fin de compte, que ce soit avec un turban autour de la tête ou un smartphone dans la main, la question demeure la même : qui est réellement le maître de nos vies ? Le Maître des Univers ou ces nouveaux Maîtres numériques que nous avons créés ? La réponse, sans doute, réside dans notre capacité à équilibrer la puissance du savoir avec l’humilité de la sagesse.

L’évolution du symbole du turban vers le smartphone est une réflexion sur le passage d’une vision spirituelle de la vie à une société dominée par la technologie. L’essence de cette transformation nous invite à interroger notre rapport au contrôle, à la foi, et à la quête de sens dans un monde de plus en plus numérique.

A. B.

Commentaires

    Antisioniste
    20 septembre 2024 - 9 h 51 min

    Dans le discours du dictateur de Charlie Chaplin, une phrase a marquait mon esprit, il a dit « nous ne ressentons pas assez et nous pensons beaucoup trop ».

    Si ce ressentie était dans les années 40 ou la « smartitude » était attribué uniquement à l’être humain, par l’être humain, alors que peut-on en dire de ce qu’il en est aujourd’hui après près d’un siècle « d’évolution » ou d’involution?

    Désormais « l’être humain » ou ce qu’il en reste, à décider dans sa « grande sagesse » d’octroyer la « smartitude » a des machines qu’il a lui-même construit. Mais es ce vraiment lui « l’être humain » qui a décider cela du jour au lendemain, ou des forces obscurs plus anciennes, et plus déterminer, l’ont poussé d’une manière ou d’une autre à devenir l’esclave de son invention ? Dans quel but ?

    Je sais que ses questions en soulèvent beaucoup d’autres, et ne donne pas assez de réponses aux nouvelles générations prise dans l’étau de la « smartitude » incapable de s’assoir, de prendre un vrai livre et lire le contenus de ses pages patiemment afin que leur cervelle s’aiguise plus que leur langue.

    Cela a été voulu, cela a été fait, mais cela ne durera pas car une règle immuable veut que tout ce qui a un début aura une fin, reste à savoir quel genre de fin, et nous ne pourrons le savoir qu’une fois qu’on l’aura atteint.

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